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Catégorie : Entretien
Deux ans après l’adoption du nouveau code de la famille au Maroc, Fouzia Rhissassi, Co-titulaire de la Chaire UNESCO sur la Femme et ses Droits et vainqueur cette année du trophée KHMISSA, catégorie « Droits Humains », donne son point de vue à Sézame. Le 22 mars 2006, Fouzia Rhissassi organise à la faculté des scinces humaines de Kenitra une journée d'étude "2 ans après la réforme de la moudawana"

Deux ans après l’adoption du nouveau code de la famille, quel bilan ?



Il n’y a pas eu suffisamment de recul pour faire un véritable bilan. A ce jour, un état des lieux exhaustif, descriptif et analytique concernant les connaissances de la population marocaine sur le nouveau code nous fait défaut. Cependant, Il y a une tentative d’évaluation de l’impact du nouveau code de la famille sur le quotidien des Marocain(e)s. Des initiatives ont été engagées par des ONG agissant en faveur de la culture égalitaire et de sa diffusion auprès des différentes catégories sociales et spécialement parmi les jeunes. Des supports didactiques et pédagogiques ont été mis en place parmi lesquels une collection de bandes dessinées pour approcher les jeunes du nouveau code à travers des scénarios tirés de la vie quotidienne. Ce travail a été effectué par l’Association « Leadership Féminin » et le « Réseau des Associations de Développent ».

Par ailleurs, la Chaire UNESCO sur la Femme et ses Droits a organisé une journée d’études en collaboration avec la Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales de Rabat pour faire un premier bilan le 29 mai 2004. Des avocat(e)s, des magistrat(e)s, des hommes/ femmes politiques, des universitaires, des membres de la société civile ont assisté à cette rencontre et ont mis en exergue les déficits concernant les données sur l’impact des campagnes de sensibilisation initiées pour vulgariser le code de la famille. Les échos des tribunaux ne portent pas toujours à l’optimisme. Des interprétations orientées nous laissent dubitatifs sur le changement radical escompté. Un accent particulier a été mis sur la nécessité d’une promotion en amont et en aval d’une véritable stratégie de communication autour de ce code de la famille.

Quelles sont les difficultés rencontrées dans son application ?


D’une manière générale, il y a un manque de données qualitatives et quantitatives sur les degrés de connaissance et d’appropriation du nouveau code par les marocain(e)s. Les déficits en terme d’information et de communication ne manquent pas de favoriser le scepticisme, les résistances, la rumeur et la déformation de l’information.
La mise en place du code de la famille a constitué un tournant décisif dans le processus de développement, de démocratisation et de modernisation du Maroc du 21ème Siècle. La culture égalitaire passe, certes, par une législation qui tire vers le haut mais aussi par une éducation quotidienne à l’égalité et au respect des droits qui doit irriguer les différentes institutions sociales.
Cependant, force est de constater que les réformes engagées s’inscrivent dans le cadre d’un processus long et souvent tumultueux, parfaitement illustratif des difficultés à instaurer la culture de l’égalité. Pourtant, l’option pour un Maroc moderne, résolument tourné vers l’avenir, implique essentiellement la mobilisation générale pour un Maroc où l’égalité n’est pas seulement une valeur mais une pratique quotidienne. Tel est le défi à relever en perspective.

Dans cet élan, toutes les institutions sont appelées à s’impliquer pour agir en faveur de la réhabilitation de toutes les ressources humaines sans distinction aucune. Sur le plan éducatif, informationnel et de socialisation, les institutions doivent se situer en tant que levier pour convertir les valeurs de l’équité, la justice et l’égalité en pratiques quotidiennes. Le rôle des institutions éducatives à ce niveau n’en devient que plus décisif

Quelles actions sont mises en route pour améliorer l’application du nouveau code de la famille ?


Des efforts considérables ont été déployés en vue de mener des campagnes de sensibilisation par plusieurs départements ministériels, par les médias écrits et audio-visuels (programmes sur 2 M et sur la 1e chaîne animés par des universitaires et des membres de la société civile).

. Dans cette optique le Ministère de la justice a hissé la formation des juges et des magistrat(e)s au rang de priorité mais beaucoup reste à faire. Par ailleurs, le Ministère de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Formation Professionnelle a arrêté un plan d’action visant l’introduction du code de la famille dans les programmes scolaires et le suivi de son application. Ce plan consiste en la distribution d’un guide pédagogique qui reprend tous les concepts relatifs au code de la famille, les approches éducatives appropriées et la mise en place d’un programme de formation regroupant les nouveautés contenues dans le code en tant que projet socio-éducatif. Ce programme prévoit également des rencontres avec les groupes chargés d’encadrer le personnel au niveau régional à travers l’organisation de sessions de formation au profit des inspecteurs et professeurs exerçant dans les établissements scolaires tous cycles confondus.

En prolongement au projet pédagogique relatif à l’incorporation des droits humains des femmes dans les cursus scolaires et universitaires sur lequel les Membres de la Chaire ont travaillé ces cinq dernières années, la présidence de l’Université de Kenitra, soucieuse de promouvoir la culture citoyenne et de contribuer à la dynamique du développement durable, a chargé l’équipe de recherche de mener une action visant à vulgariser le code de la famille. Et ce, dans la perspective de garantir le succès de son application sur le terrain et d’introduire des changements dans les mentalités et dans les pratiques culturelles discriminantes vis-à-vis de la femme et de la petite fille.

Il s’agit avant d’aller sur le terrain de constituer une base de données relative aux produits (documents, manuels, textes, etc.) en circulation sur le nouveau code de la famille. La collecte de ces données va certainement offrir un cadre de travail pouvant conduire à une analyse approfondie de l’existant.

L’aspect novateur de notre action est qu’elle s’appuie sur une démarche scientifique qui consiste à se rendre sur le terrain et à procéder en utilisant les protocoles d’enquête en vigueur dans les domaines des sciences humaines et sociales (géographie humaine, sociologie, sociolinguistique). La vulgarisation suppose en premier lieu un travail, à partir des langues et dialectes, consistant en une « banalisation linguistique » en arabe dialectal, en amazighe et en français, et une pédagogie adaptée selon les différents publics ciblés et leurs besoins, afin de permettre l’accès aux droits aussi bien aux lettré(e)s qu’aux analphabètes.

Cette action part d’un constat : celui que les droits humains en général et le nouveau code de la famille en particulier ne figurent pas explicitement dans les programmes d’éducation malgré les besoins sociétaux en la matière. Trois publics cibles se dégagent et nécessitent des instruments conçus ad hoc selon les besoins et les niveaux des apprenant(e)s.

Un autre point sur lequel il faut attirer l’attention est l’importance de l’approche genre/gender par les départements ministériels et le secteur privé. La prise en compte de l’approche genre est incontournable pour asseoir le développement durable sur des bases solides. Par ailleurs, le gender mainstreaming est une nécessité absolue impliquant la reconnaissance systématique des disparités entre les femmes et les hommes dans tous les domaines. D’une manière générale, le genre est lié à tous les processus socioculturels de différenciation et de hiérarchisation du féminin et du masculin, processus qui renvoient à la séparation entre la sphère publique et la sphère privée. En effet, les travaux de recherche axés sur le genre fournissent des données et des analyses pluridisciplinaires susceptibles d’alimenter l’un des grands débats de notre époque : les droits humains et plus particulièrement ceux des femmes.

Les perspectives du nouveau code de la famille, pour les marocains résidant à l’étranger ?


Les outils pédagogiques élaborés ici en matière de genre et de droit des femmes devraient être mis à leur disposition pour leur permettre une meilleure compréhension des nouvelles dispositions du nouveau code de la famille tout en gardant une dimension sensibilisatrice à d’autres aspects qui relèvent de la citoyenneté et de l’interculturel en général.

La famille, institution sociale de base, prend sa place de levier dans un projet de société moderne et démocratique articulé autour d’une culture égalitaire cadrée par les droits. Cette culture passe, certes, par une législation qui tire vers le haut mais aussi par une éducation quotidienne à l’égalité et au respect des droits qui doit irriguer les différents espaces ou vivent les Marocain(e)s.

Le chemin est long pour conquérir les mentalités figées et former des citoyens et citoyennes imbibé(e)s de valeurs de tolérance et d’ouverture. Aussi s’avère-t-il nécessaire d’introduire des enseignements en matière des droits humains et du nouveau code de la famille afin de réaffirmer les valeurs ancestrales et séculaires qui nous sont propres et contribuer à sensibiliser tout un chacun à la citoyenneté, en conciliant tradition et modernité, universalité et spécificité.