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Catégorie : Chronique
De Rotterdam à Marseille, de Paris à Bruxelles, de Berlin à Stockholm… à chaque fois qu’il y a débat autour de l’intégration, même celui concernant l’entrée de la Turquie en Europe, les questions religieuses ressurgissent : statut de la femme, respect des lois du pays, séparation entre le politique et le religieux, relations avec les pays d’origine... Une responsable au service municipale de Rotterdam nous déclarait « quand les deux tours sont tombées à New York, elles se sont écroulées sur nos têtes; avant il n’y avait pas de référence à l’origine religieuse, on parlait de Marocains, de Turcs, de Somaliens, aujourd’hui on met tous le monde dans le même sac, c’est le musulman qui ne veut pas s’intégrer et qui cause problème ». Le débat qui s’annonce houleux sur l’intégration de la Turquie dans l’espace européen agit sur fond de peur de l’islam et des populations musulmanes, la force de l’Europe réside dans sa capacité à intégrer les populations du sud de la méditerranée, avec qui il y a une histoire commune romaine, phénicienne, musulmane, coloniale... La peur de l’islam doit être évacuée, nous ne vivons plus dans le contexte géopolitique des conquêtes du Moyen-âge, les expressions de radicalisme dans le monde musulman touchent en premier les arabes et les musulmans et ce n’est qu’une coopération commune dans le respect de chacun qui permettra de les éradiquer.
De nouvelles formes de société sont construites et de nouveaux rapports entre les individus sont apparus. Les différents traités et chartes pour le respect des droits de l’Homme, de l’enfance, des femmes donnent aujourd’hui un cadre légal dans lequel se retrouvent les valeurs communes visant le bien-être de l’humain et de la nature.
La pratique religieuse chez les musulmans ne diffère pas de celle observée chez les autres traditions religieuses, elle tourne autour des 15 % de la population; les grandes expressions religieuses sont plus traditionnelles et festives que rituelles, c’est le cas par exemple du mois de Ramadan et de l’Aïd el kébir où l’expression d’appartenance à une tradition est très forte. Les personnes issues de l’immigration se demandent pourquoi vouloir absolument rattacher leur quotidien à des questions d’ordre religieux.

En France, le débat fastidieux autour du foulard est presque clôturé, le soulever de nouveau de la part des musulmans ne fera qu’attiser les esprits et jouer le jeux de ceux qui ne veulent pas d’une coexistence paisible. Ce débat a relégué en zone d’ombre les vraies questions de la société et de l’intégration, les discriminations à l’embauche et au logement, l’échec scolaire et le taux élevé de délinquance, "l' invisibilité" dans l’espace politique, administratif et médiatique de personnes issues de l’immigration maghrébine notamment.

De la part de la société il n’y a pas de confiance dans ces anciens colonisés qui deviennent des « colonisateurs »- selon certains - qui n’ont pas de mémoire sociale locale, et qui font peur par leur cloisonnement et le peu d’implication dans les débats de la société dira-t-on. Le comportement de certains concitoyens ne facilite pas également les choses. Ainsi nous pouvons aujourd’hui avoir des débats inattendus avec des jeunes de quartiers « Pourquoi je vais poursuivre des études, sachant qu’une fois que j'aurai mon diplôme je serai obligé de porter le « costar », un habit contraire aux enseignements du prophète, sans parler de l’enseignement qui est mixte et qui nous pousse à enfreindre les directives de notre religion ». Quand on cherche le pourquoi de ce discours qui est, heureusement, très marginal, nous percevons la paresse, les motivations bridées par un avenir sans espoir, les conditions des quartiers déshumanisés, le taux de chômage élevé à cause de la discrimination mais également à cause d’une culture d’assistanat, combien de fois où nous rencontrons des gens inscrits au chômage mais travaillent à côté dans le marché noir, dans le trafic des voitures, le bâtiment, le business ethnique ; on reste ébahis lorsque nous apercevons des jeunes sans travail, sans ressources circuler dans des voitures derniers cris, pourquoi aller travailler si, avec peu d’efforts, on peut vivre dans l’illusion du confort. Un choix qui, généralement, conduit son auteur aux portes des prisons et fait gonfler leur population d’origine arabe qui représente plus de 65 % de la population carcérale.

Suite aux directives européennes, une haute instance de lutte contre les discriminations sera prochainement installée en France. Elle aura pour mission d’étudier les possibilités de promotion des populations défavorisées mais aussi de lutter contre les discriminations. De leur côté, des patrons d’entreprises réfléchissent également sur comment permettre à tous les citoyens sans distinction de profiter de l’ascenseur social. Des vœux pieux, s’ils ne sont pas accompagnés d’une vraie politique d’insertion et de valorisation de ces populations en précarité, ils resteront sans grand effet si nous continuons à cultiver les peurs du Maghrébin, de l’Arabe et du Musulman. La discrimination, nous la rencontrons également dans les lois du pays. Comment expliquer que des dizaines de milliers de citoyens vivant en France depuis des décennies ne puissent toujours pas voter aux élections municipales et régionales, comme leurs concitoyens européens, parce qu’ils n’ont pas la nationalité du pays, bien qu’ils aient pu montrer grâce à leurs activités économiques, artistiques, culturelles et sociales une parfaite adhésion à la culture du pays d’origine? C’est un nouveau regard sur le politique qui doit avoir lieu. Comment lutter contre la discrimination si les Lois ne permettent pas aux citoyens qui n'ont pas la nationalité française ou européenne d’être des fonctionnaires, des médecins, des pharmaciens, des architectes à part entière, leurs compétences et leurs expériences sont quotidiennement à l’épreuve. Des Lois votées dans les années 1930, à l'époque où les Ligues d'Extrême droite mettaient la pression sur les gouvernements, ont interdit aux étrangers, à l'époque ils étaient italiens et polonais, d'exercer un emploi dans l'administration et dans certaines activités notamment médicales. Qu'attendons-nous pour les supprimer? Un citoyen détenant la nationalité d’un pays européen et fraîchement installé est-il plus intégré qu’un Maghrébin ayant fait souche en France depuis des dizaines d’années?

Ces populations ne sont pas intégrables dans l’esprit de certains, à l’image du débat qui nous secoue aujourd’hui sur la Turquie, parce que nous vivons sur des notions de l’Occident plus idéologique que civilisationnel. Dans un monde où les frontières ont tendance à disparaître où le citoyen du monde prend petit à petit la place du citoyen de l’Etat-Nation, le chiffon rouge de l’appartenance religieuse ne cesse de surgir afin d’attiser les peurs de l’autre. Hier durant la Guerre Froide, la Turquie a été acceptée dans toutes les instances européennes et atlantiques. N’est-elle pas membre du conseil de l’Europe, de l’Otan ? La notion d’Occident a toujours été un peu contestable. Ainsi, le Japon est-il inclus dans l’Occident depuis 1945. Néanmoins et pour cause de Guerre Froide, en dépit des nuances et des neutralités de certains pays, le concept politique était clair et compréhensible. Depuis la fin de celle-ci, le concept d’Occident est cependant plus complexe et difficile à saisir.

La démocratie ne peut seule caractériser les pays occidentaux puisque des Etats non occidentaux sont devenus démocratiques. Définir l’Occident par des valeurs culturelles et/ou ethniques revient par ailleurs à opposer l’Occident au reste du monde.
L’Ouest ne peut plus en outre être défini par la seule Alliance Atlantique, alliance dont on se demande aujourd’hui - quelle que soit sa forme - si elle est encore nécessaire. Les Etats-Unis parlent désormais de coalition, pour des occasions particulières, alors que l’Alliance était une structure permanente.
L’évolution de l’Occident depuis la fin de la Guerre Froide conduit aujourd’hui à plusieurs questions et réflexions sur les valeurs et intérêts qui nous unissent ou nous divisent. Ces derniers ne sont finalement ni plus ni moins éloignés qu’ils ne l’ont été par le passé. Les divisions sur nos valeurs sont plus complexes qu’il n’y paraît. Car c'est toute la question de l'identité philosophique de l'Europe qui transparait au grand jour. Et Kant peut nous aider peut-être à y voir plus claire dans ce labyrinthe de nos désirs et de nos peurs avec serennité et écoute de l'autre. " Qui sommes nous? Que pouvons nous faire? Que nous est-il permis d'espérer ? "

Les Marocains de Rotterdam discutent de leurs intégration


La municipalité de Rotterdam, Pays Bas, a débloqué 500 000 euros pour l'organisation de débats internes aux communautés marocaines, turques et somaliennes et des débats publics pour la préparation d’une conférence internationale qui aura lieu en 2005. Les travaux seront conclus par la présentation d’une charte civile. Le premier débat interne à la communauté marocaine a eu lieu le 2 octobre 2004, il a démontré que les marocains de Rotterdam se considèrent comme des citoyens à part entière et participent à la vie économique, politique, sociale et culturelle de la cité. Il a ainsi rejeté les généralisations faites sur la non-intégration de ces populations tout en concluant qu’il y a des efforts à faire pour une meilleure compréhension mutuelle entre les différentes composantes de la société rotterdamoise dans le respect des spécificités. Mohammed Rabbae, une personnalité emblématique de l’immigration marocaine en Hollande, maître de conférence et ancien député sur les listes écologistes rappelle que " c’est vrai; certains de nos comportements ne rassurent pas les autochtones mais aujourd’hui les Marocains participent activement à la vie de la société, ils sont parfois primés comme des écrivains, des artistes, des sportifs,… de talent. Cependant il faudra participer activement à la vie démocratique, avoir des positions claires sur l’égalité des sexes tout en n’ayant pas peur de s’attacher à l’identité d’origine et d’en être fier, ce qui n’est pas en contradiction avec une société multiculturelle comme celle de Rotterdam où 163 nationalités cohabitent " .

L'une des questions agitée en permanence et de multiples façons – dans les médias, sur internet... - concerne l'islam et, en particulier, la question de savoir dans quelle mesure la pratique de cette religion limite ou favorise l'intégration sociale.
La représentation mutuelle entre musulmans et non-musulmans semble constituer une sérieuse entrave en la matière. Un autre thème récurrent est celui du lien (présumé?) entre religion et culture chez les musulmans.
Jusqu'ici, ces questions sont souvent débattues de façon sinon sournoise, du moins « sauvage » et sans aucune structure. Ce qui ne travaille pas à la création d'un climat de compréhension mutuelle et de conditions propices à l'intégration des musulmans dans la société.
La tolérance ne peut ni fleurir ni se développer au milieu des tabous.
Une discussion large et ouverte sur cette thématique serait utile à l'intégration et à la compréhension mutuelle entre les groupes de populations en œuvrant à la dissipation des peurs, des malentendus et des préjugés réciproques installés de part et d'autre.

Il importe donc, dans l'intérêt de la cohésion sociale à Rotterdam, que les musulmans et les non-musulmans développent une optique commune sur l'intégration sociale, afin aussi de stimuler la participation citoyenne de tous et un sentiment d'appartenance partagé sur la base d'un ensemble commun de valeurs et de normes.


Le plan Islam et intégration vise les résultats/objectifs suivants:

1 - Identification et formulation des points d'achoppement entre islam et intégration.
2 - Discussion au sein de la communauté musulmane de Rotterdam sur l'attitude à adopter face à la société moderne de Rotterdam.
3 - Discussion au sein de la communauté non-musulmane sur l'attitude à adopter devant le développement d'une religion nouvelle pour Rotterdam
4 - Il serait bien que les travaux débouchent sur une sorte de "Charte civique" qui donnerait fond et forme à une nouvelle manière d'être ensemble entre musulmans et non-musulmans à Rotterdam. Elle pourrait servir de modèle au niveau national et international pour la manière dont les musulmans et non-musulmans peuvent ensemble donner forme au monde moderne.

Cette question dépasse la ville de Rotterdam, elle est posée aujourd’hui à l’ensemble des musulmans d’Europe. Les débats s’annoncent très chaud.