Transparent pour sa mère, ombre de son frère, martyre de sa cousine, un enfant mal aimé dérive douloureusement. Sa voix intime retentit dans Cousine K, dernier roman saisissant de Yasmina Khadra dont l'écriture s'épure de livre en livre. Sa mère ne le voyait même pas. Reine altière et impénétrable, elle n'avait d'yeux que pour Amine, son frère aîné, l'enfant prodige, et Cousine K, une fillette en qui tout le monde voyait un ange… Et qui fut sa démone. A lui qui, à l’âge de cinq ans, avait trouvé son père suspendu à un crochet dans l'étable, les yeux crevés et le sexe dans la bouche. A lui qui a grandi dans le silence et l'indifférence, occupé à contempler tout ce qu'il ne vivait pas. "Les feuilles aux arbres ressemblent à des milliers d'idées fixes". Un regard d'artiste dans une enveloppe d'absence : "Je n'ai rien demandé, je n'ai rien à donner. Je ne fais que dériver".
De livre en livre, Yasmina Khadra affine sa quête des brisures de l'âme. Son style se fait de plus en plus précis, concentrant son impact, à la fois doux et brutal, clair et saisissant. Long récit ou court roman sculptural, Cousine K susurre combien la douleur peut devenir une blessure, le bien une torpeur, la beauté un déchirement. La voix intime, trop proche, de l'enfant transparent tourne autour de l’instant où tout glisse vers le degré d'insupportable qui terrasse un être. Cela peut être terrible de manquer d'attention, de ne servir à rien, de n'être rien pour personne au milieu de gens qui s’adorent. Cela peut être terrible, et terriblement dangereux.

Yasmina Khadra, Cousine K, 106 p., Julliard, 14 euros.