· Grandes réconciliations avant la campagne électorale?
· Pas assez de débats théologiques.
«C’EST ma première visite au Bourget. De nombreux préjugés sont tombés mais je regrette la politisation de certains paragraphes du programme culturel”, nous confie Khadidja. Du 25 au 28 mars, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) a tenu au Bourget sa 22e rencontre annuelle qui, pour beaucoup, représente le baromètre de l’islam militant de France. On se souvient que Nicolas Sarkozy, à l’époque ministre de l’Intérieur, avait été hué en 2003 quand il a rappelé l’obligation aux femmes de poser tête nue pour l’obtention de pièces d’identité. Un débat passionné s’en était suivi sur la laïcité et le port du foulard à l’école. Cette année, tous les regards étaient tournés vers la participation de Dalil Boubakeur, président du Conseil français du culte musulman (CFCM) et recteur de l’Institut de la Grande Mosquée de Paris. Les pronostics qu’il soit sifflé ont été démentis: de nombreux applaudissements ont entrecoupé son discours dans lequel il a salué l’action de l’UOIF et appelé à l’union des musulmans. La Fédération nationale des musulmans de France a été représentée L’union de façade au Bourget est-elle un prélude aux alliances des prochaines élections du CFCM qui auront lieu le 19 juin 2005?
Le rassemblement est devenu un moment d’expression musulmane, les discussions dans les allées expriment la diversité des opinions des musulmans de France et nous rencontrons les opinions des plus extrémistes aux plus modernistes ou libérales. Dalil Boubakeur, qui donne parfois l’impression d’être un extra-terrestre dans cette manifestation, rappelle “que malgré nos apparentes différences de méthode ou d’approche vis-à-vis des problèmes de notre communauté, l’objectif est essentiellement le même: la réussite de l’avenir de nos futures générations en s’insérant harmonieusement dans le tissus des valeurs républicaines d’un pays moderne comme la France ”. Lhaj Thami Breze, président du l’UOIF, après avoir rappelé le passage d’un “islam en France à un islam de France”, définit la méthode: “Mettre l’accent sur les finalités de l’islam (almaqased) en hiérarchisant les éléments de notre pratique, en prônant la tolérance et le respect de l’autre, quelles que soient ses convictions”.
M. Breze refuse l’identification systématique à une école canonique ou théologique; une idée qui n’est pas partagée par les autres fédérations et de nombreuses associations qui désirent que l’école malékite pour les Maghrébins ou hanafites pour les Turcs soient une référence au sein de la société française.

· Le style et la consommation aussi


Les orientations présentées restent très timides par rapport aux problématiques posées par une société sécularisée.
Des intervenants du Maghreb se sont exprimés tels que l’Algérien Aboujoura Solatani, (président du mouvement de la société de paix) ou le Marocain Mohamed Hamdaoui, (président du mouvement unité et réforme), Olivier Roy, François Burgat et Jean Bauberot.
Après les années Meca Cola et l’engouement pour la rhétorique d’une économie identitaire alternative, les entreprises des produits halal sont redevenues plus visibles.
Les maisons de prêt-à-porter féminin se concurrencent pour présenter leurs dernières créations. Aïcha, styliste d’origine marocaine, “ne trouve pas de la finesse dans les produits féminins exposés, un prix élevé par rapport à la qualité et parfois vulgaires par leur aspect très brillant”. Les musulmans alternatifs qui combattent le consumérisme et l’attachement aux modes seront déçus par la mode et ses marques dites islamiques tels ces couvre-chefs frappés sur le front de signes de marques américaines qui ont envahi les stands.
Le forum des associations a été relégué au fond du salon, de nombreux exposants manifestent leur incompréhension de ne pas mettre en valeur cet espace qui exprime en quelque sorte “la base ou le sous-sol”, selon l’expression du secrétaire général de la FNMF. Plus de 80 projets de mosquées sont identifiés par le ministère de l’Intérieur. Les responsables de la future mosquée de Bobigny ont loué à 800 euros un stand de 9m2, les sympathisants portent des gilets fluoressants aux couleurs de leur mosquée et sur lesquels nous lisons “Participez à la construction de la mosquée de Bobigny ”. Seul le stand “ valeurs et spiritualité musulmane de France” de la Tariqua Quadiriyya Boutchichiayya, exprime une touche de spiritualité dans ce concert musulman de Pâques
La partie souk reflète l’image d’un islam immigré en pleine dynamique et construction identitaire avec des possibilités d’enfermement. Quant au discours des tribunes, il est plus celui d’une sensibilité musulmane animée par le militantisme idéologique des Frères musulmans que celui qui exprime la diversité de la pensée et de la réalité musulmane de France. Le visiteur a l’impression d’être au milieu d’une fête politique d’un pays musulman. L’enjeu reste que l’UOIF réussisse son ouverture sur la société française et sur la grande majorité des musulmans de France qui ne se retrouvent pas dans cette rencontre qui n’offre qu’une facette de l’islam de France.

Une grosse affaire


DANS les années 80, cette rencontre réunissait pendant les fêtes de Noël quelques dizaines de sympathisants en Alsace. Elle a pris aujourd’hui, encouragée par l’institutionnalisation de l’islam de France, une autre ampleur. Ce sont en effet des milliers de musulmans (l’an dernier 100.000 entrées cumulées) qui viennent à la foire musulmane du Bourget pendant le week-end de Pâques. Cette année, l’espace a été augmenté de 30%: 15.000m2. La rencontre s’intitulait le congrès de l’UOIF, elle vient d’être rebaptisée: rencontre annuelle des musulmans de France.
L’UOIF encourage de plus en plus ses sections locales à organiser des rencontres régionales similaires, la première du genre est celle de Marseille qui se tient au cours du mois de mai. L’espace commercial représente le cœur de la manifestation: des dizaines de commerçants, de libraires, de restaurateurs, des spécialistes dans le prêt-à-porter féminin… louent pour la durée de la rencontre des stands pour exposer leurs produits. C’est la société Gedis, une EURL de l’UOIF gérée par son secrétaire général Fouad Alaoui, qui supervise et organise. Les déficits répétitifs étaient le plus souvent comblés par des bienfaiteurs du Golfe. Cette année, le budget est équilibré, mais non divulgué. La location des stands coûte entre 1.500 et 2.000 euros les 9m2 et les tickets d’entrées 10 euros la journée, 16 euros pour les trois jours. Les déçus, cependant, expriment leur inquiétude de la tournure identitaire et commerciale qu’a prise cette manifestation.