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Catégorie : Entretien
· La FNMF ouverte à toutes les alliances
· “Nous n’avons pas d’éléments d’Al Adl Wal Ihssane”
· Il faut s’identifier au découpage régional du CFCM - L’Economiste: Quelle est la nouvelle stratégie de la fédération après le renouvellement du conseil d’administration?
- Mohammed Bechari: Nous avons discuté du programme que nous allons mettre en place pour la réorganisation de la fédération au niveau national et local. Les décisions prises visent également la fortification du secrétariat général et la mise en place d’un planning de réunions régionales, pour la motivation des membres de la FNMF dans les régions.

- Cette mobilisation n’entre-t-elle pas dans les préparatifs pour les prochaines élections?
- Les élections du CFCM ont permis à la fédération de se retrouver dans des régions où elle était absente. Aujourd’hui, nous sommes présent dans 22 régions sur les 25 du CFCM. Les nouvelles régions où la fédération va être présente sont l’Aquitaine, le Limousin et le pays de la Loire. Les régions où il y avait des listes indépendantes comme le PACA rejoindront la FNMF. Les trois régions où nous sommes actuellement absent sont les DOM TOM, la Basse-Normandie et le Poitou-Charentes. Le découpage actuel de la fédération en 8 régions n’est plus valable. Il y a besoin de s’identifier au découpage régional du CFCM.
- Quels sont les courants de pensée qui traversent la fédération?
- La FNMF veut être distinguée de deux courants: d’une part, l’ethnique ou nationaliste qui se réfère à un pays d’origine et veut être plus ou moins représentant d’une communauté spécifique et d’autre part, un islam plus politique qui se réfère à des confréries ou à des tendances à vocation internationale. Sans prendre une position négative par rapport à ces courants, la FNMF veut marquer sa différence avec la promotion d’un islam “d’ici et de maintenant” sans se couper des pays d’origine que ce soit le Maroc, l’Algérie, la Tunisie… Dans la nouvelle structure de la FNMF, on peut trouver des Français d’origine algérienne, tunisienne, africaine [Subsahariens]. Nous militons pour un islam multicolore et multiethnique.

- La FNMF est connue pour être représentative du Maroc...
- Le Maroc est représenté par son ambassade. La FNMF peut représenter un islam inspiré par une tradition marocaine quant à l’interprétation et à la lecture du texte sacré. On ne peut plus aujourd’hui accepter des fatwas et avis juridiques du monde arabe à travers Internet, la parabole et les cassettes. Nous voulons encourager un islam de France européanisé qui respecte les sources théologiques et intègre la dimension laïque et la modernité.

- Vous désirez vous démarquer de la dimension ethnique, mais la totalité des responsables sont d’origine marocaine…
- Nous constatons qu’au-delà des trois grandes fédérations autour desquelles les musulmans se regroupent, on se trouve aujourd’hui à affronter d’autres formes d’islam: l’islam familial et traditionnel qui représente les premières générations et l’islam des jeunes plus intégrationniste, citoyen et plus porté sur les revendications que sur une nostalgie du retour au pays d’origine.
Au sein de la FNMF, cohabitent ces deux islams: l’islam de la première génération et une tendance plus rénovatrice, qui, elle, est française et a une nouvelle interprétation des textes et intègre facilement le nouveau paysage de l’islam de France. La FNMF a ces liens via ces adhérents avec les pays d’origine. Aujourd’hui, le but de la FNMF est d’instaurer un islam de France capable de répondre aux attentes de la communauté musulmane dans sa totalité.

- On reproche à la fédération de ne pas disposer de local...
- La FNMF n’est financée dans ses activités que par ces adhérents. Le grand projet de la FNMF, c’est la mise en place d’un centre socioculturel musulman à Clichy (92); la municipalité nous a accordé un terrain dont la construction coûtera 4 à 5 millions d’euros. Nous voulons mettre en place au sein de ce lieu une vraie mosquée, un institut d’études islamiques, un observatoire sur l’islam en France et en Europe.

- Avez-vous d’autres soutiens financiers?
- Non. Nous avons adressé un dossier au Maroc à qui nous avons demandé un accompagnement. Le projet est piloté par une de nos associations locales adhérentes à la FNMF.

- On dit que vous voyagez trop et négligez le contact avec le terrain?
- Je suis membre de nombreux organismes arabes et musulmans. A ce titre, je suis sollicité régulièrement pour participer à des congrès et colloques. Ma participation à ces activités contribue au rayonnement mondial de la FNMF. Lors de la crise des otages (ndlr: les deux journalistes français, Christian Chesnot et Georges Malbrunot), nous étions très actifs et c’est grâce aux contacts privilégiés de la FNMF avec le comité des ouléma à Bagdad qu’un canal de négociation entre la France et les preneurs d’otages a été instauré.

- Mais c’est toute la commission du CFCF qui a été impliquée à l’époque?
- Ce n’était pas ma première visite à Bagdad. J’ai visité l’Irak à l’époque de Saddam Hussein et noué des contacts avec les ouléma irakiens.

- Et votre rencontre avec Abassi Madani?
- J’étais dans une logique de mobilisation pour la libération des otages le 14 septembre. Je me trouvais à Doha pour la participation sur Al Jazeera à l’émission Al Itijah Almouakis. Et je me suis retrouvé avec un cheikh qui a lancé la grève de la faim pour le soutien des deux otages. J’avais jugé sur place qu’il était intéressant de lui rendre visite et de le remercier pour son geste.

- Avec du recul, seriez-vous prêt à refaire la même chose?
- C’est une autre question (ndlr: silence de Bechari). En fait, c’est une question à laquelle je ne veux pas répondre.

- Quels sont vos pronostics pour les prochaines élections du CFCM?
- La FNMF est une fédération importante, elle est incontournable; elle va confirmer ces résultats si elle ne fait pas mieux.

- Etes-vous pour des listes communes lors des élections?
- La question que j’ai posée à M. de Villepin après sa proposition de constituer des listes communes était: est-ce que la démocratie est halal pour les Occidentaux et haram quand il s’agit de Maghrébins, d’Arabes et de musulmans? Non, la fédération est plutôt favorable à des élections libres dans toutes les régions de France. Elle va présenter des listes dans toutes les régions où elle est présente. Mais nous restons ouvert à toutes les discussions avec nos autres partenaires. Nous avons dit au ministre que la seule chose que nous n’acceptons pas c’est que l’on pose des conditions préalables à la participation aux élections.

- Pourtant, lors des dernières élections, vous avez noué des alliances avec différentes forces…
- Il y a une différence entre les élections en terme de liste et les élections des présidents des CRCM. Nous avons fait alliance seulement dans deux régions: Languedoc-Roussillon et le Nord-Pas-de-Calais avec des éléments de l’UOIF et de Tabligh pour des raisons qui répondent à la réalité de nos délégations régionales. Nous avons signé un accord avec la Mosquée de Paris et en fin de course, nous n’avons bénéficié d’aucun soutien des délégués régionaux de la Mosquée de Paris alors que la FNMF a respecté ses contrats.

- Quel est le nombre d’associations membres de la fédération?
- La fédération a présenté lors des élections 380 candidats; on peut estimer notre présence dans 500 lieux de culte contrôlés par autant d’associations.

- Confirmez-vous la présence du PJD, d’Al Adl Wal Ihssane et Tabligh au sein de la FNMF?
- En tant qu’organe, je ne pense pas, nous n’avons pas d’accords institutionnels. Cependant, on peut trouver des éléments qui ont des affinités avec ces tendances. Nous sommes plus avec des éléments de Tabligh qu’avec d’autres tendances. Par exemple, je ne connais pas d’éléments d’Al Adl Wal Ihssane au sein de la FNMF.

La mafia de la viande halal


«Après la structuration du culte musulman, l’Etat français veut finir avec la double gestion policière et diplomatique de l’islam en donnant la visibilité au culte musulman et en lui conférant une présence juridique. Les chantiers qui nous attendent en 2005 sont la mise en application de cette reconnaissance juridique, de travailler sous l’autofinancement de l’islam de France en créant cette grande fondation des œuvres musulmanes, organiser le marché de la viande halal, le pèlerinage.
Aujourd’hui, l’impôt cultuel est utilisé en dehors de la communauté cultuelle. C’est une petite mafia qui profite de la gestion de la taxe sur la viande halal. Les musulmans de France consomment environ 900.000 tonnes. Si on prélève seulement 20 centimes, on arrive à 100 millions d’euros. Cette communauté, malgré qu’elle soit pauvre socialement, est riche du point de vue impôt cultuel. L’islam de France est sommé de s’autofinancer, c’est pour cela que la FNMF était à l’origine de l’idée d’une fondation et nous soutenons la Fondation des œuvres musulmanes proposée par le ministre de l’Intérieur. Le deuxième problème concerne le discours religieux de nos imams; ainsi, nous avons appelé à la création d’un institut d’études islamiques agréé par l’Etat au sein de l’enseignement laïc à l’instar des autres instituts catholique, protestant, hébraïque et la création d’une filière de formation théologique. La FNMF est favorable à un partenariat avec deux universités: Al Quaraouiyine de Fès et Al Amir Abdelkader de Constantine afin de rester au sein du rite malékite car la majorité des musulmans en France sont de culture malékite».

Propos recueillis par
Hakim EL GHISSASSI

source : L'Economiste 8 février 2005