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Catégorie : Chronique
Le Coran doit-il, peut-il être étudié ? Question qui devrait ou peut sembler incongrue. Pourtant si l’on regarde l’abondante production francophone d’ouvrages de qualité rédigés par des musulmans et des islamologues depuis un siècle, on observe un déséquilibre entre le nombre d’ouvrages à caractère historico-sociologique, philosophique et mystique (tasawwuf) et la rareté de ceux portant sur le commentaire méthodique du Coran (tafsîr). Certes, ce déséquilibre passéiste au profit du hadîth, du fihq et du tasawwuf, au détriment de leur actualisation dans le politique, les sciences de la nature et l’édification communautaire par l’inspiration vivante coranique n’est pas spécifique à la production francophone. Pourtant, depuis un siècle, nombreux et vigoureux ont été, dans la Umma, les appels à « revenir au Coran » : M. Abdu, R. Rida, M. Iqbal, Ibn Badis, M. Ashur, A. Tabatabaï, M. Mutahhari, M.B. Sadr. Comment répondre à cette pressante invitation sans cesse oubliée, toujours reprise depuis Adam (Coran 20-115) ? Comment plonger dans les sept océans des Paroles d’Allâh (Coran 31-27 et 18-109) ? Car, il s’agit bien d’abord de cela : oser le saut dans l’inexprimable, oser se mesurer à l’Infini, pour éprouver la crainte protectrice (taqwâ), la modestie, la simplicité, au risque de l’oubli et de la perte et, en même temps, source de jouvence et de renouvellement grâce à une énergie inépuisable.
Mais, l’acceptation du dépôt (amâna), la ferveur confiante et vivificatrice (îmân) ne sont-elles pas le risque de la foi ? Car, bien loin de nous rendre possesseur d’une certitude, s’immerger dans le Coran, travailler dans le Coran, nous ouvre (fataha) à la recherche (sharh), au questionnement sans fin, loin de toute attitude dogmatique, de toute doctrine ou croyance. L’arabe, langue de l’action prophétique ne se plie pas à la logique du système clos. Le Coran nous propose une guidée (hudâ), une orientation (qibla), une voie (sirât), un chemin, un sentier (sabîl, tarîq, sharî`a, sunna, minhâj), mieux même, une migration (hijra), un voyage (siyâra), une quête (hajj). Se laisser habiter (sakîna) par le Coran est une invitation à agir, c’est par elle qu’il nous met en mouvement. La quête patiente et méthodique de sens permet la découverte de la multiplicité des interprétations qui, bien loin de faire naître le doute, devient le signe fécond de l’Infini des paroles d’Allâh, celles-ci ne devenant vivantes que parce qu’on les récite (qara’a), les remémore (dhakara), les médite (dabara), les étudie (darasa), les commente (fassara), quête incessante par la reconduite à son sens premier (ta’wîl), à son noyau médulaire (lubb, pluriel albâb) : « Ne méditent-ils pas sur le Qur’ân, ou bien, y a-t-il des cadenas sur leurs cœurs ? » (Coran 47-24). « Une écriture bénie que Nous avons fait descendre jusqu’à toi afin qu’ils méditent ses signes et que ceux qui sont doués de conscience profonde (ûlû-albâb) se souviennent » (Coran 38-29).

Quelques suggestions pour s’immerger dans le Coran.


Filant la métaphore coranique des sept Océans pour évoquer l’inépuisabilité des Paroles d’Allâh, la langue arabe dans son intense concrétude nous conduit à cette évocation de la natation, car « subhân-Allâh », dans son sens premier n’exprime-t-il pas l’immersion dans le flux de la Présence d’Allâh ?
Entendu qu’on n’apprend à nager qu’en se jetant à l’eau, il relève de la responsabilité de chacun de s’élever dans le Coran, mais vu la vastitude d’une traversée qui côtoie l’autre rive absente (ghayb), il est d’autant plus prudent et nécessaire d’être accompagné par ceux qui l’ont entreprise avant nous. S’il est bien certain que l’on reçoit la descente du Coran comme s’il était adressé au for intérieur purifié de chacun d’entre nous, combien vivifiant aussi est le partage d’infimes, mais si présentes parcelles de paroles divines recueillies par chacun ? Variable selon les aptitudes, les savoirs constitués, les héritages culturels, les états intérieurs et surtout les expériences de vie, aucune acception, interprétation, ne peut être a priori rejetée, si ce n’est celle qui aurait la prétention de se considérer comme unique et définitive. Installer fermement le Coran comme initiateur par excellence permet de redonner à chaque être humain la possibilité d’être en situation d’apprenti. Cette patiente écoute de la pluralité des interprétations contribue à l’édification intérieure de chacun et est, en même temps, un apprentissage pour échanger arguments et points de vue différents dans le respect et la convivialité qu’inspire le noble Coran, faisant du même coup oeuvre de communauté.
Cet apprentissage permanent de la diversité, qui maintient vivantes les paroles divines, s’appuie aussi sur la multiplicité des interprétations qui nous ont précédées. Ici la diversité des langues de la Umma, bien représentée en Europe, ouvre un champ de possibilités immense qui permet d’avoir accès aux très nombreux commentaires coraniques (tafsîr), rédigés au cours d’une douzaine de siècles. Pour nous en tenir à l’espace francophone, est-il besoin de dire l’importance du travail de Pierre Godé, qui a rendu accessible en notre langue une partie du commentaire de Tabarî –portant sur le premier quart du Coran. La rigueur et le respect de la diversité des interprétations collectées, la modestie interrogative dans celle qu’il retient, sans jamais conclure péremptoirement, font de ce « tafsîr» un outil pédagogique indispensable. De même, la synthèse de grands commentaires classiques (Tabarî, Zamakhsharî, Râzî…), réalisée par Hamza Boubakeur, pour accompagner sa traduction du Coran est l’autre outil disponible qui permet d’entrer plus facilement dans le Coran avec ouverture et mesure 1.
A cela s’ajoute la quinzaine de traductions disponibles en français2. Il est fréquent d’entendre des critiques sur telle ou telle de celles-ci, mais mieux vaudrait reconnaître que toute traduction du Coran met l’interprète en situation risquée, mais courageuse : certaines sont plus littérales ou plus poétiques, plus inspirées ou plus érudites, plus scrupuleuses linguistiquement ou plus profondes philosophiquement, plus théologiques ou plus métaphysiques, plus patriarcales ou plus respectueuses des droits de chacun, plus conformistes ou plus libératrices, plus historicistes ou plus prophétiques. Cette diversité, avec toutes ses insuffisances –et comment peut-il en être autrement pour approcher la Parole divine– est homologue à celle des « tafsîrs », en est souvent l’écho d’ailleurs, et en cela-même plus stimulante. Accueillons-la comme telle ici, comme dans l’échange interpersonnel de diverses compréhensions, seule la prétention à la traduction unique et définitive est inacceptable.
Cette exigence de maintenir le Coran au centre axial, avec toute la diversité d’interprétations passées, présentes et à venir, in shâ’ Allâh, intensifie notre vigilance, notre attention, notre souci scrupuleux de la rigueur méthodique : condition d’un éveil toujours renouvelé pour découvrir le maximum des sens latents innombrables des Paroles divines. Ici, nulle exclusive entre intuition intérieure et intelligence méthodique, mais l’une sans cesse relançant l’autre. Pour ce faire, deux outils de maniement simple et de résultats inespérés : la consultation systématique de la « Recension des termes coraniques insérés dans les versets concernés » (al-mu`jam al-mufahrasu li alfâzh al-qur’âni-l-karîm présentée par Muhammad Fou’âd `Abd al-Bâqî) qui nous pousse toujours plus loin dans l’explication du Coran par le Coran ; la prise en compte des caractéristiques fondamentales de la langue arabe coranique par la recherche d’un retour au sens primordial de chacune des racines des termes coraniques, par l’attention portée aux modalités de l’action dans le verbe, par exemple. Tentant de restituer la langue prophétique à la tension incandescente entre le primordial et l’éveil apocalyptique, nous pouvons en faire une nourriture vivante pour aujourd’hui qui, ainsi, échappe à la menace du conformisme passéiste qui nous rend bientôt incapables de répondre à l’interjection quatre fois reprise dans les versets 17, 22, 32 et 40 de la sourate 54 : « Ainsi, Nous avons rendu facile la Récitation (Qur’ân) pour le rappel (dhikr). Y a-t-il quelqu’un pour se rappeler ? ».
Trop rares sont les mosquées qui offrent les possibilités de ce travail dans le Coran ; rares aussi les conférences et les colloques qui abordent explicitement le sujet ; restent quelques groupes affinitaires qui initient ce « jihâd » sans doute prioritaire pour notre communauté.
Nous allons illustrer ces quelques réflexions sur cette méthode de travail par une rapide étude sur quelques thèmes coraniques fondamentaux

La quasi absence de préfixes, surtout négatifs, pour former des mots.


Prenons comme exemple les deux racines ’AMN et KFR considérées comme opposées dans leurs significations et traduites généralement et respectivement par croire et « mécroire », ou être fidèle et être infidèle, etc. alors que la racine ’AMN signifie, à la 1ère forme verbale : être en sécurité, être en confiance, ajouter foi, adhérer. Dans le Qur’ân, elle est le plus souvent utilisée à la 4ème forme verbale et prend le sens de : rassurer, sécuriser, tranquilliser, mettre à l’abri, porter ou donner la sécurité. Elle est construite avec la préposition Bi, avec, par, au moyen de. ’AMaNa Bi signifie alors sémantiquement : porter la foi en, sécuriser par, se rassurer par. En conséquence, le nom d’agent (ism fâ`il) correspondant, mu’min, pourra se rendre par : celui qui porte la foi, la sécurité, celui qui fait confiance, qui rassure ; c’est aussi bien un Nom divin qu’un nom qualifiant les humains. Par exemple et dans cette perspective purement sémantique, on pourrait traduire ainsi le verset 285 de la sourate 2, la Génisse : « Le Messager s’est sécurisé par (ou = a porté la foi en) ce qu’on a fait descendre jusqu’à lui venant de son Seigneur et aussi ceux qui se sont sécurisés (ou = les porteurs de la foi). Tous se sont sécurisés par Allâh, Ses Anges, Ses Ecritures et Ses Messagers. Nous ne faisons aucune distinction entre Ses Messagers... »
La racine apparemment opposée KFR signifie principalement : couvrir, recouvrir, faire disparaître, enfouir, enfoncer, enterrer, repousser, rejeter. Il découle de ses différentes acceptions voisines deux idées qu’on peut rapprocher :

1/ L’acte du cultivateur qui enfouit ou fait disparaître la semence sous terre. Le participe actif pris comme nom est « kâfir», nom donné, dans le lexique, au paysan quand il enfouit la graine, comme dans la sourate 57, verset 20 : « Sachez que la vie immédiate n’est que jeux, amusement, parure, rivalité d’orgueil entre vous et concurrence dans l’accroissement des biens et le nombre des enfants. Elle est semblable à une pluie abondante : la végétation qui en résulte a d’abord étonné les agriculteurs (kuffâr, pluriel de kâfir) (ou ceux qui ont enfoui la semence ou la foi). Puis elle se fane et tu la vois devenir jaune et ensuite débris desséchés... »

2/ L’attitude et la qualification de celui qui rejette, repousse, enfouit la foi, comme il résulte de nombreux versets ou ce vocable est mentionné. KaFaRa bi, quand il est transitif indirect ou intransitif en arabe, signifie alors, toujours sémantiquement, repousser, rejeter ou enfouir à l’aide de. Citons le verset 155 de la sourate 4, pour illustrer cette construction : « ...à cause de la rupture de leur alliance, de leur rejet (kufri-him) (à l’aide) des Signes d’Allâh, du meurtre qu’ils ont commis sur les prophètes sans droit véritable et de leur propos : « Nos cœurs sont insensibles ! » C’est bien plutôt Allâh qui a mis un sceau sur eux à cause de leur rejet (ou = de leur reniement, kufri-him). Ils ne portent pas la foi ou si peu (lâ yu’minûna illâ qalîlan) ! ». La fin du verset 5 de la sourate 5 contient les deux racines en question ’AMN et KFR, côte à côte, et pourrait se traduire mot à mot de la façon suivante : « ...quiconque rejetterait la foi (man yakfur bi-l-îmâni) (ou = quiconque renierait en se servant de la foi), son action alors deviendrait vaine et lui, dans la vie ultime (serait) parmi les perdants. « Citons aussi ce verset : « Et ils dirent : « Nos cœurs sont insensibles ». Bien plutôt Allâh s’est éloigné d’eux à cause de leur reniement, la foi qu’ils portent est bien minime. » (Qur’ân, sourate 2, verset 88).
Les deux racines en question présentent donc, au lexique, des sens positifs qui ne deviennent opposés, l’un positif ’AMN, l’autre négatif KFR, que dans certaines de leurs acceptions données par la Révélation coranique. Nous pouvons aussi remarquer que, dans les versets que nous venons de citer, ces deux racines ne sont pas opposées radicalement car la notion de rejet par rapport à l’adhésion, peut ne pas être totale et laisser place à une certaine foi, comme dans le verset précédent.

Les deux noms Allâh et ilâh.


Certains philologues font dériver ces deux noms de la racine ’ALH, adorer comme un dieu. D’autres affirment que le nom Allâh est un nom propre qui n’accepte pas de dérivation alors que le nom ilâh la comporte et peut recevoir, comme dans le texte coranique, la marque du duel : « ilâhân» et du pluriel : « âliha» ; il s’applique alors tant à Dieu, non en Soi, mais à Celui que l’on adore et qui se manifeste dans Sa Création, qu’à des êtres ou des choses créés réels ou illusoires.
Pour cette raison fondamentale, Allâh est aussi bien le nom donné à l’Essence divine qui est inqualifiable, ineffable, infinie, que celui propre à la Fonction divine dans la création. En revanche, le nom « ilâh» ne s’applique jamais à l’Essence divine absolue, mais à Sa manifestation universelle ou particulière dans les mondes qu’Il crée.
Pour bien montrer cette différence sémantique et essentielle, nous rendons le terme « ilâh» par « dieu adoré, le dieu adoré de... ». Ainsi, nous traduisons, en valorisant chaque élément en fonction de la morphologie de chaque terme qui la compose et de la syntaxe qui lui est propre, la formule sacrée « Lâ ilâha illâ Llâh» de cette manière : Nul dieu adoré sinon Allâh. Le verset 23 de la sourate 17 : « Ton Enseigneur a décrété que vous n’adoriez (ou ne serviez) que Lui... » et le verset suivant : « Je n’ai créé les djinns et les humains que pour qu’ils M’adorent (ou Me servent) » (Coran 51-56), nous permettent cette traduction et cette interprétation, puisque tous les êtres humains ne font qu’adorer leur Seigneur, même s’ils posent mal leur adoration et même s’ils ne savent pas tous qu’ils L’adorent.
D’autre part, le nom déterminé « al-ilâh» n’est ni coranique ni de la sunna prophétique ; on ne le trouve que plus tard dans la littérature avec une valeur absolue : le Dieu. Par contre, le terme « ilâh» apparaît dans le texte coranique ou bien indéterminé —un dieu adoré— ou bien en annexion avec des noms ou des pronoms. Par exemple : « ilâhu Mûsâ », le dieu que Moïse adore ; ou encore « ilâhu-kum », le dieu que vous adorez ; « ilâhun wâhidun », un dieu adoré unique ; « lâ ilâha illâ Huwa », nul dieu adoré sinon Lui, comme dans Coran, 2, 163.

La femme


Si, depuis un peu plus d’un siècle, le Coran est revisité par quelques interprètes contemporains, le fait que des femmes aient entrepris de l’étudier du point de vue de leurs expériences est, lui, très récent. Essayer de faire une re-lecture « post-patriarcale »3, comme l’a exprimé l’une d’entre elles, pour aborder cette question si controversée des « femmes et l’Islam », est un véritable « jihâd ».
A l’image des femmes juives et chrétiennes qui, depuis trente ans environ, se sont emparées des textes bibliques et évangéliques en pratiquant une nouvelle herméneutique qui prend en compte leurs vécus de moitié de l’humanité en lutte pour sa libération et à qui Dieu s’adresse également, nous sommes quelques-unes en Islam à faire ce même travail d’exégèse patiente et vivifiante.

Voici quelques exemples :

1 - L’étude du premier verset de la sourate 4 (Les Femmes) et en particulier des termes « nafs wâhida» et de « zawj» qui le composent.

Maintes traductions, interprétations et commentaires désignent « nafs wâhida» comme équivalent à Adam pris comme synonyme d’un être masculin et « zawj» comme son épouse, ce qui revient à reproduire le schéma classique habituel qui fait du masculin le premier et du féminin la deuxième tirée de celui-ci. Or, « nafs» est un mot, féminin en arabe, qui signifie le principe vital, la respiration, le souffle de vie et « zawj » indique à la fois la paire, le couple et chaque élément couplé. Dans le Coran, il est utilisé tantôt pour désigner le masculin (2-230 – 58-1), ou le féminin (4-20 — 2-102). Nos relectures féminines insistent sur cette réalité coranique non anthropomorphisée de l’humanité ayant une origine unique qui se dualise et devient multiple. L’imaginaire collectif ne travaille pas de la même façon selon que l’on traduit : un seul être dont Il a créé son épouse ou un principe vital de vie unique, ou un souffle de vie unique, ou encore un seul respire —un soi unique— dont Il a créé la paire.
Une étude récente très poussée de ce verset est faite par, d’une part Amina Wadud-Muhsin, universitaire malaise, dans son livre intitulé « Qur’ân and Woman »4 et, d’autre part, par Riffat Hassan, universitaire pakistanaise enseignant aux Etats-Unis, dans l’article cité plus haut.

2 – L’histoire d’Adam

La re-lecture de ce verset 4-1 fait écho à celle des passages coraniques où nous est contée l’histoire d’Adam et où l’accent est mis sur le sens du mot Adam comme qualité de l’humanité en tant que « khalîfa », vice-gérance de Dieu sur terre. Dans les récits coraniques de l’établissement de cette
« khalîfa », tous les verbes arabes utilisent la forme du duel. Ainsi, l’expression « Adam wa Zawj » que beaucoup comprennent comme Adam et Eve, (même si le mot Eve n’apparaît jamais dans le Coran) est entendue par les auteurs déjà mentionnés, en consonance avec nos propres études5, comme paire adamique qui prend ensemble la responsabilité du choix de la désobéissance, autrement dit de la liberté. De plus, cette forme duelle confirme qu’une création postérieure, subalterne, tentatrice, tentée et seule instigatrice d’une « chute » sur une terre de malheur est non coranique.
Enfin, les versets qui ont jusqu’ici été utilisés pour affirmer une suprématie masculine sur les femmes, font l’objet d’études très intéressantes. Outre le verset 228 de la sourte 2 du fameux « darajatan», le verset 34 de la sourate 4 donne lieu à de nouvelles interprétations, entre autres de « Ar-rijâlu qawwâmûna `alâ-n-nisâ’ bi mâ faddala-Llâhu » et du tristement célèbre « wa-dribû-hunna ». Nous voudrions ici évoquer le travail d’un groupe de femmes iraniennes responsables d’une revue, qui vit le jour en 1992, intitulée « Zanan »6. Y sont régulièrement publiées des études approfondies qui remettent en question les lectures masculines du Coran, du fiqh et autres sources islamiques sur tout ce qui concerne les rôles spirituels, sociaux et individuels des femmes. Dans ce remarquable travail d’ijtihâd contemporain mené avec patience et détermination, l’on trouve pour « qawwâmûna `alâ-n-nisâ’bi…» une analyse de la racine Q W M avec préposition Bi qui signifie soutenir, et non pas être maître. Pour l’expression « wa-dribû-hunna», il est montré que la racine D R B a des sens multiples aussi divers que contradictoires, « allant de battre à avoir des rapports sexuels, prendre des mesures pour mettre fin à, accompagner, rester à la maison, se détourner de, quitter, changer… »
Ce « gender jihâd » comme l’a surnommé un savant d’Afrique du Sud qui, lui aussi, revisite tous les concepts fondamentaux coraniques : Islam, kufr, îmân, taqwâ, jihâd dans le contexte de la lutte des musulmans de son pays contre l’Apartheid, participe d’un effort « d’humanisation du monde en humanisant la parole de Dieu »7.
A notre humble niveau, il nous semble que nous pouvons et devons collaborer à cette entreprise de libération avec l’aide de Dieu.


* Layla Laure Bousquet est professeur d'Anglais, Ubayd-Allah Maurice Gloton est écrivain, traducteur et ‘Abd al-Halim Jean Loup Herbert est anthropologue.