Ce texte est un témoignage, il essaie de se coller à la quotidienneté des européens de confession musulmane en général et des français d'entre eux, en particulier. Il décèle ainsi leurs organisations, leurs relations avec la société et leurs devenirs au sein d'une Europe élargie.

Des concepts


Les termes et concepts utilisés pour la désignation de ces populations nouvelles et anciennes en même temps, d'où les différents paradoxes, déterminent en grande parti la façon avec laquelle nous élaborons nos recherches, nos décisions politiques et nos choix de sociétés.

Parler d'un islam européen ou français ce n'est pas la même chose quand on parle d'un islam d'Europe ou de France ou encore des citoyens de confession musulmane, à voir des citoyens tous simplement, avec la difficulté de définir le citoyen et la citoyenneté.

Tolérer ou respecter : un choix s'impose. Qui tolérer ? On vous répond l'autre. C'est qui l'autre, comment le définir et l'identifier ? des questionnements qui se posent et qui intriguent. Peut-on y échapper en considérant cet autre, qu'on n'a pas envie d'identifier ou que l'on trouve des difficultés dans la définition de son altérité, comme un être qui nous accompagne dans la vie de tous les jours ?

De la diversité Culturelle


La diversité et le multiculturalisme sont des réalités de l'Europe. Les multiples initiatives de l'Union européenne le confirment par l'intermédiaire d'un Parlement qui après avoir reconnue la contribution de la civilisation islamique à la culture européenne en 1992 parie sur une Europe pluraliste et ouverte respectant ses minorités.
La présence de l'islam et des musulmans en Europe n'est pas un fait nouveaux.
Les musulmans venus pour contribuer à la construction de l'Europe s'y sont installés et sont devenues des citoyens, responsables, au même titre que leurs concitoyens, de l'amélioration de la société à laquelle ils appartiennent.
Les 12 millions de musulmans d'origine maghrébine, turque, indienne, égyptienne, comorienne, malienne… cultivent avec la société un vivre ensemble et œuvrent activement pour une meilleure insertion dans l'espace public européen.

Malgré le désintérêt apparent à la question européenne, l'Europe est dans notre quotidien de tous les jours : l'euro, les normes et décisions européennes, les diversités culturelles et religieuses sont les quelques expressions de cette Europe de tous les jours.

La présence de l'islam au cœur de l'Europe, questionne sur les rapports avec le religieux et le politique, réveil les vieux démons et encourage d'autres traditions à plus de visibilité et plus de réactivité dans la vie de la cité. La connaissance de l'islam et des musulmans contribuera à l'apaisement des relations et à la cohésion nationale et européenne.

Le paysage musulman européen s'est transformé, les nouvelles générations désirent s'impliquer dans la vie spirituelle, économique, politique et culturel de l'Europe. Les musulmans vivent certes une discrimination, mais ne veulent plus être enfermé dans un esprits de victimisation, ils veulent être des citoyens à part entière et agissent pour qu'ils aient la place qu'ils méritent. La classe moyenne de ces populations de cultures musulmanes est le fer de lance pour une présence active et enrichissante.

islam ou islams


Pour désigner la diversité des musulmans d'Europe nous parlons souvents des islams. Comment les musulmans perçoivent cette pluralité, voulue, de leur religion ? on vous dira que l'islam est un et les musulmans sont divers. Les nuances que nous apportons parfois entre Islam et islam ne sont pas perceptibles par le commun des mortelles. D'où les confusions qui se créent lors des débats.

Nous voulons un islam gallican, ce dernier existe-il ? sommes-nous entrain de transposer l'histoire religieuse de la France sur l'islam que nous désirons qu'il soit un islam français gallican à l'image de notre catholicisme et notre judaisme. Qu' est ce qui caractérise cet islam ? Ses textes fondateurs, sa jurisprudence, ses relations avec la société ? Les réponses ne sont pas toujours claires ni de la part des musulmans ni de la part des autorités publiques ou de la société. Voulons nous-être simplement dans l'air de la communication et suivre les tendances médiatiques ? Nous dira t-on que la religion, elle même n'est qu'un fait médiatique et de communication avec nos termes modernes?

Dans une Europe élargie qui se dirige vers une harmonisation de ses lois de ses économies de ses religions, allons nous se trouver devant 25 islams. Sans compter les islams des étrangers qui ne sont pas des citoyens européens.

On vous dira que chez les musulmans, il y a une unité dans la dIversité. Les grands moments de la pratique religieuse sont les mêmes à travers le monde. Cependant les expressions culturelles divergent d'une aire culturelle à une autre, d'un pays à un autre, d'un village à un autre et même d'un musulman à un autre.

L'absence d'une hiérarchie cléricale fait que les interprétations sont diverses mais gardent en elles-mêmes un fil conducteur qui ne heurte pas le socle fondateur de la religion. La plupart de ceux qui parlent de nécessité d'une réforme au sein de l'islam ne désignent pas une refondation de la religion ou le retour à une pureté religieuse, mais parlent d'une liberté d'interprétation qui devra suivre l'évolution des sociétés. Les textes dans leur majorité offre cette possibilité. Cependant nous pouvons être confronter à des lectures littéralistes qui s'enferme dans l'islam originel. Dans le monde de l’islam, qu’il soit majoritaire ou minoritaire, on souffre actuellement plus du système éducatif et de la transmission du savoir que de la capacité du texte à accepter la diversité des lectures et d’interprétation. Le long traitements politique et sociologique de la question de l’islam prive la visite de la pensée et de la théologie musulmane.

Vers une typologie des musulmans européens.


Le démantèlement de l’empire ottoman et par la même l’institution khalifal, la période coloniale et le contact avec l’occident ont poussé à la naissance d'un courant de réforme (Nahda) qui regardaient le salut dans un retour authentique aux textes tout en le débarrassant des traditions et en les contextualisant. Sur les cendres de l'empire ottoman est née la ligue arabe en 1952. Se trouvant orphelin d’un lien le monde arabe a développé le panarabisme qui a connu son apogée avec le parti du Baat iraqien et syrien et le leader égyptien Jamal Abdennacer. Le contexte politique de l’a guerre froide et la volonté du pouvoir saoudien de limiter l’influence de ce panarabisme attaché à l’idéologie marxiste et une sur-représentation, de l’arabité par rapport à l’islamité, poussera à la création de l'organisation de la conférence islamique, OCI en 1969, un ancien voeux du réformiste du XVIIIe siècle Jamal Eddine al Afghani, afin de contrer les figures de proue du panarabisme à l’époque sous l’influence de jamal abdennacer. Devant l’éclipse de l’idéologie communiste et l’affaiblissement de l’idéologie gauchiste, et dans l’espace mondialiste, nous commençons à entendre parler d’un islam libéral qui n’arrive pas encore à se définir sinon par opposition à la pratique religieuse ou à certain mouvement qualifiés d’intégristes et d’obscurantistes.

La pratique religieuse des musulmans ne différe pas des autres confessions. Nous retrouvons ainsi une majorité qui se dit de confession musulmane sans se soucier d'aller à la mosquée par exemple, Pour elle, témoigner d'être musulman suffit. Cependant nous remarquons ces dernières années une appropriation de certaines manifestations religieuses comme le Ramadan, l'aid el Kebir ou le mawlid. Ils deviennent des marqueurs identitaires le mois de Ramadan est un mois familiale de fête et de solidarité, l'aid el kebir un jour ou on se rappelle les traditions culinaires. Le mawlid (naissance du prophète Mohammed) un moment qui fait rappeler Noël. Nous sommes en pleine innovation culturelle qui ne laisse pas la société indifférente cette dernière réagit parfois négativement mais dans la plupart des cas positivement, dans un monde mondialisés les nouvelles générations acceptent plus facilement la diversité culturelle voir se la réapproprier. Les musulmans ne font pas exception eux-mêmes ils sont dans cette posture.

Les musulmans européens dans leur relation avec la société d'accueil ne différent pas des autres citoyens. Selon la façon avec laquelle nous allons définir l'Europe on définira les musulmans européens si c'est une définition religieuse nous allons ainsi distinguer les 12 millions de musulmans que nous considérons monolithiques. Si c'est un regard économique nous apercevons que ces populations vivent en majorité dans des conditions de précarité économique dû à leur origine et la nature de leur immigration principalement ouvrière. Si le regard est un regard politique ses populations peuvent être considéré comme une force constituante des sociétés européenne et qui confère à l'Europe un poids et une influence international considérable. Quant aux musulmans ils veulent dans leur majorité se définir comme des citoyens, ils ne veulent plus êtres définis par rapport à leurs religions qui veulent la vivre en intimité tout en l'exprimant en communauté dans des moments bien précis c'est ainsi que nous décelons les 3 demandes principales de ces populations musulmanes en Europe : avoir des lieux de culte dignes, des lieux de sépultures propres et un enseignement de la langue arabe. Les autres demandes sont des demandes.

A côté des 85% de citoyens européens qui ne fréquentent pas les lieux religieux, il y a ceux qui sont en contact quotidien à la religion à travers la pratique ces derniers à leurs tours ne sont pas monolithiques, ils sont très diversifiés et l'islam dit politique ne dépasse pas les 1 % nous pouvons ainsi faire cette classification sociologique :
Une pratique traditionnelle la plus répondu, si le musulman fréquente une mosquée ce n'est pas pour s'en servir comme tremplin politique ou prosélytisme mais uniquement pour se retrouver en groupe et accomplir son devoir religieux individuel.
Une pratique politique : il regarde l'islam comme une solution aux maux de la société, il milite ainsi pour propager cette idée. Nous rencontrerons au sein de cette frange tous le spectre de l'islam dit politique qui est à la recherche d'une islamisation de la société voir l'installation d'un Etat islamique, cette dernière est prise dans le piège d'absence de définition de ce qu'il veut dire par état islamique ce dernier non spécifié dans l'islam originel. Le referant serait la production historique de l'empire khalifal pour ne pas dire l'Etat khalifal.
Une pratique populaire confrérique qui a besoin d'un referant et qui cherche une vie en communauté, cette dernière peut devenir, si l'organisation du groupe est portée par la volonté d'affirmation de sa particularité, une entité politique voir économique forte.

Besoin d'une pensée libérée de l'idéologie


En Europe aujourd’hui, la grande difficulté des musulmans est l’absence de structure permettant une diffusion d’une pensée musulmane libérée de l’idéologie et d’un discours adapté à l’évolution de la société et à l’histoire européenne. On ne peut affirmer avec simplisme que les musulmans n’ont pas une expérience de la pluralité des religions. Il serait plus juste de dire que les musulmans contemporains sont prisonniers d’une grille de lecture qui se veut dominante et seule vraie, alors qu’elle n’est que circonstancielle et ne correspond pas à l’héritage de l’islam. Le discours politisé de l’islam étouffe l’expression de la pensée musulmane qui a toujours fait la différentiation entre le politique et le religieux. Longtemps, le discours autour de l’islam a été récupéré par des mouvements à finalité politique. Mais la majorité des musulmans sont dans cette tradition de distinction. Et l’évolution de certains mouvements religieux démontre cette pression de la base afin d'opter pour la distinction. C’est le cas principalement de la Turquie et du Maroc. Les nouvelles déclarations des Frères musulmans en Egypte, qui veulent transformer leur confrérie en un parti politique et même changer de nom, vont dans ce sens. Mais cette confrérie reste dans sa logique globaliste : l’islam est la solution, son programme de réforme pour l’Egypte, présenté en janvier 2004, met l’islam au centre de tout processus de changement.

Loin de l’Egypte, en France, la laïcité offre d’innombrables possibilités à une pensée musulmane libre et indépendante des pouvoirs politiques. Les responsables religieux musulmans sont-ils capables de percevoir cette opportunité et de mener un travail sur le discours, les concepts véhiculés et la nécessaire réforme de la formation des acteurs religieux ? Ce rôle leur est-il exclusif ou toutes les compétences sont appelés à y participer. Sans cet effort, ces aspirations resteront des vœux pieux. L’espoir demeure malgré tout dans ces nouvelles générations mariant une identification dans la laïcité et invitées à un regard plus objectif sur l’Islam et une spiritualité humaniste prônant une culture de paix.

Le rôle de la religion dans les sociétés modernes est un rôle éthique qui se complémente avec la pensée humaniste. Les sociétés modernes ont instauré dans la vie politique et sociale les valeurs de justice et de liberté ses valeurs il faudra les appliquer. Aux mouvements politiques musulmans il faudra revoir leurs agissements politiques et redéfinir leur positionnement par rapport à la société. Des classifications comme terre de l’islam de guerre ou de pacte ou encore de témoignage n’a aucun sens dans notre monde qui subit la globalisation et l’émiettement des exceptions culturelles. Définir de nouveaux universaux autour des acquis et de la reconnaissance de l’apport des autres cultures devient une source de coexistence et de survie des valeurs humaines de justice et de liberté.

La démocratie ne peut seule caractériser les pays occidentaux puisque des Etats non occidentaux sont devenus démocratiques. Définir l’Occident par des valeurs culturelles et/ou ethniques revient par ailleurs à opposer l’Occident au reste du monde.
L’Ouest ne peut plus en outre être défini par la seule Alliance Atlantique, alliance dont on se demande aujourd’hui - quelle que soit sa forme - si elle est encore nécessaire. Les Etats-Unis parlent désormais de coalition, pour des occasions particulières, alors que l’Alliance était une structure permanente.
L’évolution de l’Occident depuis la fin de la Guerre Froide conduit aujourd’hui à plusieurs questions et réflexions sur les valeurs et intérêts qui nous unissent ou nous divisent. Ces derniers ne sont finalement ni plus ni moins éloignés qu’ils ne l’ont été par le passé. Les divisions sur nos valeurs sont plus complexes qu’il n’y paraît. Car c'est toute la question de l'identité philosophique de l'Europe qui transparaît au grand jour. Et Kant peut nous aider peut-être à y voir plus clair dans ce labyrinthe de nos désirs et de nos peurs avec serennité et écoute de l'autre. " Qui sommes-nous? Que pouvons-nous faire? Que nous est-il permis d'espérer ? "

* Intérvention à la conférence de Clôture du projet européen SOCRATES : Tolérance et entente avec nos voisins musulmans. Du 11 au 13 novembre 2004, à Montigny les Metz