Pendant longtemps, les économistes ont analysé les économies nationales sous l’angle unique des deux facteurs de production communément admis : le capital (épargne nationale ou investissements) et le travail (population active). La combinaison entre ces deux facteurs étant censée expliquer la production d’un pays ou d’une entreprise. Toutefois, la majorité des économistes admettent actuellement la pertinence de la prise en compte d’un troisième facteur : le capital humain. En effet, il s’agit du chaînon manquant expliquant l’émergence de nouveaux dragons ou le déclin amorcé d’anciennes puissances. Le capital humain n’a pas de définition exhaustive mais pourrait être conceptualisé par l’ensemble d’éléments intangibles permettant la production. Cet ensemble peut aller de la recherche scientifique aux traditions socio-économiques, en passant par l’histoire. Le témoignage le plus illustratif de l’importance du capital humain est celui de Jack Welch, l’ex-PDG de General Electric, qui affirmait ne pas regretter les investissements faits en Inde malgré leur faible productivité financière en raison de leur apport en terme de talents pour le groupe qui a pu recruter plusieurs compétences indiennes. De même, plusieurs firmes internationales investissent dans des centres de recherche en Inde dans le but de profiter de son capital humain. Dans le concept de capital humain nous pouvons essentiellement distinguer trois éléments importants : la recherche et développement, la gouvernance et les compétences. La recherche et développement permet la création de nouveaux produits innovants ou la réduction significative des coûts de production. Une recherche efficiente permet à un pays de générer des richesses supplémentaires grâce à une meilleure utilisation des capitaux et de la force de travail. En effet, la maîtrise de la science et de ses débouchés industriels permet aux pays de rattraper leur retard de développement ou d’accentuer leur avance technologique. L’un des exemples qui corroborent le plus cette importance est illustré par la Finlande avec l’entreprise Nokia, actuel leader du marché de la téléphonie mobile avec une part de près de 33%. La Finlande n’avait à priori ni la plus grande quantité de capitaux au monde ni la main d’œuvre la plus pléthorique (cf. encadré). La recherche et développement fait partie des enjeux les moins bien intégrés par les pays dans leur problématique de développement. En effet, le stimulateur de la recherche industrielle est la recherche scientifique fondamentale généralement financée par les pouvoirs publics. Ainsi, un Etat en voie de développement aura du mal à consacrer des ressources financières et humaines importantes à la recherche scientifique en raison de l’impact long-termiste, en contraste avec des besoins de court terme. De même, les entreprises des pays non développés rechigneront à consacrer des dépenses à des fonctions qui ne sont pas productives à court terme, d’autant plus que l’accompagnement étatique par une recherche scientifique abondante est inexistant. La gouvernance est l’ensemble de règles qui régissent un pays, une organisation ou une entreprise. Ces règles concernent autant la répartition des pouvoirs que les règles d’arbitrage des conflits. Un pays ou une entreprise régis par des règles de bonne gouvernance éviteront les pertes de ressources consécutives aux luttes pour le pouvoir, l’appropriation illégale de biens ou la non résolution des conflits. Ces pertes peuvent aller des budgets sécuritaires disproportionnés aux grèves interminables. De même, l’accumulation de capital ou l’épanouissement du travail sont favorisés par la bonne gouvernance en raison de la protection de la propriété privée et du respect des contrats. L’un des exemples les plus illustratifs de nos propos est celui des pays qui adhèrent à l’Union européenne. Ces pays insuffisamment développés précédemment ont du respecter les critères d’adhésion inspirés des différentes recettes testées de bonne gouvernance. Ce respect de l’esprit de ces critères a permis à ces pays de se développer et de bâtir rapidement un socle de capital humain impressionnant. Les compétences de la force de travail d’un pays sont une composante essentielle du capital humain. Ces compétences peuvent aller de la formation initiale à la polyvalence en passant par le multilinguisme. En effet, une main d’œuvre non qualifiée limite les gains de productivité et ne permet pas de profiter des autres chaînons du capital humain comme la recherche ou la bonne gouvernance. Par exemple, Nokia aurait eu du mal à se développer avec des ouvriers sachant à peine lire leur manuel de travail ou des cadres ne comprenant pas le processus de la mondialisation. L’enjeu de la compréhension de l’importance du capital humain est vraiment primordial pour les pays en voie de développement, puisque tout développement durable est tributaire de ce facteur. En effet, ce n’est pas le développement économique qui crée la recherche, engendre la bonne gouvernance ou stimule le foisonnement des compétences, comme en témoigne l’exemple des pays riches grâce à des ressources naturelles. En particulier, nous pouvons penser que c’est la réunion de ces conditions qui permet d’aboutir au développement économique grâce à un capital humain de qualité attirant les capitaux physiques et permettant une meilleure combinaison des facteurs de production. En conclusion, malgré l’insuffisance de ressources, un pays en voie de développement ne doit pas négliger la recherche scientifique, l’éducation nationale, la formation et l’encouragement de la recherche au sein de ses entreprises. De même, la généralisation des pratiques de bonne gouvernance n’est pas un luxe mais une condition nécessaire pour le développement économique. (paru dans sezame n°6, novembre 2006)