ars 1965, juin 1981, décembre 1990, mai 2003… à l’occasion de tout mouvement urbain d’importance, la presse nationale, relayée par les autres médias, s’empresse de stigmatiser ces « périphéries urbaines productrices de pauvreté et d’exclusion, synonymes de destruction violente et « d’anarchie » ». M Les attentats du 16 mai 2003 ont constitué, à n’en pas douter, un événement majeur dans l’orientation même des politiques publiques du nouveau règne ; réorientation du champs religieux « formel », lancement du programme « Villes sans bidonvilles » en remplacement du PARHI (axé davantage sur l’habitat non réglementaire), renforcement de l’Agence de Développement Social, lancement de l’Initiative Nationale de Développement Humain…Le regain d’attention pour ces périphéries a aussi donné lieu à la prise de parole (dans la presse dite indépendante au Maroc ou même dans le « Monde Diplomatique ») d’universitaires qui, consciemment ou pas, ont surtout favorisé une approche de ces périphéries en termes de ségrégation urbaine discriminant les quartiers populaires et surtout par une posture passant allègrement de la constatation d’une fragmentation spatiale à un discours sur la fragmentation sociale. L’immigré rural, transportant son « douar » dans des territoires marqués par le chômage, la pauvreté, l’absence de services publics, ne survivrait que grâce à des activités de l’économie informelle, se replierait sur lui-même et, en denier ressort, n’aurait plus que la dissidence urbaine comme mode d’expression politique. Que l’on en juge : les habitants de ces périphéries de Casablanca « ne survivent qu’au moyen du trafic et du larcin..l’inexistence d’activité économique, l’isolement de la population et la rupture avec le reste de la société encouragent les comportements marginaux… Il y a absence de lien social … » S. Belaala va d’ailleurs plus loin en constatant que « faute de transport en commun, les habitants sont condamnés à l’enfermement. Eloignés de toute source d’emploi éventuel, de l’activité sociale de la ville, et survivant avec presque rien, la plupart des karyanistes fondamentalistes n’ont jamais vu le centre urbain. » .

Quelques contours des pratiques spatiales et représentations des populations.

Partant d’une approche axée sur les territorialités des populations , la périphérie Sud de Casablanca a été un terrain de stage pour une équipe de chercheurs de l’Institut National d’Aménagement et d’Urbanisme durant ces deux dernières années, qui a permis de donner quelques contours des pratiques et représentations de ces populations .
L’ensemble des quartiers étudiés rendait compte d’un phénomène largement partagé dans l’ensemble des grandes métropoles du monde arabe (Le Caire, Alger, Tunis..) : la mobilité résidentielle d’une partie des populations urbaines de la métropole vers ses périphéries, une « démétropolisation » alimentée par le désir de l’accès à la propriété que remplissait ces quartiers de la ville « illégale ». Ainsi, entre 60 et 75% des habitants de ces périphéries casablancaise ont déjà résidé dans les préfectures de Moulay Rachid Sidi Othman et Ain Chock. Seuls moins de 30 % des ménages sont formés de migrants originaires de régions rurales (surtout périphériques de Casablanca ; Provinces de Settat et El Jadida). Casablanca et ses différents quartiers sont pratiqués chaque jour par ces populations. Dans le cas de Lahraouiynes, 40% des chefs de ménages sondés disent travailler dans ou autour du marché de gros. Les activités dites informelles sont certes, pour une partie, liées à une demande particulière des populations pauvres de ces quartiers, mais elles restent fortement articulés aux activités et demandes de la ville « légale ». Les « hommes » sont pour la plupart absents en journée dans ces quartiers. Ils sont à « Casablanca » ! L’absence de système de transport formel n’empêche nullement l’articulation. Les charrettes remplissent pleinement cette fonction. Elles restent bien adaptées aux conditions locales (coût, fréquence, piste difficile) et on ne peut y voir un quelconque élément de rupture. Bien plus, les pratiques étudiées montrent des relations permanentes avec Casablanca ; outre les pratiques de la ville liées au travail, les lieux de loisirs des jeunes concernent aussi bien les quartiers de Moulay Rachid ou de l’Oualfa que le stade d’honneur du centre de Casablanca. A la question de l’appartenance, la réponse la plus fréquente reste Casablanca, même si une rectification de taille vient après que la question « êtes vous Casablancais ? » se voit opposée la réponse suivante : « comment peut-on dire qu’on est Casablancais lorsque nous vivons dans de telles conditions (absence d’eau potable dans les habitations, égouts à ciel ouvert..) !?! ». Des réponses qui montrent surtout un désir d’intégration à la ville (comme mode de vie). Le peu de références aux douars et régions d’origine s’accompagne d’un ancrage au quartier comme lieu où l’on va refaire sa vie. La majeur partie des personnes enquêtées voient dans leur installation dans ces quartiers de « l’illégal » une certaine promotion sociale par l’accès à la propriété. Sans doute devons nous préciser aussi les types de milieux sociaux concernés ; des catégories de population particulières marquées par des bas revenus issus des petits métiers, chômeurs, manœuvres et ouvriers (32% à Lahraouiynes), mais aussi quelques éléments de couches moyennes (chauffeurs, retraités, petits commerçants constituant jusqu’à 27% des actifs à Lahraouiynes). Ainsi, seule une faible frange des populations de ces quartiers (partie supérieure d’une couche moyenne en difficulté ayant un long passé urbain) voit dans son installation dans ces quartiers un reclassement social par le bas et refuse sa « mise à niveau », arguant un prochain départ. Ces différents éléments convergent vers un processus d’ancrage mu par un sentiment d’appartenance au quartier. Les quartiers d’habitat non réglementaire donnent bien lieu à une construction sociale. Les rapports de voisinage font intervenir des solidarités maintes fois décrites (2004, A.Iraki). La lutte pour l’équipement du quartier marque une forte implication de ces populations (référentiel d’appartenance nourri surtout de conditions communes de marginalité) contrairement aux cités de « recasement » dont la majeur partie des ménages proviennent des bidonvilles (56% des ménages de la cité Massira) alors qu’une minorité se dit satisfaite et non intéressée par un futur départ (37% dans le cas de la cité Massira décrite par A.Rachik, 2004). Des réponses qui demandent de revisiter surtout le lien social dans les cités de recasement que les nouvelles politiques publiques veulent généraliser !

Désir d’intégration et construction d’un champs politique local

Au niveau politique, le désir d’intégration et la prise de conscience d’un droit au service public va devenir un enjeu politique majeur. Comme le souligne P.Heani, l’approche duale de la pratique politique balançant entre les deux pôles de la déférence (culture de régulation de type clientéliste) et de l’émeute niant la possibilité de tout espace de citoyenneté (1999, A. Rachik,) demanderait révision. La participation politique « des habitants ordinaires » pour l’amélioration de leurs conditions de vie ouvre un champ politique local. A Lahraouyines et Lamkansa, cela s’est vérifié tout au long d’un processus ayant amené l’électrification puis les négociations ouvertes autour de la restructuration.
Dans ce processus, la place des mouvances islamistes est bien souvent considérée comme inhérente à ce type de milieu ; les jeunes islamistes prendraient leur revanche. Or, tous les cas étudiés montrent l’émergence d’une élite de proximité issue du quartier en dehors de toute mouvance islamiste. Le mouvement islamiste est dans un rapport d’extériorité. Il se territorialise dans ce milieu en créant des relais, en recrutant parmi les jeunes du quartier. Mais le champ politique local est loin de reposer sur leur seule présence !(2005, L.Zaki)

Ces quelques remarques sur les quartiers d’habitat non réglementaire de la périphérie sud de Casablanca invitent surtout à développer des approches plurielles interrogeant aussi bien l’imaginaire, le référentiel d’appartenance, les sociabilités de ces populations que le passage à des formes de l’action politique. Il s’agit de ramener les expressions politiques au territoire, de porter l’attention sur les modalités sociales d’organisation collectives, le leadership local et son articulation au système politique formel (municipalité, acteurs institutionnels).