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Catégorie : France
Le contrat première embauche, c'est le symbole d'une rupture. Une rupture de discours idéologique sur le chômage des jeunes appréhendé non plus par le biais du coût du travail ou de la formation, mais par celui de la flexibilité. L'innovation avait de quoi réveiller le peuple de gauche, ce qu'elle a fait. Mais elle a fini aussi par plonger les troupes UMP dans une profonde inquiétude. Car le CPE, c'est aussi l'histoire d'un rapt politique : la rupture, c'était en principe l'attribut présidentiel de Nicolas Sarkozy, l'atout maître grâce auquel le président de l'UMP devait s'imposer en 2007 comme le candidat du changement et battre tous ses concurrents. Dominique de Villepin lui a dérobé le feu, il a allumé l'incendie, et, depuis, la droite ne sait plus si elle doit tenir bon ou négocier. La rupture avant l'heure l'a complètement prise au piège.
Lorsque, en janvier dernier, Dominique de Villepin met au point le nouveau contrat destiné aux jeunes, il sait évidemment qu'il prend un risque : la flexibilité est un sujet sensible pour ne pas dire tabou en France, mais c'est un risque parfaitement assumé : « Pour nous, l'année essentielle, c'est 2006, pas 2007 », répète-t-il. Sa stratégie est limpide : profiter des douze mois utiles qui lui restent avant l'élection présidentielle pour bousculer les lignes, engranger des résultats, dévitaliser le discours de rupture que tient Nicolas Sarkozy et qui ressemble trop à un procès sans appel du double mandat chiraquien. Ce sera donc la rupture avant l'heure, mais à la mode Villepin : le Premier ministre refuse le contrat unique, qui est le cheval de bataille du président de l'UMP et qui consiste à proposer le même type de contrat de travail pour tout le monde, avec des garanties qui vont crescendo avec le temps. « Ça, c'est de l'idéologie. Moi, je suis un pragmatique », rétorque-t-il. Il préfère inventer un produit spécifique pour les jeunes. Un produit certes très flexible, mais assorti d'un nombre de garanties supérieur à celui du contrat nouvelles embauches, qu'il a offert quelques mois plus tôt aux entreprises de moins de 20 salariés et qui commence à bien marcher. Et c'est sur ces garanties nouvelles qu'il fait campagne pour rassurer les jeunes. Au début, son pari semble gagné. Dans les universités, la mobilisation est poussive, mais, brusquement, c'est l'opinion tout entière qui décroche : le CPE, pour une majorité de Français, n'est pas la solution pragmatique au chômage des jeunes. C'est au contraire un outil qui valide la précarité. La bataille de l'opinion est perdue. L'affrontement social peut commencer.


Depuis, Dominique de Villepin est face à un quitte-ou-double. Tenir ou manger son chapeau. Tenir, c'est sa pente naturelle, son côté bravache, son pari politique. S'il tient, il déjoue la malédiction de la droite qui, face aux mouvements sociaux, a, ces dernières années, beaucoup reculé : Jacques Chirac en 1986 avec la réforme Devaquet, Edouard Balladur en 1994 avec le contrat initiative-emploi, Alain Juppé en 1996 avec les grandes grèves des transports. S'il tient, c'est lui qui, dans l'histoire de la droite, aura vraiment incarné la rupture, réveillé le clivage entre la gauche et la droite et peut-être aussi donné un coup d'arrêt aux extrêmes, qui se nourrissent du « bonnet blanc et blanc bonnet ». Mais tenir, c'est aussi aller à l'épreuve de force, c'est se rendre impopulaire. C'est risquer de tuer dans l'oeuf toute idée de rupture pour 2007. L'UMP tout entière est prise au piège du CPE. Elle hésite ; elle se dérobe ; elle attend les consignes de Nicolas Sarkozy, qui, avec ses trois casquettes de numéro deux du gouvernement en charge de la sécurité, de candidat à l'élection présidentielle et de président du parti majoritaire, est pris dans d'inextricables contradictions.


- En tant que numéro deux, il est soumis au devoir de solidarité : nul ne comprendrait, dans son électorat, qu'il abandonne le navire en pleine crise et renonce à garantir la sécurité. Mais chaque jour qui passe accroît son inquiétude : la violence monte dans les manifestations, les banlieues se remettent à flamber, les risques de bavure s'intensifient. Il ne veut pas, en tant que ministre de l'Intérieur, avoir un mort sur la conscience comme Charles Pasqua en 1986 avec le jeune Malik Oussekine.


- En tant que candidat à l'élection présidentielle, il ne peut évidemment pas désavouer ouvertement le CPE, car ce serait condamner l'idée même de flexibilité et dévitaliser son discours. Mais il ne peut pas non plus prendre le risque de se couper de la jeunesse, car c'est alors toute la dynamique de sa campagne qui en pâtirait - « je ne veux pas d'un fossé entre la droite républicaine et la jeunesse », a-t-il répété samedi devant ses troupes.


- En tant que président de L'UMP, il ne peut pas se désolidariser de la base, qui appelle le gouvernement à tenir bon, mais il voit bien en même temps l'inquiétude des députés, qui craignent pour leur ré- élection en 2007. Et c'est ainsi que l'on voit depuis quelques jours Nicolas Sarkozy flotter, appeler à la fermeté et en même temps au dialogue. Pour lui, la bataille du CPE ressemble à un match perdant-perdant. A moins d'être celui qui, le moment venu, apportera la solution qui sauve la face de tout le monde. C'est ce qu'il tente de faire depuis lundi soir en préconisant la non-application du CPE, le temps que le gouvernement négocie avec les partenaires sociaux des aménagements qui pourraient être discutés au Parlement lors d'une nouvelle délibération du texte. Les deux rivaux de l'UMP jouent à front complètement renversé et Jacques Chirac, qui doit intervenir jeudi, est soumis à un choix cornélien : soutenir la rupture villepinienne ou rallier le compromis sarkozien. Le match de 2007 a bel est bien commencé.


Source : les Echos 29.03.06
RANÇOISE FRESSOZ est éditorialiste aux « Echos ».