Les réactions suscitées par les caricatures concernant le Prophète de l’islam dans les mondes de l’islam comme celles qu’elles ont provoquées dans le reste du monde, plus particulièrement dans les pays occidentaux, témoignent de l’ampleur des amalgames, des incompréhensions et des malentendus qui alimentent les tensions et les haines des deux côtés. Que le message véhiculé par quelques unes des caricatures en question soit xénophobe, il n’y a aucun doute. Qu’il contribue à entretenir la confusion entre islam et terrorisme, c’est évident. Qu’il soit « caricatural », comment peut-il ne pas l’être puisqu’il s’agit précisément de caricatures ? Que des musulmans et des antiracistes soient choqués et indignés par ce genre de messages et le condamnent, c’est légitime et normal. Mais que ce soit un prétexte à un tel déchaînement de délires fanatiques, liberticides et aussi xénophobes que ce qui est dénoncé dans les caricatures incriminées, c’est non seulement inadmissible, c’est grave et dramatique à la fois. En effet, ces réactions se situent sur le même terrain de la xénophobie et de la vision caricaturale de l’AUTRE - avec l’art en moins - qui a inspiré les images qu’elles veulent dénoncer. Ce faisant, elles ne font qu’apporter l’eau au moulin des préjugés qui assimilent islam, fanatisme, et terrorisme. Les plus xénophobes s’en frottent les mains en y voyant la preuve de ce qu’ils ont toujours dit de l’islam et des musulmans. Certains, parmi les mieux disposés à l’égard des musulmans, croient leur trouver une excuse en prétendant que « l’islam interdit la représentation du Prophète » ! Où ont-ils trouvé les fondements d’un tel interdit ? Si ce qu’ils disent est vrai, comment se fait-il qu’on puisse admirer dans des musées d’art musulman, y compris dans des pays musulmans, des miniatures musulmanes représentant le Prophète de l’islam avec d’autres prophètes ou avec ses proches et ses compagnons ? S’agit-il d’un interdit de l’islam ou de théologiens rigoristes, comme on en trouve dans différentes religions, qui s’autorisent à interdire non seulement la représentation du Prophète mais aussi toute représentation humaine ?
Ce ne sont pas les images d’hystérie collective, par lesquelles des musulmans ont réagi aux caricatures publiées dans un journal danois, qui vont faire reculer les préjugés sur l’islam et le monde musulman ! Au lieu d’envier aux pays européens les droits dont ils jouissent et qui leur manquent tant, ces musulmans se laissent manipuler par leurs gouvernants qui, tout en les opprimant et les privant de leurs droits fondamentaux dont en premier la liberté d’expression, les laissent se défouler contre les pays occidentaux pour demander aux Etats européens de se mettre à leur école et limiter la liberté de la presse ! Les victimes des dictatures revendiquent pour les peuples jouissant de la liberté d’expression le même régime que leur imposent leurs oppresseurs ! Les musulmans qui se laissent ainsi manipuler savent-ils vraiment ce qu’ils demandent et pour le compte de qui ? Au lendemain de la victoire de Hamas aux élections palestiniennes, et au moment où les pressions de l’intérieur et de l’extérieur se font sentir pour que les régimes en place acceptent un minimum de réformes démocratiques, ceux qui participent à ces manifestations savent-ils qu’il sont encore une fois victimes de la surenchère entre l’islam politique fanatique, les dictatures aux abois et les « modernistes » timorés qui se disputent le credo de l’islam sur le dos de leur quête de dignité et de liberté ? Sinon, comment expliquer l’intervention de ces réactions en ce moment, quatre mois après la publication des caricatures qui ont suscité tant de haine ?

Mohamed-Chérif FERJANI est Professeur à l’Université Lyon2, Directeur du GREMMO, UMR 5195, CNRS-Université Lyon2, Auteur de travaux sur l’islam, le monde arabe, la laïcité et les droits humains dont Le politique et le religieux dans le champ islamique, Fayard, 2005, et Islamisme, laïcité et droits de l’Homme, L’Harmattan, 1992)