Toute obligation, en Islam, renvoie à une finalité et s’érige en loi en vue de réglementer, pour le mieux, la conduite humaine. Or, si l’on rencontre dans l’application des absurdités, elles sont dues à l’ignorance et à la ferveur aveugle qui conduisent à un dévoiement certain.
Le jeûne, pratique préislamique, a connu avec l’avènement de l’Islam une organisation spécifique quant à son début et sa fin, son essence et sa finalité. Par le présent article, nous voulons d’abord montrer jusqu’où peut aller l’adéquation de certaines pratiques humaines actuelles avec le texte, ensuite établir ce qui sépare l’esprit et deux côtés extrêmes de la pratique : le rigorisme foncier ou le laxisme total. Rappelons enfin que l’esprit, sur lequel se sont fondées en Islam les obligations religieuses, se résout dans la juste mesure. Le Coran mentionne avec clarté que le jeûne est une pratique déjà connue de plusieurs peuples antérieurs. « Croyants! Le jeûne vous est prescrit, comme il l’avait été prescrit à ceux qui vous ont précédés ». Cette pratique n’était donc pas insolite pour les Arabes de l’époque. ’icha rapporte, en effet, qu’avant l’Islam les Arabes jeûnaient le dixième jour du mois de Muharram (le premier mois du calendrier lunaire) et que le Prophète a recommandé ce Jeûne. Il a même insisté sur son importance spirituelle en disant qu’« Un jour de jeûne, de « chûrâ », vaut expiation de tous les péchés de l’année finissante ». Avant que le jeûne du mois de Ramadan ne soit obligatoire, certains musulmans, sous recommandation du Prophète, jeûnaient donc le neuvième et le dixième jour du mois de Muharram. Dans le recueil de al-Tirmidhî, on lit que « le Prophète parvint à Médine le dixième jour de Muharram, il trouva que les Juifs médinois étaient en jeûne ce jour-là, célébrant la commémoration de la traversée de la mer et du miracle qui sauva Moïse et ses fidèles de Pharaon. Le Prophète approuva ce jeûne. Plus tard, il conseilla les musulmans de jeûner le neuvième et le dixième jour de ce mois-ci. »

Certaines sources historiques mentionnent que le jeûne, en Arabie préislamique, était non seulement connu des Juifs et des Chrétiens, mais aussi des Hanîfs, « al-Hunafâ ». En rappelant aux musulmans l’ancienneté de cette pratique, le Coran voulait les assurer que ne pas satisfaire des besoins naturels indispensables pour le maintien du corps, un mois durant et pendant la journée, n’est pas une sanction cruelle. En donnant l’exemple de ceux qui les ont précédés, les musulmans surent qu’ils n’étaient ni les premiers ni les seuls à jeûner. La nature humaine face à ce genre d’exposé accepte alors avec sérénité une pratique aussi difficile que le jeûne.

Philosophie de l'observance et de l'exemption


Le jeûne n’est obligatoire que pour ceux jouissant de leurs capacités physiques et de leurs facultés mentales. Dans de nombreux cas, il est permis au musulman de rompre le jeûne. Le verset coranique est clair, dans ce sens : « Celui d’entre vous qui se trouve malade ou en voyage jeûnera plus tard un nombre égal de jours ». Dans d’autres circonstances, le jeûne n’est pas obligatoire. C’est le cas du vieillard qui n’a plus la force de jeûner, de la femme nourrice et de celle qui est enceinte et craint pour sa santé ou celle de son foetus. Une fois les empêchements dépassés, on est appelé à accomplir le jeûne manqué. Mais, au cas où l’on ne peut plus jeûner, on donnera en contrepartie une aumône équivalente à un repas pour chaque jour manqué : « A ceux qui ne peuvent jeûner qu’avec difficulté, incombe en expiation, la nourriture d’un pauvre ». Cette expiation a pour objet d’empêcher que cette obligation ne soit observée sans contrainte et ni gêne, et ne soit pas traitée à la légère.

La moralité qui en résulte est que l’Islam accorde au bien-être de la personne humaine une dignité supérieure aux applications religieuses. L’Islam appelle autant à tirer profit des permissions qu’il a mises à la disposition de l’homme que du respect rigoureux des observances requises. Accomplir le jeûne par ceux qui en sont capables ou jouir des permissions de le rompre pour les personnes en difficulté de l’observer, sont à mettre sur le même pied d’égalité. La rigueur de cette réglementation atteste du bien-fondé de la législation coranique. Elle signifie, en outre, que les différentes formes du bien sont multiples et que la finalité du jeûne ne consiste certainement pas, en un dessein arbitraire, de faire souffrir les hommes. Il s’agit plutôt d’un appel à l’éducation de leurs facultés d’obéissance. Les obligations religieuses ne relèvent, en un aucun cas, de fardeaux suspendus aux confins du possible : « Dieu n’impose à aucune âme une charge supérieure à sa capacité ».

revoir nos critères de spiritualité


Le mois de Ramadan est l’occasion pour le musulman d’apprendre à maîtriser ses instincts et à limiter ses plaisirs. Il s’agit d’une éducation morale qui dépasse la simple et formelle application d’une obligation religieuse. Il n’y a rien de plus légitime, et de plus naturel, pour l’homme, que de manger et de boire, mais le jeûne nous met en situation de relèguer ces besoins à un second rang. S’abstenir volontairement du légitime et du naturel apprend au jeûneur à s’abstenir plus aisément de l’illégitime (corruption, vol, ou convoitise du bien d’autrui).

L’objectif majeur du jeûne du mois de Ramadan est d’apprendre à l’homme à se libérer de toutes sortes d’obsessions, à résister et à contrôler ses désirs les plus naturels. Il ne s’agit pas ici d’un acharnement ou d’une volonté de faire souffrir, mais plutôt d’une éducation qui dépasse l’aspect individuel de l’observance de cette obligation, et atteind une dimension sociale plus noble. Expérimenter la douleur de la faim et la cruauté de la privation, tout en ayant la possibilité de boire et de manger, est une occasion de vivre, de près, les douleurs de ceux qui souffrent toute l’année. Avoir faim demeure un problème individuel. Vivre la faim de l’autre devient un problème spirituel et un engagement à combattre la nécessité et l’exclusion.

Cette sensibilité envers les douleurs de l’autre ne doit pas être perçue comme une façon de susciter la pitié et la charité, mais plutôt comme l’expression de l’amour de la justice et de l’égalité. La pitié ne résout jamais le problème de la pauvreté dans le monde. Elle ne pourra, en aucun cas, apaiser l’injustice sociale ou réduire l’inégalité. La prise de conscience du malheur de l’autre ou les simples gestes de bienfaisance liés à la piété, qui, pour certains, se manifeste avec excès lors du mois de Ramadan, ne sont porteurs d’espoir pour le pauvre que d’une manière éphémère. Faut-il rappeler ici que la conscience religieuse ne doit pas être perçue comme un moyen d’occulter l’injustice sociale, en alléguant d’une prédestination non récusable. Tout en étant agnostique ou a-religieux, on peut avoir pitié des pauvres, plaider leur cause et militer afin de leur rendre justice.

L’originalité du jeûne tient de l’intention portée d’éduquer le musulman, de lui apprendre à s’abstenir et à résister à toute tentation, tout en étant conscient qu’il accomplit un devoir, à la fois, religieux et social.

Le jeûne de Ramadan est une obligation des plus honorées en Islam. En expliquant les mérites de l’obéissance à l’ordre divin quant à la recommandation de cette obligation, le Prophète dit, dans un propos rapporté par abû Hurayra : « Dieu, qu’il soit exalté et magnifié, dit : chaque oeuvre du fils d’Adam est pour lui sauf le jeûne qui est pour Moi qui le récompense. »

Malheureusement, cette éducation hautement spirituelle, les mérites du jeûne, est quasi absente de la pratique des musulmans. Le mois de l’abstinence est devenu synonyme parfait d’intempérance et de gloutonnerie. C’est l’occasion pour le musulman d’exprimer, davantage et au plus haut degré, son désir de rassembler les plats les plus prestigieux en dépensant ainsi plus d’argent en ce mois qu’en n’importe quel autre mois de l’année. Le Ramadan qui procure, en principe, liberté et légèreté corporelle est devenu le mois de la paresse et de la lourdeur. Le jeûne est devenu un prétexte justifiant l’inertie, tant intellectuelle que professionnelle. On se dit parfois contraint de reporter toute activité à « l’après Ramadan ». Il s’agit ici d’un blocage psychologique qui témoigne d’une inconscience de la véritable dimension spirituelle du jeûne. Ce mois qui offre l’occasion d’apprendre la maîtrise de soi et l’indulgence est en fait un moment d’excitation et d’irritation.

Outre la frivolité, la duplicité de certains jeûneurs provoque un zèle excessif qui peut créer un climat de contrainte et d’inquisition. A l’encontre d’une religion qui affirme le salut est individuel et la seule responsabilité de chacun dans ses oeuvres devant Dieu, certaines sociétés « de tradition musulmane », ont tendance à condamner le non-jeûneur en lui imposant de cacher sa « désobéissance ». Le Coran dit pourtant : « Nulle contrainte en religion ». Un tel comportement ne peut que créer des tensions qui nous rappellent les controverses du passé et les tueries commises au nom de l’Islam. Cette provocation augmente la gêne chez ceux qui observent cette obligation par dévouement et par conviction intérieure (avec tout ce que cela implique de pudeur et de réserve). Rappelons à cet égard qu’il s’agit d’une obligation religieuse où la conscience de l’individu est seule juge. Ni les hommes de religion, ni les institutions de l’État ne sont appelés à contrôler, chez les gens, le degré d’obéissance à Dieu.

Par la déviation de la dimension spirituelle et éducative du jeûne, on risque d’affadir le sens profond de cette obligation. On tomberait ainsi dans des modalités harmonieusement « orchestrées » par les prédicateurs de l’époque classique, dont certains discours apologétiques continuent de nos jours à se faire complaisamment l’écho.

Aux yeux de cette dernière catégorie, et pour mieux convaincre les gens de jeûner, le Ramadan sera présenté comme occasion de maigrir, ou d’assainir les intestins, de débarrasser le corps des produits résiduels. Un tel discours témoigne d’une incapacité de la conscience religieuse de s’assumer dans un monde où certaines sectes ne cessent d’afficher que la spiritualité n’a plus d’aspect exclusivement religieux. Certes, quelques hadîths rappellent l’intérêt du jeûne pour le corps, mais ceci reste secondaire au regard d’ autres avantages spirituels et sociaux que le Prophète a bien soulignés. Les hadîths appellent à une spiritualité d’engagement de l’homme à assurer un équilibre entre l’action et la piété. Observer le jeûne avec dévouement et sans duplicité, ne peut que donner force et sens à cette obligation.

Mohsine Ismaïl est Universitaire, Théologien

Al-Hunafâ’


Il s’agit d’un mouvement religieux qui a vu le jour avant l’Islam. Les hanîfs, qui se distinguaient des idolâtres et croyaient en l’unicité de Dieu, n’étaient non plus ni Juifs ni Chrétiens. Cependant, ils ont accrédité des légendes arabiques façonnées sur des modèles empruntés à la Torah et aux Apocalypses Apocryphes. D’autres thèses, concernant ce sujet, renvoient la présence des Ahnâfs à une persistance de quelques éléments de la religion du Patriarche Abraham. Parmi les pratiques de ceux-là, on peut compter le jeûne, la circoncision, l’abstinence de manger, les sacrifices destinés aux idoles. Voir; J. Claude Vadet “ Les Hanîfs ” in: Revue des études juives, Tome CXXX, avril, décembre 1971 Fascicule 2,3,4, pp 165-182.

Le mois du Ramadan


Le Ramadan est le seul mois de l’année cité dans le Coran avec tant de vénération et de respect. Ce neuvième mois du calendrier musulman commémore un grand événement, à savoir la révélation. « Le mois de Ramadan est celui au cours duquel le Coran a été descendu comme guide pour les gens, et preuves claires de la bonne direction et du discernement ». Ce mois-là, le jeûne, quatrième pilier de la pratique musulmane,
doit être observé. « Donc, quiconque d’entre vous est présent en ce mois, qu’il le jeûne ».
C’est en cette période aussi que se situe la nuit du destin, « Laylat al-Qadr » qui est, selon le vocable coranique, « meilleure que mille mois ».

Le calendrier musulman


Conformément au calendrier musulman, lunaire, la fixation du début et de la fin de chaque mois est conditionnée par la vue directe du croissant de la lune au soir du vingt-neuvième jour du mois. Et comme le mois lunaire est de vingt-neuf ou de trente jours, il y a chaque année un décalage de dix à douze jours par rapport au calendrier solaire. Si la nouvelle lune n’a pas été observée le soir du vingt-neuvième jour, on considère que le trentième jour appartient encore au mois en cours. Le hadîth suivant explique, pour le jeûne de Ramadan,présence de nuages, l’accomplissement de trente jours du mois en cours.