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Catégorie : Société
Pour la première fois, une première base de données sur les motivations de la consommation Halal en France a été effectuée. Choix religieux ou de consommateurs, ou les deux ? Nouvelle mode ou nouvelle donne dans le paysage socio-religieux français ? Deux universitaires, Florence Bergeaud-Blackler, sociologue à l’unité d’anthropologie de l’université Aix-Marseille, et Karijn Bonne, doctorante à l’université de Gand (Belgique), se sont associées pour réaliser une première base de données sur les motivations de la consommation halal en France. Cette base de données a été réalisée à partir d’une enquête menée auprès de consommateurs de ces produits, au Bourget, lors des rencontres annuelles de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) qui se sont déroulées en mars dernier. Cinq cent soixante-seize personnes maghrébines (1/3) et Français d’origine maghrébine (2/3) ont répondu à un questionnaire anonyme d’environ sept pages portant sur leurs habitudes d’achat et de consommation, la part de consommation de produits halal dans leur consommation alimentaire, le type de produits achetés et consommés, les qualités qu’ils attribuent aux produits halal, leur investissement religieux, etc. L’enquête n’avait pas pour but de calculer la part de consommation de produits halal en France mais plutôt de décrire les attitudes de ce type de clientèle.
Pour la très grande majorité des personnes interrogées, manger halal est une conduite systématique. Seules 14,1 % des personnes interrogées ont déclaré manger des produits non halal, leur consommation restant majoritairement halal (tous types de produits confondus). Les autres (85,9 %) ont déclaré manger exclusivement halal. Cette tendance est confirmée et même accentuée chez les moins de trente ans et chez les jeunes nés en France ou arrivés en France avant l’âge de 15 ans.
Lorsque les consommateurs mangent halal, ils le font autant que possible de façon systématique, les conduites de consommation occasionnelles étant minoritaires, et le plus souvent non souhaitées. L’idée d’une consommation halal événementielle liée à une période de fête semble s’évanouir : la consommation halal est une consommation quotidienne motivée par le tabou du porc et ce qui s’apparente de plus en plus à un tabou de la viande non halal.
L’enquête montre que manger halal est considéré comme une obligation religieuse. On s’y soumet de la même façon, que l’on soit croyant, pratiquant occasionnel ou assidu. Autrement dit, on peut avoir une pratique très faible et manger des produits halal systématiquement et, inversement, avoir une pratique très régulière et ne manger des produits étiquetés halal qu’occasionnellement.
La motivation religieuse est loin d’être l’unique déterminant de la consommation halal. Consommer de la viande halal procure d’autres avantages. L’enquête montre que les répondants pensent, pour la très grande majorité que la viande halal a meilleur goût, qu’elle a des qualités sanitaires supérieures, qu’elle est meilleure pour la santé et que le procédé d’abattage dont elle est issue est moins pénible pour l’animal.
Ces premiers résultats n’avaient pas pour ambition de refléter les motifs de consommation des produits halal pour l’ensemble de la population d’origine maghrébine résidant en France. Ils révèlent toutefois quelques grandes tendances caractéristiques de la demande halal d’une population urbaine dès lors que l’offre de produits est « facilement » accessible.
En guide de synthèse de ces premiers résultats. La motivation de consommation est religieuse mais elle n’est pas fonction de l’intensité de la pratique. Par ailleurs, les consommateurs interrogés sont, comme l’ensemble des consommateurs français, préoccupés par la sécurité et la qualité des aliments et, pour eux, la certification halal peut garantir ces qualités. Les institutions religieuses (toutes tendances confondues) peuvent aux yeux des consommateurs garantir le caractère halal des produits. L’information sur les produits halal est jugée par la majorité insuffisante.
La base de données est loin d’avoir été exploitée dans son intégralité. Son traitement sera complété par d’autres types d’enquête « qualitative » comme l’organisation de Focus Group, et d’entretiens avec des professionnels de la boucherie halal en France et en Belgique.
Pour les auteures française et belge, ces premiers résultats permettent de s’interroger d’ores et déjà sur plusieurs points. L’adéquation entre l’offre et la demande de ces produits: si la consommation halal est exclusive pour une majorité, on peut s’interroger sur les logiques qui dictent la qualité et les prix de ces produits et leurs conséquences. Par exemple, les produits halal sont-ils suffisamment contrôlés d’un point de vue nutritionnel ? L’adéquation entre l’offre et la demande de certification. Du point de vue des consommateurs, les institutions religieuses offrent plus de garantie. Les études sur l’offre halal montrent qu’elles sont peu présentes dans le secteur productif et que, sans réglementation du terme halal, ce sont de multiples entreprises commerciales se présentant comme musulmanes qui choisissent leur définition du halal. Une clarification s’impose donc entre institutions religieuses et les nombreux organismes privés de certification qui mobilisent, sans contrôle, des symboles religieux. Les consommateurs attendent beaucoup des produits halal : sécurité, qualité, nutrition. Mais se donnent-ils les moyens de leurs exigences ? Les discours communautaristes prennent souvent le pas sur une réflexion de fond. Or la qualité de « musulman » n’offre pas toutes les garanties ! Une distribution plus claire des responsabilités entre les professionnels agissant au niveau de la production, du contrôle et de la distribution serait souhaitable. Les consommateurs devraient prendre leur part de responsabilité. Pour les auteurs, cela pourrait passer, par exemple, par la constitution d’associations de défense de consommateurs, à condition qu’elles soient strictement indépendantes des entreprises productives.