Jamal Belahrach fait partie de cette nouvelle générations d'entrepreneurs marocains formés à l'étranger et revenus au Maroc pour participer au développement économique du pays. Après trente années passées en France, où il se dote d'un solide bagage professionnel, il s'installe à Casablanca pour fonder MANPOWER Afrique du Nord. Récit d'un retour en fanfare. La réservation de l’hôtel dans lequel nous nous trouvons à Casablanca, c’est lui. Le restaurant où nous allons déjeuner, c’est lui. Les écueils à éviter dans l’administration, c’est encore lui. Lui, c’est Jamal Belahrach, manager général de Manpower Afrique du Nord.
Un peps hors du commun, une générosité vraie et une volonté de servir ceux qu’il apprécie. C’est, en trois mots, le portrait de Jamal Belahrach. Dans ses locaux neufs du quartier des Iris à Casablanca, Jamal nous fait un cours sur "comment manager le Maroc". Car depuis maintenant cinq ans qu’il a rejoint le Maroc, Jamal n’a qu’une seule ambition : appliquer ces techniques de management qui ont fait le succès de son entreprise à la réalité économique, sociale et politique du Maroc. Déjà 25 collaborateurs et 1200 intérimaires dont 25% qui ont la mutuelle, un vraie exception au Maroc où celle-ci est très chère.
Jamal a quitté son Maroc natal à sept ans et demi en 1969 ; direction Dreux, une ville qui a fait la Une des journaux pendant la décennie 80 lorsqu’elle était gérée par le Front National. "C’était pas facile de vivre à Dreux avec une peau basanée" se souvient Jamal. Mais Jamal est motivé. Après le bac, il décide de préparer un IUT à Saint-Denis en région parisienne, qu’il complètera par un autre IUT en gestion d’entreprises. Car Jamal sait que la clé de la réussite, en plus des études, se trouve dans l’entreprise. L’associatif, terre de prédilection des jeunes des quartiers difficiles, Jamal le connaît aussi ; mais il sait que c’est un piège. Il a créé à Dreux Génération Initiative, une association qui s’occupe de réinsérer les jeunes dans l’entreprise.
Pendant dix ans, il sera directeur du marketing stratégique de la SEP. En cinq ans, l’entreprise passe de 30 à 150 salariés, avec 30 milliards de francs de chiffres d’affaires. Jamal est le plus jeune président de la toute récente chambre économique ; il est aussi président délégué du Bassin emploi (104 communes). Pour Jamal, "l’intégration passe par l’économique, le reste vient après".
Chez Jamal, "le reste", c’est la politique. Mais, ce ne sera pas pour maintenant. Car en mai 1996, Hassan II est en visite en France. Et là étonnamment, Jamal est séduit par le discours d’ouverture du Roi du Maroc. Quelques semaines plus-tard, un ami l’appelle au téléphone pour lui soumettre une idée folle : "ça te dit de créer Manpower au Maroc ?". Il y réfléchit quelques jours. Pas facile quand on est marié avec une française et qu’on a trois enfants. Mais Jamal n’a pas oublié ce Maroc qu’il a quitté à l’âge de sept ans et demi.
"J’ai beaucoup appris. Pourquoi ne pas donner un peu ?" se dit-il.
C’est ainsi qu’en mai 1997 il débarque à Casablanca, avec comme atout une expérience professionnelle réussie et un désavantage de taille : une méconnaissance de la réalité sociale et politique marocaine. Et là, c’est la catastrophe. Personne ne respecte les lois. Le Smic n’est qu’un leurre. Très peu d’entreprise déclarent leurs salariés. Alors Jamal panique. Il négocie avec Manpower un deal curieux. "Nous n’allons pas définir une stratégie classique fondée sur le code du travail et la formation des gens. Ici, il n’y a ni code de travail, ni l’habitude de l’intérim. Alors, ou bien vous me laisser carte blanche, ou bien, je rends mon tablier. Sinon, on n’y arrivera jamais". Manpower est d’accord.
Jamal rencontre beaucoup de difficultés à s’intégrer au Maroc. Il le dit lui-même : "Je n’ai pas d’amis". Mails il ne se résigne pas. Il veut changer les mentalités. Il sait que le Maroc a besoin de Marocains formés à l’étranger, intègres, rigoureux. Avant tout, il veut servir l’intérêt général au-delà de l’intérêt personnel. Il veut donner du sens à sa vie. Tâche difficile, loin s’en faut. Jamal ressent comme un malaise profond dans cette société marocaine à deux vitesses qui avance à pas de géants. Il a l’impression de caler et ce en dépit de l’ouverture d’une filiale Manpower en Tunisie et prochainement en Algérie.
Pour avancer, il invite le roi Mohamed VI à préciser ses objectifs : "Vers quel type de société le Maroc doit aller ? Comment y arriver ? Avec qui le faire ? Que devons-nous faire ensemble pour y arriver ?". L’attente est grande. Le Commandeur des Croyants, comme on appelle le roi au Maroc en vertu de sa descendance du Prophète, a une lourde responsabilité sur les épaules. En attendant, Jamal continue d’avancer. Il anime chaque mois à la TV marocaine l'émission Entreprendre, où il condamne les pratiques du patronat marocain. Il veut être exemplaire. Son coursier ne gagne-t-il pas 4200 dirhams, le double du Smic marocain ?