La montée continue du chômage et de la précarité a engendré une exclusion durable d’une part croissante de la population hors de la sphère de l’emploi et des revenus d’activité, favorisant l’apparition d’une nouvelle pauvreté et l’enkystement dans la société française d’un noyau dur de personnes, et parfois de ménages entiers, durablement privés d’emploi. Ces nouvelles formes de pauvreté sont de plus en plus concentrées dans certaines zones urbaines ou péri-urbaines. Face à ce constat, l’action publique, au-delà du renforcement de ses axes classiques, devrait davantage être ciblée sur des mesures ou des domaines fondamentaux pour l’avenir de la société française. À ce titre, des dotations beaucoup plus importantes sont nécessaires à l’éducation des enfants vivant dans des ménages pauvres ou dans des territoires caractérisés par un fort taux de non-emploi. Au-delà d’un certain seuil, les inégalités apparaissent comme socialement intolérables, elles affaiblissent le sentiment d’appartenance collective et deviennent une menace pour la cohésion de la société elle-même1. C’est en ce sens que peuvent être compris et analysés les liens entre la situation économique et l’intégration sociale, celle-ci n’entretenant pas de liens mécaniques et univoques avec la situation économique des personnes ou des nations. Des inégalités qui perdurent et/ou se cumulent peuvent engendrer des comportements défavorables à l’intégration, tels la résignation et le renoncement à toute participation sociale, ou la révolte, l’hypothèse étant qu’une société inégalitaire mais très mobile a une probabilité plus forte d’être intégrée qu’une société aussi inégalitaire mais où les clivages sociaux séparent des populations durablement hétérogènes2.

Notre analyse insiste sur deux constats : la persistance des inégalités et leur concentration (le cumul des déficits culturels, sociaux et économiques pour certaines personnes et certains groupes). La montée continue du chômage et de la précarité des trajectoires professionnelles a engendré une exclusion durable d’une part croissante de la population hors de la sphère de l’emploi et des revenus d’activité, favorisant l’apparition d’une nouvelle pauvreté et l’enkystement dans la société française d’un noyau dur de personnes, et parfois de ménages entiers, durablement privés d’emploi. Ces nouvelles formes de pauvreté sont de plus en plus concentrées dans certaines zones urbaines ou péri-urbaines3.

L’action publique, au-delà du renforcement de ses axes classiques (accompagnement et réinsertion des chômeurs, désenclavement de certaines zones géographiques, aide sociale et accroissement parallèle des moyens budgétaires), devrait être davantage ciblée sur des mesures ou des domaines fondamentaux pour l’avenir de la société française. À ce titre, des dotations beaucoup plus importantes sont nécessaires à l’éducation des enfants vivant dans des ménages pauvres ou dans des territoires caractérisés par un fort taux de non-emploi. Cet effort devrait se déployer sur l’ensemble du système éducatif (y compris dans l’enseignement supérieur).

Ces vingt dernières années, de multiples dispositifs d’action publique sont apparus dans divers domaines (emploi, santé, ville, discriminations, formation, etc.), sur le plan national et local, pour limiter la désintégration sociale liée à la crise économique durable en France. Cette multiplication faite souvent dans l’urgence et parfois par opportunité politique a favorisé une sédimentation des dispositifs, coûteuse pour les finances publiques, et un empilage dénué d’architecture globale et incohérent dans le temps. L’accumulation des annonces politiques et l’empilement de mesures aux effets mal identifiés nuisent à l’efficacité des dispositifs et ont pour résultat d’affaiblir la crédibilité de l’action publique. Pour augmenter l’efficacité de leurs interventions, le gouvernement et l’administration devraient assumer une véritable évaluation de leurs actions. Notre objectif ici n’est pas de dresser un bilan des politiques publiques, mais de se concentrer sur la question de leur évaluation. Ces préconisations font l’objet d’une seconde section.

Par Denis Fougère, Nadir Sidhoum
Denis Fougère est directeur de recherche au CNRS et professeur chargé de cours en économie à l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (Ensae) et à l’École Polytechnique. Il est membre du Centre de recherches en économie et statistique (Crest, Insee). Il est conseiller scientifique au Centre d’analyse stratégique et au ministère de l’Éducation nationale (DEPP). Il est par ailleurs Research Fellow au Center for Policy and Economic Research (CEPR, Londres) et à l’Institut zur Zukunft der Arbeit (IZA, Bonn). Ses domaines de recherche sont l’évaluation des politiques publiques, l’économétrie du chômage, l’intégration des immigrés et de leurs enfants, et l’analyse des déterminants socio-économiques de la délinquance.

Nadir Sidhoum est conseiller technique au Département des Études, de l’Evaluation et des Statistiques au sein de la Direction générale de l’Agence nationale pour l’emploi. Il enseigne également l’économie à l’université de Paris III. Ses activités portent sur les aspects conjoncturels du chômage et sur le chômage infra-communal.