Economie

Science

Une hantise tenace, obsédante, n’a cessé depuis cinq décennies de travailler en profondeur la réflexion sur l’histoire et la mémoire coloniales. D’aucuns, parmi les historiens, y voient une marque de fabrique française. Peu d’anciennes puissances coloniales occidentales agitent ou déplient avec passion les pans de leur histoire comme cela se pratique en France. Parfois réglée à coups de décrets et de lois, l’histoire d’un passé qui ne passe pas se trouve ainsi enserrée dans un ethnocentrisme simpliste qui fait peu de cas de la complexité et de la diversité des peuples et des nations. Pour preuve, le débat en cours sur le « rôle positif » de la colonisation, ( la loi du 23 février 2005), la loi Gayssot de 1990 sur les crimes contre l’humanité, la loi Taubira du 21 mai 2001 contre l’esclavage, etc.
Dans ce débat sur la crise de la mémoire et de l’histoire, le travail collectif mené sous la direction de Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire, tout en y balisant les pistes, en balaie les a priori. Les contributions, d’une vingtaine de philosophes, anthropologues, historiens, sociologues, politologues, parmi lesquelles Marc Ferro, Ahmed Boubeker, Benjamin Stora, Michel Wieviorka, Françoise Vergès, etc. explorent des domaines aussi multiples que complexes, creusets d’un imaginaire colonial encore fertile, telles la ghettoïsation des banlieues, l’intégration ratée, la discrimination dans le travail, les relations intercommunautaires, la conception de l’histoire nationale…
Le constat est affligeant : l’image de l’autre, l’immigré, l’étranger, n’a pas subi des transformations notables. Hier « indigène », aujourd’hui « sauvageon » ou « racaille », les appellations non contrôlées ont ainsi la peau dure et traduisent une post-colonisation ratée. « Car il est aujourd’hui devenu difficile d’ignorer la “postcoloniale“, tant elle porte des tensions extraordinairement fortes… », indiquent les coordinateurs qui déclinent les domaines ou ces tensions sont les plus fortes : la montée du « sentiment d’insécurité » face aux immigrations postcoloniales et l’incompréhension des élites républicaines devant les identités « hors norme », qualifiées de « communautaristes », les dénonciations médiatiques d’un « racisme anti-blanc », au moment même où nous assistons à une crispation du modèle d’ « intégration à la française » ; les phobies anti-islam exprimées lors du débat sur le voile ; le rejet de la France en Afrique francophone… Ce sont là quelques signes d’une fracture coloniale multiforme et impossible à ignorer.
Si la revendication mémorielle est déballée dans des débats chargés de fureur et de passions, il revient aux chercheurs franco-maghrébins de s’y impliquer davantage dans la réflexion et ce débat qui obère leur avenir dans l’entre-deux.
La fracture coloniale. La Société française au prisme de l’héritage colonial, sous la direction de Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire, La Découverte, 310 pp., 20 €