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Catégorie : Chronique
La prise d'otages d'al-Khobar du samedi 29 mai 2004, en Arabie saoudite, qui s'est soldée par un bilan encore provisoire de vingt-deux morts et vingt-cinq blessés, ne semble plus étonner grand monde tant le royaume saoudien a pu être, depuis un an, la cible de maintes attaques terroristes. Riyadh, Younbou, La Mecque… autant de villes saoudiennes qui ont pu mettre en exergue le clair risque de déstabilisation auquel c'est la famille royale qui, plus que tout, fait face aujourd'hui. Que ce soit par des opérations spectaculaires ou suite à des traques et poursuites par les forces de sécurité saoudiennes, maints réseaux ont en effet pu être partiellement démantelés ces derniers mois, mais sans que l'Arabie saoudite ait pu porter pour autant un coup d'arrêt efficace à une menace dont la réalité est de toutes façons loin de pouvoir être endiguée. Il semble vain de chercher à déterminer quel type de cibles ces actions terroristes ont pu privilégier pour le moment. Si des habitations, instances gouvernementales et compagnies pétrolières ont pu constituer pour le moment l'essentiel des attaques, il convient de garder à l'esprit que, dans les faits, personne ne peut aujourd'hui en Arabie saoudite assurer être prémuni d'une attaque à son encontre. Seule certitude cependant, même si elle reste peut-être temporaire et en tous cas toute relative : les nationaux semblent ne pas être directement visés par de telles attaques. Les auteurs de ces actes ont en effet, par leur stratégie déterminée, le souci de pouvoir s'assurer le soutien du plus grand nombre possible de citoyens saoudiens.

Mais l'attaque d'al-Khobar, qui aurait été revendiquée a priori par le groupe al-Qaïda, confirme le double objectif poursuivi par les auteurs de cette prise d'otages comme par les responsables de toutes les attaques les ayant précédée sur le territoire saoudien : terroriser les ressortissants non nationaux du royaume, arabes soient-ils ou non, de façon à les pousser à quitter le pays au plus vite ; et frapper les intérêts économiques du royaume (symbolisés par le pétrole) de façon à dissuader les investisseurs étrangers de venir s'implanter sur le sol saoudien. Il convient, à cet effet, de garder à l'esprit que l'Arabie saoudite vient d'attribuer de nouvelles concessions pétrolières à des compagnies européennes, phénomène d'autant plus notable que les Etats-Unis n'auront finalement – pour le moment ? – pas bénéficié de cette récente distribution. Une preuve supplémentaire de la réelle crise que traversent les relations américano-saoudiennes, et dont les prémices étaient apparues bien avant le 11 septembre 2001, contrairement à ce que l'on croit souvent.

Il va de soi que, à terme, les groupes terroristes à l'action en Arabie saoudite comptent sur l'effondrement d'une famille royale saoudienne longtemps considérée comme pro-américaine et donc coupable de ce seul fait de traîtrise à l'égard du monde musulman comme de l'islam en tant que religion. Mais il y a aussi d'autres explications à ces actions. Que ce soit al-Qaïda ou d'autres forces qui soient à l'action en Arabie saoudite, il est une réalité qui ne devrait échapper à personne : le royaume traverse une crise sociale profonde, favorisée par un fort taux de chômage dont pâtissent en grande partie les jeunes saoudiens, et c'est pourquoi les autorités saoudiennes ne craignent pas tant l'immédiat que ce qui reste à venir, c'est-à-dire l'éventualité qu'il y a pour elles de voir une part sans cesse grandissante d'une jeunesse désoeuvrée approuver des groupes terroristes et radicaux, voire leur prêter main forte.

L'Arabie saoudite a engagé depuis peu une série de réformes amenées à faire preuve de l'engagement du royaume sur la voie de l'ouverture et de la modernité. Une démarche louable mais dont il faut reconnaître le caractère nécessairement lent : on ne change pas une société du jour au lendemain. Cependant, l'action des forces engagées dans la déstabilisation des autorités saoudiennes est indépendante de ce récent processus : Riyadh paie aujourd'hui à la fois le prix d'une sclérose idéologique qu'il a laissé mûrir sur son sol et le prix d'une politique sociale erronée car longtemps emmurée dans le doux confort que lui assuraient des revenus pétroliers certains et réguliers. Une situation qui a de fortes chances de pousser le gouvernement saoudien à accroître les mesures de rigueur adoptées dans le cadre de sa politique antiterroriste, ce qui reste compréhensible à tous égards… et même s'il doit garder en tête le risque accru que ferait peser sur lui toute accusation étrangère tendant à rendre les groupes en présence sur son territoire responsables de connexions avec quelques-uns de leurs supposés homologues en présence en Irak, par exemple. Parallèlement, l'Arabie saoudite aurait fort à gagner en entreprenant deux types de démarches : d'une part, opter pour des réformes structurelles que lui permettent encore, et quoiqu'on en dise, ses dividendes pétroliers ; et, d'autre part, mettre en place une politique de communication qui soit à même de faire état des réalités que traverse le royaume actuellement. Sans quoi, c'est la perte de tout soutien international qui risquera de porter le coup le plus fatal à l'Arabie saoudite.

Barah Mikaïl
Fondateur du cabinet de consultants ispri.com et chercheur sur le Moyen-Orient à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS)