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Catégorie : Société
En mettant en exergue l'enjeu de la protection des identités individuelles des peuples, Abbés Jirari* nous met en garde contre une mondialisation à tout venant, au détriment des cultures et des valeurs. Pour donner, dans une brève introduction, une définition de la culture, je dirai qu’elle est l’ensemble des sentiments, des idées et des croyances que l’individu se procure par l’héritage, la pratique, l’éducation, et l’instruction. Ce savoir éduque sa nature, raffine son esprit, sensibilise sa conscience et définit les traits de sa personnalité. Ce qui donne à la culture une place primordiale comme étant une composante essentielle de la personne et de la société, de même que d’autres éléments avec lesquelles elle agit réciproquement et s’accorde harmonieusement, à savoir: La nation, la langue et la religion ou le sacré qui les synthétise. Ceci rend la culture et le sacré deux piliers importants dans la constitution de cette identité.
C’est ainsi que le sacré devient le noyau de la stabilité. Il constitue et protège la conscience de la personne, lui inspirant quiétude et sérénité, alors qu’elle affronte les cruautés de la vie. De ce fait, le sacré protège la santé psychologique de la personne face aux influences des éléments matériels, avec leurs risques et leurs conséquences sociales néfastes. Ces problèmes risquent de se propager en s’alimentant d’autres conditions de souffrances, pour créer l’intégrisme et la violence, et pour propager l’horreur et le terrorisme, comme c’est le cas dans différentes régions de notre monde contemporain.

De là, le sacré forme l’esprit de la personne et concrétise son tempérament, ses émotions et son esprit. Il lui réalise son état humain et son équilibre avec son entourage et avec l’univers ; car le penchant vers le sacré est un point commun de tous les êtres depuis que Dieu a crée cet univers.

Quand cet équilibre se réalise, dans l’harmonie du sacré avec la culture, les différences entre la raison et le cœur, et entre la science et la foi disparaissent. Avec cet équilibre, s’efface également l’hésitation de la personne humaine devant les questions obscures.

Dans cette optique, le sacré est le lien de la personne avec le monde, visible où invisible soit-il. Il lui fait sentir sa vérité, et le rôle qu’elle doit accomplir dans l’existence. Il lui fait sentir aussi ce qui l’attire vers l’autre, même celui qui ne partage pas ses croyances.

Enfin, le sacré est un système complet et homogène où s’unissent la foi et la loi divine avec la raison, le sentiment et le comportement, car il se conçoit avec tolérance et flexibilité à l'égard d’un autre sacré, le poussant ainsi à l’accepter. Ce qui le mène à le respecter et à le valoriser comme il le prépare au dialogue, et à la coexistence, surtout lorsque la culture se développe dans le cadre d’un matérialisme féroce.

Le développement civilisateur matériel, et l’avancement des sciences et du savoir qui en suivent, particulièrement dans le secteur industriel et informatique, suggère une perte de l’importance qui est et qui se doit à la culture et au sacré. Cette situation se consolide d’autant plus avec la fixation dans les mentalités et les comportements liant la vie et son bonheur à l’assouvissement des convoitises matérielles, et à l’incitation des motivations sensuelles, pour ne pas dire les stimulations instinctives animales de l’être humain. Cette situation se détériore d’autant plus avec les hérésies qui se sont répandues et qui sortent de la nature humaine saine, surtout au niveau social, comme la détérioration des liens familiaux, la liberté illimitée des relations sexuelles, et le mariage entre deux personnes du même sexe.

La situation est d’autant plus alarmante dans le domaine scientifique, biologique et génétique puisqu’il est devenu possible aujourd’hui de clôner des êtres humains. Ce qui porte atteinte à la nature humaine, à sa dignité, et à l’état vrai de son existence.

Toutes ses nouveautés mèneront l’individu à perdre son état humain et à se transformer en une simple chose ou numéro qui pourrait se réduire au néant. Le maniement de ses nouveautés exige une compréhension consciente du concept du sacré, de ses conséquences, et de la manière de l’adopter. Avant tout cela, il nécessite la possibilité de l’allier avec la modernité pour pouvoir lui trouver une position au sein de la mondialisation.

En effet, il y a le côté illuminateur et créateur de la modernité dont les sociétés en développement ont déjà assez tardé à profiter. Mais il y a aussi d’autres côtés de la modernité et ses aboutissements qui ne seront qu’un domaine de déracinement pour ces sociétés, si ce n’est de badinage de l’esprit et de la liberté de pensée. Ce délassement risque de mener à la tyrannie. Et quelle absurdité plus violente que les conflits, les crises, et les défis que subit l’humanité aujourd’hui ! Cette situation, menaçante et inquiétante par sa nature, mènera à l’absolutisme, au despotisme et à la destruction, tant qu’elle se référera à un unilatéralisme arrogant, prétentieux et dominateur refusant d’accepter l’autre et ce qui le diffère.

Dans le cadre de ce mouvement, l’individu est poussé à se révolter contre le sacré en général et la religion en particulier. Il subit simultanément un effroyable cauchemar qui le rend victime d’une anxiété continue. Il souffre aussi de soupçons qui lui font perdre la vigilance de l’affection, la conscience de l’esprit, et la capacité de comprendre l’authenticité de soi-même, de son existence, et de sa position dans l’univers. Cette situation est un obstacle à la vie saine puisqu’elle en écarte son équilibre et son homogénéité. C’est ainsi qu’elle étouffe la personne, limite l’esprit, et dissimule la vision, comme elle écarte l’espoir en un futur meilleur.

Il est clair que construire son avenir n’est plus lié à soi-même et à la capacité de l’orienter et de l’épanouir, selon une optique particulière pour réaliser les buts précis dans cet avenir. L’édification de ce dernier est devenue soumise à d’autres éléments externes à la personne, qui se dégagent du développement scientifique et technologique de l’occident au sein de la mondialisation.

Nul ne discute les avantages de ce développement, à savoir la liberté d’expression et le respect des droits de l’homme. Comme personne ne nie ce à quoi appelle la mondialisation dans les domaines de l’économie, du commerce, du libre échange, du rapprochement des distances, de la diffusion des profits et de la vulgarisation des technologies, malgré ce que cela présente comme risque pour les entités. Cependant, le fond du conflit réside dans le fait que la mondialisation se base sur des fondements contraires à ceux qui conditionnent les autres. Elle est vouée à des objectifs qui risquent de représenter des défis difficiles à soulever. Avec cette détermination et cet appui, le but de la mondialisation serait d’éliminer les caractéristiques culturelles, pour qu’elles soient remplacées par un modèle culturel particulier qui vise à se faire accepter avec force.

Dans le cadre de ses tentatives d’élimination des différentes identités culturelles, sont touchés le sacré ainsi que tous ses composants, à savoir les croyances religieuses, leurs valeurs spirituelles et leurs substances éthiques. Ces derniers cèdent la place à d’autres valeurs et constituantes marquées par le matérialisme et les intérêts que la mondialisation cible, même si, c’est au détriment du cœur et de la conscience, c’est à dire de la réalité humaine.

Cet arrachement culturel mènerait les peuples démunis soit à perdre leur appartenance dans le cas de la résignation et de l’abandon, soit à plus d’attachement et d’ardeur en la défendant, même si c’est par la violence. Dans les deux cas, il reste difficile pour ces peuples de se développer et de se moderniser. Même les sociétés développées ne manqueraient pas de se sentir déracinées au cas où elles seraient entraînées par le courant de la mondialisation dans ses aspects intellectuels et culturels. Ceci est une conséquence du conflit des valeurs et de l’absence d’un mode de comportement, se basant sur des aspects humains sans lesquels la vie n’aurait plus de sens.

Néanmoins, et malgré le façonnement qui est voulu à la culture, j’estime que la position qu’a le sacré dans la culture de toute société, prendra plus d’ampleur avec la mondialisation. La raison de cette grande étendue est que le sacré, ainsi que la culture qu’il symbolise, sont pour les peuples qui en sont fiers et qui y tiennent, la seule possibilité et l’unique moyen qui leur restent pour s’exprimer et concrétiser leur originalité.

Quels que soient les espaces que ce mouvement dévaste, il ne possède pas, en réalité, le pouvoir d’effacer ce qui appartient aux peuples- forts ou faibles soient-ils- quant à leur héritage civilisateur et culturel, leurs repères solides et les effets persistants et inébranlables de leur mémoire collective qu’il n’est pas facile de déraciner.

Je n’ai aucun besoin de prouver que n’importe quel comportement dominateur ou narcissique ne crée autre que le mal entendu, menant au conflit qui est un résultat inévitable du sentiment de menace à l’être et à ses parties constituantes. Ce qui n’est bénéfique pour personne. Si la disparité entre les peuples ne permet ni l’écoute ni la réciprocité dans les échanges, elle peut néanmoins permettre l’opportunité d’une complémentarité dont l’humanité a tant besoin. Cette complémentarité entre les différentes couleurs civilisatrices et culturelles, soutiendra et enrichira l’héritage humain. Elle permettra aussi de trouver un équilibre, et de concrétiser une coexistence entre la nature matérialiste de la mondialisation, avec son mode culturel imposé, et entre le trait spirituel qu’elle a perdu et qui ne peut être récupéré que par le retour à ce que les sociétés ont amassé dans leur sens intérieur, et les valeurs religieuses qui le conditionne.

Il n’y a pas de doute que ce trésor vivant et continuellement prospère a permis à ces sociétés d’affronter plusieurs défis. Elles sont capables aujourd’hui de surmonter le sous-développement, à condition de savoir comment marier les composantes de soi-même, avec ce qui lui convient des données de l’époque appartenant à l’autre, sans qu’elles s’effacent ou qu’elles perdent leurs caractéristiques personnelles, et ceci avec conscience, maturité, et équilibre.

Cependant, cet équilibre ne peut devenir réalité en responsabilisant uniquement les sociétés affaiblies dans l’effort qu’elles fournissent afin de trouver la meilleure formule pour cette intégration. Au contraire, il est nécessaire que le parti fort se montre d’accord, qu’il s’apprête à accepter l’autre et à lui donner l’occasion de se réaliser. Ce qui nécessite l’établissement d’un dialogue positif et constructif entre les différents partis ; surtout entre les pays méditerranéens qui ont vu naître le long des rives de leur bassin, pendant des siècles, deux grandes civilisations pour la conservation, le développement et l’épanouissement desquelles, ils sont aujourd’hui responsables : La civilisation arabo-musulmane et la civilisation européenne. Et ce pour leur bien et celui de tous les peuples qui tiennent à leurs identités respectives, et qui se trouvent aujourd’hui obligés d’affronter les inconvénients de la mondialisation.
Le but de ce dialogue ne devrait pas être l’élimination des différences dans les croyances, car ceci est impossible et inconcevable. Son objectif serait plutôt de trouver un domaine de rapprochement culturel au niveau des valeurs communes auxquelles toutes les religions et les croyances ont appelées. Ses valeurs communes permettront de rendre à l’homme son état humain pour qu’il puisse jouir du respect que Dieu lui a particulièrement attribué et pour accomplir la mission qu’Il lui a confiée.


*Abbés Jirari est Conseiller du Roi du Maroc, Mohammed VI et professeur des Universités