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Catégorie : Chronique
Le sommet de la Ligue arabe vient de clore sa 16ème session, qui s'est tenue à Tunis les 22 et 23 mai. Les pays arabes s'y seront finalement distingués par des décisions qui risquent pour la plupart d'entre elles d'être vite mises en sursis, comme de coutume. Il n'en demeure pas moins que, prises au pied de la lettre et dans leur globalité, certaines des résolutions adoptées ne devraient pas manquer d'interpeller plus d'une personne, tant le sens qu'elles colportent risque de s'avérer très peu bénéfique pour le monde arabe. Le semblant de crise apparu après la brutale annulation de la 16ème session de la Ligue arabe par le président tunisien, le 29 mars dernier, semble finalement avoir pu être dépassé. Il est vrai que dans l'intervalle, les dirigeants des 22 Etats membres de la Ligue arabe, soucieux qu'ils sont de ne pas afficher une preuve supplémentaire de leurs divisions, auront trouvé le temps et les moyens pour dépasser les raisons qui avaient entraîné le report de la session de mars 2004. Rappelons – ou plutôt confirmons – que celles-ci concernaient exclusivement des enjeux liés au conflit israélo-palestinien, puisque le président Ben Ali avait voulu, par sa décision soudaine de suspension, anticipé le souhait qu'avaient maints Etats de voir certains membres du Mouvement de la Résistance islamique (Hamas) palestinien être conviées au sommet. L'émotion suscitée à l'époque par l'assassinat du cheikh Ahmed Yassine, fondateur du Hamas et responsable politique de la section cisjordanienne de ce mouvement, tombait en effet à point nommé pour asseoir dans les opinions publiques occidentales l'idée que la résistance palestinienne était légitime et dissociée du terrorisme à proprement dire. Une idée qui n'était cependant pas du goût du président tunisien, qui aura préféré se soumettre à des exigences américaines qui demeurent prégnantes dans la détermination de l'évolution de la région.

La 16ème session de la Ligue arabe aura finalement mis l'accent sur des dispositions qui restent pour beaucoup liées à la conjoncture que traverse la région. L'invasion de l'Irak par les troupes américano-britanniques en mars 2003 continue en effet à s'accompagner d'incertitudes et de pressions qui conduisent beaucoup des régimes arabes à vouloir s'épargner une situation inconfortable de gouvernement potentiellement éjectable. D'où l'adoption de décisions prônant l'intérêt collectif et le soutien mutuel… en apparence du moins.

Il faut en effet prendre conscience de ce que l'expression de la solidarité des Etats-membres de la Ligue arabe avec la Syrie, du fait des sanctions récemment opposées par le président Georges W. Bush à son encontre, fait figure en fin de compte de disposition légère, tant le fait de se sentir solidaire d'un pays n'est en rien synonyme de claire et franche indignation. Or, ces pas initiés par Washington gagneraient à être sérieusement pris en considération, tant ils risquent de signifier à terme, et si aucune réaction significative n'est affichée de la part des Etats arabes, la forte probabilité d'une extension de l'action américaine post-Irak. Cas dans lequel peu de pays dans la région ne sauraient préjuger, à terme, de leur propre sort.

Par ailleurs, l'adoption par les Etats de la Ligue arabe d'une résolution stipulant, comme le rapporte l'agence Reuters, la "condamnation des opérations militaires contre les civils et les dirigeants palestiniens, ainsi qu'une condamnation des opérations contre les civils, sans exception", risque de se révéler à double tranchant pour les gouvernements de la région. Si personne ne conteste, en effet, la nécessité morale qu'il y a de s'insurger contre toute atteinte à la vie des populations civiles, d'où qu'elle émane, une telle déclaration risque néanmoins d'acquérir une valeur d'engagement inconditionnel de la part de ses auteurs. Or, rapportée au cas du conflit israélo-palestinien, cette formulation revient pour les gouvernements du monde arabe à faire des concessions gratuites à un gouvernement israélien qui, pour sa part, continue à fouler au pied toutes les résolutions l'enjoignant à arrêter ses exactions à l'encontre de la société civile palestinienne, à commencer par celles de l'ONU. Les gouvernements du monde arabe n'auraient-ils pu exiger une concession, même mineure, en échange de cet engagement ? Il faut croire que la volonté des membres de la Ligue arabe d'afficher un consensus, quitte à ce qu'il soit de façade, a été l'un des rares points de convergence de ce sommet.

Devant les risques pesant actuellement sur maints Etats du Moyen-Orient, tant du fait des velléités américaines dans la région que des claires déstabilisations provoquées par les dérives armées de groupes et mouvements internes, les gouvernements de la Ligue arabe devraient pourtant avoir bien plus conscience des bénéfices qu'ils pourraient tirer d'une solide action concertée qui soit à même de faire montre de leurs besoins effectifs. Faut-il dès lors, et a contrario, voir dans les importantes dispositions énoncées par l'Acte de Développement, de Modernité et de Réforme, que la Ligue arabe a adopté dimanche 23 mai, une prise de conscience par les Etats arabes de la nécessité qu'il y a pour eux d'entamer une nouvelle phase de leur histoire ? (A suivre)

Barah Mikaïl
Fondateur du cabinet de consultants ispri.com et chercheur associé sur le Moyen-Orient à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS)