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Catégorie : Point de vue
Après avoir forcé l'islam de France à s'organiser et relancé le débat sur le foulard dit « islamique » à la rencontre annuelle de l’union des organisations islamiques de France, le Ministre des finances, ex-ministre de l'intérieur chargé des cultes M. Nicolas Sarkozy - celui qui a le plus fréquenté les responsables religieux musulmans - active le débat sur la réforme de la loi 1905 dite de séparation entre les Eglises et L’Etat.
M. Nicolas Sarkozy propose le financement des lieux de culte et la construction des mosquées dans les villes françaises. Il accompagne ses propositions par la nécessité d'un regard plus visible de l'Etat sur les cultes. Espérons que ces propositions ne soient pas vues par la société comme une nouvelle façon de faire de la discrimination positive à l’image du préfet musulman. S’il y a changement de la loi, il concernera toutes les expressions religieuses et philosophiques et pas uniquement le culte musulman dont on a peur qu’il soit de nouveau un bouc émissaire.

En tant que futur président de l’UMP, M. Sarkozy est très attendu par de nombreux français, sur la place qu'il accordera, au sein de son parti, aux citoyens français les plus discriminés politiquement.

Elles sont rares les villes où il n'y a pas une mosquée, un projet de mosquée ou une salle de prière. En ce mois de Ramadan pas moins de 6 lieux de cultes musulmans ont été inaugurés ou déposés un permis de construction ou encore posé la première pierre : les mosquées de Bobigny (93), d'Asnières, (92) de Créteil (94), de Bondy (93), de Saint Etienne (60), Strasbourg (67)…Certaines sont le résultat d’un long parcours, d’autres profitent de la nouvelle gestion du culte musulman. Ce qui donne plus d’attrait à la position de la mosquée de Paris qui exige pour la représentativité du culte musulman, une prise en considération de l’ancienneté et la qualité des services offerts aux fidèles.

La crise d'adolescence, passagère, du conseil français du culte musulman, CFCM, est due à sa jeunesse et l'apprentissage de la gestion du culte musulman au sein d'un cadre légal d'une part, et d'autre part, à l'absence de structures accompagnatrices, indépendantes, lui permettant d'avoir une approche plus objective, à l’abri des enjeux partisans et des manipulations internes et externes auxquels il est soumis régulièrement. L'institutionnalisation de l'islam nécessite la prise en compte de la diversité de la société française et l'évolution du fait religieux musulman et ses nouvelles formes.

Le rapport du Haut Conseil à l'Intégration "l'islam dans la République" publié en 2001, remarque que les associations musulmanes sont en majorité structurées en associations loi 1901. Les travaux de la Commission « Mosquées » au sein de "la consultation" ont incité les musulmans à se constituer en associations 1905 et à transformer l'existant. Nous remarquons une faible conversion des associations de type loi 1901 en 1905, dû à l'ignorance de la loi dite de séparation, et principalement à l'incompréhension de l'utilité de ce type d’associations. Certains gestionnaires de lieux de cultes musulmans ont une vision globaliste de la religion, ils hésitent ainsi à faire la séparation entre le temporel et le cultuel d’où leur réticence à la séparation entre les espaces culturels et cultuels.

Les débats de 2003-2004 autour de la laïcité ont permis une meilleure connaissance du dispositif législatif de séparation entre l'Etat et les Eglises. Les promoteurs des nouveaux projets de mosquées sont de plus en plus portés sur la création de deux associations une cultuelle gérant le lieu de culte et l'autre culturelle gérante toutes les activités annexes, sociales, culturelles, financières…

Les porteurs des grands projets vont jusqu'à constituer des SCI pour la gestion des lieux, nous citons les cas de la mosquée de Lyon, celui de Strasbourg et de certaines mosquées liées au groupement turc Milli Gûrus. Ce dispositif se heurte encore à la méfiance des fidèles qui ne comprennent pas l'opportunité de se constituer en une société civile immobilière à cause de l'absence d'une culture entreprenariale d'une part et d'autre part à cause de la peur de voir les dons détournés pour des intérêts personnels, bien que ce dispositif préserve mieux les intérêts des associations. Les élus locaux, dans leur négociation avec les promoteurs de projets de mosquées, peuvent avoir un rôle important dans l'instauration de cette démarche de séparation entre le cultuel, le culturel et le commercial. Un travail pédagogique est aujourd'hui amorcé dans ce sens en France, nous prenons dans cette étude comme exemple le cas de la Mosquée de Bobigny.

Les rapports de confiance qu'établissent les musulmans et les collectivités locales se consolident, un accompagnement des projets s’opère de plus en plus. Cependant des visées politiciennes de part et d’autre sont toujours monnaie courante. À la veille des élections, principalement municipales, nous observons une bienveillance zélée ou un raidissement exagéré de la part des candidats, aux projets de mosquées et une surenchère de la part des gestionnaires ou promoteurs du culte musulman, qui disent avoir la capacité de faire balancer les résultats électoraux. Il faudra sortir de cette situation en inscrivant les demandes d’établissement de lieux de culte dans le cadre légal et pour répondre à un besoin effectif. En facilitant aux intéressés les procédures pour l’obtention des permis de construire ou de réhabilitation, on coupera court à toute utilisation politique de la religion et au développement du sentiment de discrimination.

Le grand problème qui se pose aux promoteurs et gestionnaires de lieux de culte musulman est celui du financement. Comment aujourd'hui permettre à une communauté religieuse, précarisée, d'avoir les moyens financiers nécessaires pour pratiquer son culte dans l'équité ? Des dispositifs comme ceux des chantiers du Cardinal peuvent être utilisés, mais ils restent insuffisants et souvent non exploités par les musulmans, soit par ignorance soit par discrimination de la part des municipalités ou encore par le refus de certains religieux musulmans, qui préfèrent avoir un lieu leur appartenant de peur d’ingérence des municipalités ou de perte du locale une fois la date du bail emphytéotique arrive à échéance. Une certaine lecture des textes religieux musulmans interdisant les intérêts bancaires, prive également les musulmans de profiter d’autres dispositifs financiers, telle la garantie de prêt qui peut être fait par la municipalité au profit d'un projet cultuel. La demande d’un effort jurisprudentiel musulman est de plus en plus exprimée. Le manque de cadres religieux compétents capable de donner des avis juridiques religieux contextualisés ainsi que l’intervention de certains religieux étrangers à l’espace européen, et qui ignorent le contexte et les dispositifs légaux, retardent les démarches pour une jurisprudence religieuse adaptée qui est tout à fait possible.

Le marché de la viande halal, longtemps considéré comme un des moyens susceptibles pour financer le culte musulman, reste entre les mains des trois grandes mosquées ayant l’exclusivité de délivrer les cartes de sacrificateurs (Mosquées de Paris, Evry et Lyon), des associations de contrôle qui ne participent que rarement à l’effort de construction et de gestion des mosquées et des industrielles ou commerçants qui sont plus habités par le profit financier que d’apporter une aide quelconque aux lieux de culte.

Le CFCM ne veut pas jouer le rôle de percepteur d’une taxe sur la viande halal par peur de sortir du cadre de la loi 1901, d’où le peu d’empressement des autorités de tutelle et des responsables musulmans dans la réorganisation de ce secteur. L’idée de la création d’une fondation d’utilité publique est aujourd’hui la solution ultime, faudra-t-il, là encore, que les musulmans se mettent d’accord, que les financiers soient prêts à accompagner une telle structure et que les bénéficiaires du marché de la viande halal acceptent de céder une part de leurs bénéfices.

Devant cette situation immature d’un financement autonome, peut-on imaginer dans l'attente de la réforme de M. Sarkozy, d’autres horizons. Est-il possible, par exemple, d'avoir un cofinancement privé et public de l'espace culturel d'un centre musulman ?

Hakim El ghissassi
HE CONSULTING, ISLAM, DROIT ET SOCIÉTÉ.