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Catégorie : Société
D’une famille originaire de l'Inde et arrivée sur l’île de la Réunion en 1850, Aslam Timol est aujourd’hui le porte-parole en France métropolitaine de la grande mosquée de Saint-Denis de la Réunion. Il a été choisi en tant que représentant de l’île pour participer à la table de la Consultation dès octobre 1999. La Médina : Depuis quand êtes-vous en France métropolitaine et qu’est ce qui vous a amené ici ?
Aslam Timol : Je suis arrivé à Paris en 1981, comme beaucoup d’étudiants bacheliers des DOM-TOM, pour entreprendre des études supérieures. A l’île de la Réunion, j’ai suivi deux enseignements : un enseignement religieux à l’école franco-musulmane de Saint Denis "Medersa Taalimul-Islam" et le cursus de l’éducation nationale dans une institution privée catholique.

C’est le passage dans cette école catholique qui vous a enseigné votre rigueur et votre façon d’être dans la société ?
Le passage à la Medersa et l'école catholique m’ont inculqué certaines valeurs que j’avais assimilées au préalable. Mis à part nos différences au niveau du dogme, j’ai compris que l’on retrouvait des mêmes valeurs dans les grandes religions monothéistes. En particulier, l’ouverture et la tolérance, comme le fait d’aider son prochain, le respect de l’autre malgré ses différences dans sa façon de penser et de prier. Suivre un enseignement dans une institution catholique, paradoxalement, m’a poussé à faire des recherches approfondies dans la connaissance de ma religion : l’islam.

Dans votre parcours en France métropolitaine, avez-vous ressenti une certaine discrimination ? Si oui, cela vous a t-il poussé à faire plus que les autres ?
Dire que je n’ai pas ressenti de discrimination, serait mentir. À partir de 1981, j’ai parfois été amené à constater dans le regard de l’autre que j’étais différent. Partant de ce constat, j’ai voulu démontrer que nous pouvions aussi réussir comme les autres. Mes ancêtres avaient déjà connu ce même parcours, ceux qui sont arrivés sur l’île de la Réunion en 1850 n’avaient pratiquement rien et ils ont dès le départ voulu démontrer qu’ils étaient capables en travaillant plus que les autres.

Quel enseignement venu de vos ancêtres vous a permis d’être ensuite un élément constructif en France ?
En plus des valeurs d’humanisme, nos ancêtres nous ont aussi légué cet attachement pour les valeurs de la république et cet esprit de fidélité républicaine. La France a accueilli nos ancêtres, nous ne l’avons jamais oublié ! Aussi nous sommes fiers de participer de façon active à cette communauté : la nation française.

Comment vous est venue cette façon de voir religieuse ?
Fondamentalement, la grande majorité des Réunionnais sont imprégnés de spiritualités et de cultures religieuses. Je tiens à rendre hommage aux anciens qui ont fait en sorte de nous transmettre, de génération en génération, ces fondamentaux religieux.

En acceptant l’entrée dans la Consultation en octobre 1999, vous avez rencontré des responsables Musulmans. Qu’avez-vous découvert chez eux ?
Nous avons découvert deux choses. D’une part qu’il y avait des chantiers immenses qui attendaient les Musulmans et qu’il fallait se mettre autour de la table pour commencer à travailler le plus vite possible. D’autre part, j’ai constaté qu’il y avait une richesse des Musulmans de France, car l’islam ici a plusieurs facettes. La diversité est une richesse et même un atout pour l’islam de France de demain. Concernant les conflits qui ont pu exister entre Musulmans, ils relèvent des différences entre personnes qui n’étaient pas habituées à travailler autour d’une même table, comme dans une famille. Il fallait donner du temps au temps.

Pensez-vous après quatre ans de travail que vous avez pu arriver à quelque chose pour la communauté ?
On aurait pu faire encore et parfaire encore. Mais à un moment donné, il fallait quand même commencer. Nous pensons aujourd’hui avoir abouti à quelque chose qui va nous permettre de démarrer avec ce qui existe, en faisant en sorte que les équilibres soient respectés. Il faut qu’aucune des parties de l’islam de France ne se sente lésée dans cette construction. Il a donc fallu respecter cette notion d’équilibre. On aura eu le mérite d’avoir fait émerger une représentation, et je suis convaincu qu’aujourd’hui, avec cette nouvelle génération, ce qu’on a essayé de mettre en place se poursuivra. Je vous donne rendez-vous au bout de la deuxième mandature.

Votre participation à la Consultation a créé à l’île de la Réunion des difficultés avec les différentes associations. Quel regard portez-vous là-dessus ?
Nous avons été invités à la table de la Consultation parce que nous étions la première mosquée installée historiquement sur le sol de la république, en 1903. Deuxièmement, notre mosquée gère la seule école franco-musulmane en France qui soit en contrat d’association avec l’éducation nationale. L’île de la réunion, et en particulier Saint Denis, a été la première aussi à mettre en place ce qu’on appelle aujourd’hui les cimetières musulmans. Néanmoins, je voudrais rassurer toutes les associations sur la position qui a été la mienne : bien au-delà de la mosquée de Saint-Denis de la Réunion, j’ai toujours travaillé dans le cadre de l’intérêt général.

A votre avis, quels sont vos grands apports en tant que représentant de la Réunion autour de cette table de la Consultation ?
Nous avons essayé d’apporter à nos frères de la métropole notre expérience. Nous avons capitalisé depuis plus d’un siècle dans la gestion des lieux de culte, dans leur construction, dans la mise en place de leur autonomie financière, dans la mise en place de centres de formation pour imams, pour un clergé musulman qui soit formé sur le sol de la république. Ceci étant, le plus gros du travail nous attendra à partir de la mise en place du CFCM.

Quels sont les grands chantiers sur lesquels doit se pencher le CFCM ?
Les grands chantiers font partie aujourd’hui de ce qu’on appelle les commissions. Il y en a une bonne dizaine qui vont être créées. Deux voire trois d’entre elles tiennent à cœur aux gestionnaires de Saint-denis de la Réunion. Le premier gros chantier concerne l’indépendance financière de l’islam de France. Construire l’islam de France suppose un préalable : assurer son indépendance financière de façon pérenne. Le deuxième chantier est la mise en place d’instituts de formation d’imams. Le troisième chantier que nous défendons est celui de l’inhumation en France du Musulman qui décède. Il ne peut y avoir d’intégration totale et parfaite, si un mort ne peut être enterré dignement, dans le respect de ses convictions religieuses. Quant aux problèmes de discrimination à l’emploi ou au logement, ils touchent aussi d’autres communautés, il y a là aussi, beaucoup à faire.

Comment peut-on à la fois faire appel à l’indépendance financière du culte et permettre aux pays d’origine de s’immiscer dans les affaires des Musulmans en France ?
Aujourd’hui je ne suis pas choqué de voir que des pays extérieurs s’immiscent dans des affaires religieuses en France. Pourquoi ? Car les Musulmans qui pratiquent de façon précaire leur culte, n’ont pas de moyens financiers importants. Heureusement que des financements extérieurs sont encore là, mais c’est quelque chose que nous devons petit à petit effacer. Ou les pouvoirs publics participent dans le financement des lieux de culte dignes, mais il faudra pour cela un toilettage de la loi de 1905 ! Ou alors on réfléchit à la mise en place des conditions qui permettront au culte musulman de s’autofinancer. Je pense, précisément à une fondation d’utilité publique, tout à fait compatible avec le culte (WAQF).