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Catégorie : Entretien
Directeur d'études à l'EHESS, Farhad Khosrokhavar est sociologue. Il a mené pendant plusieurs années des études de sociologie de terrain en Europe et Iran sur l’islam et l’islamisme radical. Auteurs de nombreux ouvrages traduits en plusieurs langues, il a notamment publié Les nouveaux martyrs d’Allah (Flammarion, 2002) et L’Islam dans les prisons (Balland, 2004). Il poursuit, dans son dernier opus Quand Al-Qaïda parle sous-titré Témoignages derrière les barreaux (Grasset, 2006), un travail de terrain dans les prisons françaises en donnant la parole à des détenus appartenant ou soupçonnés d’appartenir au réseau Al-Qaïda. Vous avez eu l'occasion de vous entretenir avec des personnes appartenant à des milieux islamistes radicaux et actuellement emprisonnées en France. Avez-vous perçu dans leurs propos une motivation qui laisserait penser qu’il pourrait être des martyrs potentiels ?

Effectivement, il y des déclarations de détenus qui vont dans ce sens. Certains affirment clairement qu’à leur sortie de prison, ils vont lutter contre l’armée israélienne du côté des Palestiniens. D’autres déclarent leur volonté de faire le djihad dans des pays musulmans contre les Américains. S’ils le disent, cela ne veut pas dire nécessairement qu’ils le feront. Mais, pour certains, l’intentionnalité est là parce qu’ils sont révoltés de l’injustice faite contre les Musulmans.

A plusieurs reprises, vous mettez l’accent sur les dérives et abus du système judiciaire français qui sous prétexte de lutter contre le terrorisme emprisonne des individus sur simple soupçon en refusant la présomption d’innocence en l’absence de preuves irréfutables. Est-ce que selon vous, certains détenus ont été victime d’une chasse aux sorcières ?

Le problème est que ce n’est pas réservé à la France. C’est devenu la norme. Pour preuve, les dérives américaines. Aujourd’hui, on peut vous arrêter sur simple soupçon d’appartenance à un groupe terroriste. Les recours légaux, le habeas corpus ne jouent plus. En Grande-Bretagne, avec la nouvelle loi sur le terrorisme, on peut garder 28 jours quelqu'un sans aucun recours légal s’il est étranger. Malheureusement, un peu partout en Europe, il y a une remise en cause des droits de l’Homme. En cela, la France ne se singularise pas. Le vœu formulé, dans cet ouvrage, est une fois la crise passée, on revienne aux droits de l’Homme. Cette entorse aux droits de l’Homme est devenu un phénomène universel et en particulier occidental. Il montre les limites des démocraties occidentales. Leur incapacité à être serein face à une situation certes exceptionnelle voire dramatique.

Au vu des témoignages de ces acteurs du djihad terroriste, une question hante toute réflexion sur la violence : comment en sort-on ?

Il y a plusieurs raisons : psychiques, objectives liées à la situation des musulmans en Europe. Souvent, ils ne pas intégrés. Nous disposons de données qui confirme cet état de fait. Un peu partout en Europe, on remarque qu’il y a presque entre 7 à 10 fois plus de musulmans dans les prisons que dans le reste de la société. En Europe, les musulmans sont un peu comme les Black au Etats-Unis : taux de chômage élevé. Il faut améliorer cela. C’est une condition nécessaire mais pas suffisante. Il faut que les musulmans soient considérés comme des citoyens à part entière. A supposer que l’on réussisse ce qui est loin d’être acquis cela ne veut pas dire que le terrorisme va disparaître mais s’atténuer.