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Catégorie : Actualité
Le système de la cooptation a montré ses limites. Il faudrait créer un comité d'experts indépendants et faire une place aux associations au sein du CFCM. La démission de Dounia Bouzar appelle au renouveau. Après la démission de Dounia Bouzar (Libération d'hier), n'est-il pas temps de créer un organe d'experts indépendants au sein du Conseil français du culte musulman (CFCM) ? Dès le lancement de la consultation, par l'ancien ministre de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement, le 21 octobre 1999, la question des personnalités qualifiées ou cooptées se posait. En effet sur les 18 membres formant la consultation, 6 personnalités dites qualifiées ont participé aux travaux préparatifs pour l'organisation de l'islam de France. La volonté de l'administration, malgré la réticence des grandes fédérations, était de faire place, au sein de l'appareil représentatif de l'islam, à des personnes de la société civile ou à des intellectuels musulmans qui ne sont pas affiliés aux grandes fédérations musulmanes.

La faible influence et les démissions répétées mettent en cause ce système, d'autant plus que les grandes fédérations l'ont dévié de son objectif premier et l'ont utilisé pour élargir leurs rangs au sein du conseil d'administration du CFCM constitué de 63 membres (2/3 élus dans les régions, 1/3 désigné dont 5 personnalités dites cooptées).

La démission de Dounia Bouzar est la deuxième démission symbolique après celle de Mme Bettoul Fekar-Lambiote, la seule femme musulmane présente dans les travaux de la consultation. Celle, à la fin de ces travaux, du théologien Mohsin Ismail est passée inaperçue, ce dernier a refusé la médiatisation de sa démission et s'est depuis retranché dans ces travaux universitaires. La deuxième personne qualifiée au sein de CFCM, Soheib Benchikh n'assiste que rarement et dans des occasions officielles aux réunions du bureau du CFCM. Quant à Cheikh Bentounes, de la confrérie Alaouia et l'universitaire Eric Geoffroy qui représentent en quelque sorte les courants soufis et les Français convertis à l'islam, ils ne siègent depuis l'installation du CFCM que dans son conseil administratif qui ne se réunit qu'une fois par semestre.

Le CFCM se retrouve, après la démission de Dounia Bouzar, dans une situation où il doit choisir de nouveau une autre personne, prioritairement une femme, pour compléter son bureau exécutif. Le système de la cooptation ou de la désignation a montré ainsi ces limites. Au lieu de donner du poids à la société civile et aux personnalités indépendantes, il devient, en plus de son dopage des fédérations, une source de suspicion et de complaisance avec les pouvoirs publics pour celles et ceux qui acceptent d'être promus sans le soutien des fédérations.

D'autres pistes doivent être explorées


D'autres pistes doivent être explorées et je propose une voie à deux volets. Le premier serait la création d'un comité d'experts qui ne soit pas impliqué dans les batailles du pouvoir et dont le rôle serait d'aider le CFCM dans ses réflexions et ses analyses. Peut-être nous dira-t-on : «Les commissions jouent ce rôle.» Ce que nous observons, c'est que ces commissions travaillent en dehors de toute coordination et qu'elles sont également proies aux enjeux du pouvoir des différentes fédérations. Seul un comité d'experts ouvert sur toutes les tendances de la pensée musulmane en France, voire des experts non musulmans, et qui n'aura pas d'objectifs politiques permettra à de nombreuses personnes comme Dounia Bouzar ou Souhaib Benchikh, pour ne citer que ceux qui font partie du bureau exécutif du CFCM, de se retrouver et d'oeuvrer pour une meilleure intégration, tout en proposant des pistes d'analyse et de réflexion sur l'islam de France et d'Europe et en menant des études sur les dossiers que le CFCM leur soumettra. Le second volet serait de remplacer les personnalités cooptées par les fédérations, par des associations actives sur le terrain religieux ou culturel musulman et qui ne se sentent pas représentées.

Dounia Bouzar le décrit clairement dans sa lettre de démission : un intellectuel désire rester libre dans sa pensée et ne supporte pas d'être enchaîné par des débats purement juridiques et administratifs. Ce sont des couacs de l'adolescence, le CFCM ne tardera pas à retrouver son équilibre.

Source Liberation 06.01.05

Lettre de démission de Dounia Bouzar


à Monsieur le Président du CFCM,
Madame et Messieurs les membres du Bureau,
Objet : lettre de démission du Bureau du CFCM
Paris, le 4 janvier 2005
Chère soeur et chers frères,
La date des élections approchant, je me permets de vous remettre ma démission sachant
que cela vous laissera le temps nécessaire pour me remplacer le cas échéant.
Après mûre réflexion, je pense en effet que rester au sein de cette instance n’a aucun
sens pour moi ni aucun intérêt pour le CFCM lui-même : la compétence que je pouvais
partager avec vous provient en effet de mes études sur les jeunes musulmans nés en
France.
Dans mes récents travaux de recherche qui font le point sur ce sujet, Monsieur Islam
n’existe pas, pour une désislamisation des débats, récemment publié, la spécificité de la
situation française est démontrée : l’histoire de la laïcité en France crée des conditions
d’émergence d’une nouvelle religiosité musulmane puisque les musulmans de France
ne trouvent plus les réponses à leurs questions en se tournant vers les pays étrangers.
Qu’est-ce que c’est, être musulman dans une société laïque ? Où et comment faire la
séparation entre le profane et le sacré ? Comment faire la différence entre les principes
religieux et les formes historiques que ces derniers ont pris au fil des siècles dans les
différentes sociétés musulmanes? Le contexte de pluralisme démocratique laïque
français oblige ainsi les musulmans, comme cela a été jadis le cas pour les autres
croyants, à réorganiser leur manière d’exister et de croire, à partir de cette nouvelle
expérience.
Or au CFCM, il n’a jamais été question d’échanger sur ce sujet. J’ai attendu
patiemment de nombreux mois, sachant que le « débat » sur le foulard mobilisait toute
notre énergie et qu’il fallait laisser du temps au temps. Au bout d’un an et demi, je
constate une fois de plus que les seules discussions qui vont mobiliser le CFCM
jusqu’aux élections concernent les places des uns et des autres, sans qu’aucun débat de
fond ne soit possible.
Vous comprendrez, j’en suis sûre, que je n’ai aucune raison de rester dans cette instance
de « l’islam de France », où il n’est jamais question de musulmans nés en France, dans
la mesure où c’est pour mes compétences précises sur ce sujet que vous m’aviez
cooptée.
Je vous souhaite une bonne continuation et reste à votre entière disposition si vous avez
besoin de ma contribution, en toute fraternité et sincère amitié, pour partager les
quelques éléments de réflexion ou d’interrogation issus de mes recherches.
Que Dieu vous aide à trouver la meilleure voie.
Fraternellement,
Dounia Bouzar