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Catégorie : Point de vue
Une fois encore, une de trop, le débat sur les communautés de culture musulmane installées en Europe prend des allures passionnelles. La question de la déontologie de l’expression publique, dont les médias ne sont qu’une partie, est posée sur la place publique. (article paru dans témoignage chretien du 9 février 2006) Les caricatures représentant le prophète de l’islam comme le prophète de la haine et de la violence n’ont laissé personne, États, organisations, peuples, indifférents. Ces caricatures dévoilent l’image du musulman dans un certain imaginaire populaire occidental et en même temps, par leurs retombées, expriment la place que le prophète Mahomet a dans les cœurs de ces musulmans, qu’ils se disent laïques, libéraux, islamistes ou radicaux. Cet épisode dénote aussi, de la part de certains musulmans, une réaction qui se base sur une méconnaissance du fonctionnement des sociétés occidentales ; l’insistance à exiger des excuses personnelles du Premier ministre danois en est un exemple. Mais ces musulmans blessés, qui vivent dans des pays où les médias sont souvent soumis à la censure, croient qu’une telle demande résoudra le problème. Ils vont découvrir qu’un Premier ministre ne peut présenter des excuses à la place du média incriminé. Deux imaginaires se confrontent dans l’ignorance et le mépris. Aux passeurs d’idées, et en premier lieu aux médias, de ne pas sombrer dans les stéréotypes et les exagérations. Les réactions du monde musulman, exceptés les quelques dérapages constatés, voulaient se placer dans la légitimité. Certains journaux nationaux nous ont expliqué leur choix de diffuser ces caricatures par esprit de solidarité. Les sites web de certains hebdomadaires n’ont pas hésité, sans se soucier de donner des explications, à mettre en ligne toute la panoplie des caricatures incriminées. On ne mesure pas les blessures infligées à des centaines de millions de musulmans à travers le monde, qui, s’ils avaient accès aux images concernées, auraient agi d’une façon plus violente. L’interdiction de distribuer les journaux qui diffusent ces dessins dans certains pays s’explique par des raisons d’ordre public. On pourra toujours trouver des groupes qui n’hésiteront pas à agir à des fins non explicites, à utiliser des situations de frustration et d’humiliation pour enflammer les foules et se donner une légitimité de protecteur de la religion du peuple, comme cela s’est passé en Syrie ou au Liban. Le rejet par les musulmans de ces caricatures n’est pas dû à une interdiction supposée, comme on peut le laisser entendre, de la représentation et des images dans la culture musulmane, mais plutôt à l’amalgame créé autour du symbole que représente le Prophète, dans un monde où les musulmans se sentent quotidiennement harcelés, si ce n’est par des guerres, du moins par des mots de dénigrement de leurs références et valeurs religieuses. L’échec de l’islam politique pronostiqué par certains intellectuels n’était qu’une acrobatie intellectuelle éphémère : cet islam revient sous d’autres formes et se réinvente par d’autres mécanismes qui ne se distinguent guère de l’expression démocratique. Une fois encore, la précipitation a laissé de côté une vraie analyse des sociétés musulmanes qui se ressourcent de plus en plus dans la religion et bricolent leur religiosité afin de se donner une identité et une référence après les échecs de l’État-nation pour édifier une société équitable, sereine et juste. Au monde occidental d’aider à la reconstruction en dépassionnant les débats et en respectant leurs choix. Dans un monde numérisé, où l’information n’a plus de frontières, des personnes de pays et de cultures différents peuvent recevoir les mêmes images simultanément. Imaginons les décalages et les incompréhensions qui peuvent se construire si nos médias continuent de s’engouffrer dans leurs spécificités et exceptions et ne participent pas au rapprochement entre les peuples. Il y a une grande différence entre, d’un côté, l’esprit critique que doivent avoir les médias, qui ne peut se réaliser sans une liberté d’expression et, de l’autre côté, une simplification haineuse des croyances quelles qu’elles soient, un populisme, une provocation et un non-respect des convictions individuelles ou communes du petit peuple. La réaction mesurée de beaucoup d’hommes politiques, de leaders religieux et de Français montre qu’un débat qui permettrait la compréhension mutuelle des symboles référentiels du sacré de chaque confession, est possible. C’est même un devoir.


Hakim El Ghissassi est directeur de la rédaction du mensuel Sézame (rens. : 01 44 85 42 73)