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Catégorie : Société
L'actualité récente - notamment les attentats-suicides de New York, Madrid ou bien Londres)- a mis en lumière un aspect de l'islamisme radical : le martyr qui suscite incompréhension et horreur. Pour réfléchir aux significations, aux formes et aux transformations de ce phénomène et plus largement à la violence, le colloque international « Martyr(e) et suicide dans l’islam contemporain » organisé par la MSH, le CADIS et le CNRS qui s’est déroulé le 6 et 7 mars à la Maison des Sciences de l’Homme (MSH) vient à point nommé. Sous la houlette du sociologue Farhad Khosrokhavar, directeur d’études à l’EHES et de l’anthropologue Hosham Dawod, des spécialistes de tous horizons ont tenté de cerner la signification de ce phénomène culturel, politique mais aussi social en s’intéressant à ses manifestations dans les pays musulmans et en Occident. « L’ambition de ce colloque est d’échapper à toute pression médiatique en prenant du recul pour expliquer ce phénomène. En effet, le temps du chercheur n’est pas celui du journaliste. Pour être capable d’analyser scientifiquement ce geste, il faut impérativement avoir du recul » explique Hosham Dawod.
Qu’est-ce qui pousse ces individus à se donner la mort et à tuer ? Comment des acteurs passent-ils de l'identité religieuse, ou sectaire, à ce mode d’action? Quelle signification revêt cet acte ? Quelles sont les motivations de ces « fous d’Allah » ?... autant de questions abordées par les intervenants. Hosham Dawod entendait jeter un éclairage scientifique sur certains aspects fondamentaux de la problématique. Selon lui, il importe « de développer une réflexion scientifique autour d’un sujet aussi sensible. Le but est que les sciences sociales s’engagent dans ce débat pour comprendre » précise-t-il.
Pari réussi pour ce colloque dont le mérite est d’avoir rassemblé les meilleurs spécialistes de la question, dont Olivier Roy et Michel Wieviorka. Hosham Dawod d’origine irakienne a largement participé, en tant qu’anthropologue, à la diffusion de l’information scientifique et culturelle sur la société irakienne sous forme de publications en plusieurs langues. Par ailleurs, il n’est pas à son premier essai. Il a organisé de nombreux colloques internationaux en France et à l’étranger notamment sur le salafisme. Le parti-pris des organisateurs est de s’inscrire dans une perspective comparatiste. « Je voulais que plusieurs hypothèses soient représentées. On ne peut réduire au politique ce phénomène. Le but est de décentrer la réflexion pour tenter de le comprendre.» affirme Hosham Dawod.
Le fait d’analyser des cas de martyrs (Palestine, Irak, Tchétchénie, Pakistan, Indonésie, Liban) confirme une volonté de ne pas réduire ce phénomène à sa dimension globale sans pour autant la nier. Aujourd’hui, on insiste beaucoup sur les réseaux déterritorialisés du type Al Qaeda, nébuleuse transnationale capable de fédérer des individus aux profils très différents sous la bannière djihadiste. Or, on néglige de prendre en compte le paramètre local. A noter que Al Qaeda a des facettes variées mais cette organisation s’appuie sur des relais locaux. Il s’agit donc de distinguer entre les suicides liés à une revendication nationale par exemple la Palestine et ceux liés à une mouvance idéologique fondée sur une opposition Islam-Occident (de type Al Qaeda). Le sunnisme - branche majoritaire de l’islam- s’empare du concept de martyr lié au chiisme en déplaçant la problématique. Le martyr est un moyen pour réaliser le djihad. A l’inverse, « dans le cas chiite, l’accent est mis sur le martyre et le djihad vient corroborer la légitimité de cette notion », explique Farhad Khosrokhavar. Pour autant, tous les islamistes ne basculent pas dans l’activisme, de même que tous les musulmans ne sont des islamistes. Une évidence qu’il est important de rappeler contre toute tentative d’amalgame. A cet égard, Olivier Roy, dans L’Islam mondialisé (Seuil, 2002), tord le cou à de nombreux préjugés et invite à une analyse nuancée de l’actualité. « on fait souvent remarquer que la plupart des conflits contemporains mettent en jeu des musulmans. Mais une approche plus précise montre qu’en règle générale les conflits ne sont jamais déterminés par l’islam, même si celui-ci contribue à le surdéterminer. (...) Il est vrai que les acteurs eux-mêmes mobilisent parfois une symbolique islamique en faveur de leur cause. Mais la lutte des Tchétchènes comme celles des Palestiniens est avant tout une lutte pour la libération d’un peuple. » Depuis les années 90, la reviviscence du phénomène du martyr et du djihad dans le monde musulman et en Occident est constatée mais peu analysée. Le mérite de ce colloque est de créer un espace de réflexion et d’échange afin de donner des clés pour comprendre un phénomène qui a malheureusement de beaux jours devant lui.