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Catégorie : Actualité
Face à la flambée des prix et à la croissance de la demande, les pays producteurs de gaz ou de pétrole cherchent à disposer d'un nouvel atout: les pipelines, arme politique idéale pour contrôler le trafic international de l'énergie, mais délicate à manier. Des projets de méga-gazoducs sont actuellement en cours en Amérique du Sud, en Russie, en Asie ou au Moyen-Orient. Le tout avec un seul objectif: améliorer l'accès à l'énergie, notamment pour les nouveaux voraces que sont la Chine, l'Inde et le Brésil.

Mais à l'heure où la chaîne d'approvisionnement est plus tendue que jamais, la construction de gazoducs présente d'autres enjeux, bien plus importants.

Il s'agit de décider quels pays seront connectés, donc dépendants, et du même coup de former des alliances, de dicter des conditions, de prendre des revanches.

"Les pipelines, ça veut dire politique, ça veut dire pouvoir", explique Bruce Evers, analyste à la banque Investec.

"Si vous voulez empêcher vos clients de recevoir le pétrole ou le gaz, il vous suffit de tourner le robinet, de fermer les valves, et le tour est joué", explique-t-il.

On se souvient ainsi de la crise gazière de janvier, quand la Russie avait coupé ses livraisons de gaz à l'Ukraine à la suite d'un désaccord sur les tarifs, et réduit du même coup ses exportations vers l'Europe, qui transitaient par le même gazoduc.

Depuis, les Européens ont multiplié les appels à réduire leur dépendance envers Moscou, à qui ils reprochent notamment son monopole sur les gazoducs dans la région. Et ils comptent entre autres sur la mise en route, cet été, après près de dix ans de travaux, de l'oléoduc BTC qui reliera l'Azerbaïdjan à la Turquie.

La Russie --accusée d'utiliser son gaz "comme un instrument de manipulation et de chantage" par le vice-président américain Dick Cheney en mai-- a tout simplement menacé d'exporter ailleurs qu'en Europe si les dirigeants occidentaux contrariaient ses projets d'expansion.

Moscou négocie d'ailleurs un vaste projet de gazoducs reliant la Sibérie au Japon et à la Chine, deuxième plus gros consommateur d'énergie après les Etats-Unis.

L'Iran cherche lui aussi à desservir un gros consommateur d'énergie, l'Inde. Mais ce projet de gazoduc se heurte cette-fois à l'opposition des Etats-Unis, qui voient d'un mauvais oeil un rapprochement entre ces deux pays, et aux réticences de New Delhi, qui craint que le tracé du pipeline via le Pakistan ne donne à son voisin une nouvelle arme dans le conflit qui les oppose depuis des années.

"Quand les inquiétudes montent sur la sécurité de l'approvisionnement en énergie, il n'est pas surprenant de voir les pipelines et leur futur tracé devenir un enjeu capital, touchant de près aux questions politiques", observe Kevin Norrish, analyste à la banque Barclays.

Un bon exemple est le projet pharaonique, en Amérique du Sud, d'un gazoduc reliant les gisements du Venezuela à une dizaine d'autres pays, dont le Brésil.

D'après les experts, ce projet, considéré comme une vraie folie d'un point de vue financier --son coût pourrait atteindre 23 milliards de dollars--, marque la préférence de Caracas d'exporter vers des pays culturellement proches, plutôt que vers les Etats-Unis.

Les gazoducs transfrontaliers existent depuis déjà plus d'un siècle, mais ce n'est qu'avec la flambée des prix que leur importance stratégique a réapparu.

Les oléoducs ont par contre moins à offrir, car deux tiers des exportations de brut se font par pétrolier.

D'après M. Norrish, le talon d'Achille des pipelines est cependant "leur vulnérabilité aux sabotages".

En Irak, les opposants au nouveau régime ont quasiment bloqué depuis deux ans les exportations de pétrole par le nord du pays, en sabotant régulièrement l'oléoduc reliant les champs de Kirkouk au port turc de Ceyhan.