Les transferts d'argent des Marocains résidant à l'étranger (MRE) revêtent une importance considérable dans l'économie du Royaume. Mais leur comportement change. Désormais investisseurs, et non plus seulement clients, ils sont maintenant en attente d'une administration économiquement efficace. Que représentent les Marocains Résidents à l’Etranger (MRE) aux yeux des autorités publiques, des sociétés privées - banques en tête -, et des citoyens marocains ? Réponse : l’argent, l’argent, l’argent. En effet, pour tout le monde, les MRE sont considérés comme une source de revenus, une tirelire nationale, et pour cause...
Le montant des transferts de la communauté marocaine résidant à l’étranger avait atteint, pour la seule année 2001, 36 milliards de dirhams (environ 3,6 milliards d'euros), soit plus du double du montant des investissements directs étrangers. La France draine à elle seule près de la moitié de ces transferts. Le volume grandissant de ces derniers incite les banques à se livrer une sérieuse concurrence pour attirer la cagnotte vers leurs caisses.
Durant les toutes dernières années, les MRE ont dopé les transactions courantes : conjuguée à une expansion des recettes touristiques et à une légère baisse du service de la dette publique extérieure, l’évolution de ces transferts MRE a permis de dégager un excédent de plus de 12 milliards de dirhams sur le compte des transactions courantes et ce, pour la première fois depuis 1996.
Encore une fois, les MRE ont été très généreux; leur pouvoir d’achat fait d’eux une cible privilégiée pour bon nombre d’opérateurs. Les banques, les sociétés de crédit et les promoteurs immobiliers multiplient les actions de sensibilisation en direction de cette clientèle intéressante. Dès leur arrivée, et même durant la traversée, les MRE sont assaillis de messages publicitaires, de stands de représentation, relayés ensuite au pays par des spots télévisés aux couleurs de l’été, ainsi que par des messages radio.
Si tout le monde ou presque fait du charme aux MRE, tout le monde est conscient aussi que les mentalités des MRE sont en train de changer. Malheureusement, malgré les signes très perceptibles de ce bouleversement, les efforts consentis par les uns et les autres pour s’y adapter sont loin de satisfaire cette clientèle…

Du MRE tirelire au MRE acteur du développement de son pays
Les immigrés d’aujourd’hui ne sont pas intéressés par les soirées, fantasias et autres manifestations à caractère folklorique. Ils ont besoin de diligence, de moins de paperasse, ils veulent être considérés comme un véritable partenaire intervenant dans le processus de développement de leur pays d’origine.
Pendant longtemps, l’immobilier est resté le premier pôle d’attraction pour une grande partie des MRE : l’acquisition d’un logement neuf symbolise le signe de réussite sociale tout en répondant à un besoin réel ou spéculatif. Aujourd’hui, les intentions d’investissements futurs révèlent une désaffection inexorable de ce secteur en faveur d’autres branches de l’économie. Ce détournement peut s’expliquer par la juxtaposition de plusieurs facteurs : manque de visibilité, ignorance de la réglementation en vigueur, impossibilité d’assurer un suivi régulier du patrimoine sur les plans physique, juridique et fiscal…
L’évolution des investissements des MRE s’explique aussi par l’émergence d’une nouvelle génération de promoteurs ayant investi les nouvelles technologies et témoignant d’un esprit d’entreprendre éprouvé. Ils s’intéressent à la création d’unités industrielles, notamment dans le textile et le cuir mais aussi dans l’agro-industrie, la chimie, l’électricité. Cette nouvelle tendance témoigne de l’existence d’un potentiel de cadres marocains innovateurs et enthousiastes ayant la volonté de réussir le pari difficile du transfert de technologie au Maroc et, partant, relever le défi de sa compétitivité.
Cependant, ni les banques marocaines, ni les opérateurs économiques, ni les administrations publiques n’avaient prévu un traitement adapté à ce type d’investisseurs, alors que c’est là où leur action devait s’orienter en priorité. Faute d’avoir pu anticiper et offrir un ensemble de prestations spécifiques à ce type de projets, les difficultés auxquelles se heurtent les investisseurs MRE, une fois leur projet finalisé, ne diffèrent guère de celles rencontrées par les promoteurs locaux et plus généralement les PME en phase de démarrage. Les problèmes administratifs et la corruption arrivent en tête des difficultés rencontrées par les MRE au cours de la réalisation de leurs projets. Viennent ensuite les difficultés de financement, suivis par les difficultés liées à la fiscalité et les problèmes d’accueil et de confiance.

Vers une autonomie régionale dans la prise de decision
La mise au point d’un programme d’orientation et d’assistance pour la réalisation de leurs projets doit voir le jour, l’établissement d’un canevas d’analyse complet de projets d’investir : études de marché, études économiques, techniques et financières sont une des priorités à l’égard des MRE.
Plusieurs solutions peuvent être envisagées.
Une convention de partenariat pourrait (et devrait ?) être conclue entre le Maroc, par le biais d’un guichet unique ou une structure similaire (wilaya), et la France, via un club d’investisseurs MRE indépendant.
Cette instance facilitera la tâche des investisseurs potentiels par l’élaboration d’un programme d’aménagement et de construction d’infrastructures d’accueil. Il va sans dire que cela nécessitera une étroite collaboration entre les Chambres de commerce, les wilayas et les banques.
Outre la création des conditions nécessaires à l’émergence de nouvelles activités industrielles et à la dynamisation de celles existantes, ce partenariat devrait permettre l’apparition de zones industrielles et de zones d’activités économiques opérationnelles.
Il est impératif que les municipalités et collectivités locales soient plus présentes auprès des investisseurs potentiels afin d’anticiper sur leurs difficultés éventuelles et être en mesure de concevoir et proposer des solutions adéquates. Le développement de l’économie solidaire devrait également faire partie du programme des principales municipalités, ce qui permettrait la valorisation des "niches", c’est à dire des besoins et métiers nouveaux et qui ne sont pas pris en compte par les entreprises locales existantes sur son territoire. Cela pourrait englober aussi les entreprises d’insertion, de services aux personnes âgées, le commerce solidaire…Des domaines qui dépassent l’intérêt des entreprises traditionnelles, mais qui peuvent générer des emplois.
La seconde solution, testée d'ailleurs avec succès, consiste en la mise sur pied d’une petite structure légère dans chaque province, voire par la suite dans chaque ville et dont la fonction est multiple : opérations de détection et d’accompagnement pour la création d’entreprises(ODACE). C’est une aide non financière, une assistance permettant la validation des projets dans leur viabilité économique. Ce sont les boutiques de gestion ayant leur siège dans la ville et qui aident les entreprises en création.

Ecart social à combler
La troisième pourrait voir le jour dans les grandes villes disposant de centres universitaires. Ces derniers créeront des espèces d’"incubateurs" d’entreprises, espaces où le créateur potentiel d’entreprise reçoit une assistance pour finaliser son projet. Toutes les solutions requièrent une autonomie dans les prises de décision. Or les conditions de la décentralisation des services d’opérateurs intervenant dans ce processus ne sont pas encore réunies.
Le seul exemple des banques nous éclaire suffisamment sur ce point. Qu’il s’agisse de banques privées ou de la Bank Al Maghrib, la prise de décisions relève exclusivement des services centraux de Casablanca. La quasi totalité des guichets à travers le royaume sont réduits à de simples collecteurs de dépôts.
L’investissement décentralisé a été mis au centre de la politique économique impliquant une participation très active et incitative des walis, cependant des obstacles se dressent devant la réalisation de cette déconcentration-décentralisation. Les collectivités locales sont loin de constituer un vecteur de développement économique. Le prochain gouvernement doit s’atteler résolument à parachever cette politique de régionalisation initiée par le roi Mohamed VI.
Cette réforme conduira inéluctablement, à la révision des fonctions des services centraux de différents ministères à compétence économique, qui assumeront essentiellement les missions relatives à la conception d'orientations nationales arrêtées par le gouvernement : la supervision, la coordination, le contrôle et le pilotage des stratégies de développement. La décentralisation permettra aussi l’introduction d’une bonne dose de développement équitable par le biais des moyens matériels et humains dans un souci d'équilibre entre les différentes régions du Royaume. L'Etat ne pourrait jamais s’ériger comme le seul régulateur économique, social et politique du développement. Néanmoins, le gouvernement viendrait renforcer le pouvoir régional dans le domaine du développement économique et social par la recherche de mesures complémentaires.
En tout état de cause, toute politique à l’égard des MRE doit dorénavant tenir compte des changements intervenus dans la dimension socio-économique et culturelle de la communauté marocaine en Europe. Une véritable élite a pu émerger au sein de cette dernière, émergence qui tient à la vitalité et au dynamisme de nos concitoyens.
L’émigration marocaine était par le passé liée à l’appauvrissement de leur société d’origine, les candidats à l’exil vers l’Europe étaient en effet les éléments les plus vulnérables économiquement et les moins cultivés. L’écart social à combler au sein des sociétés européennes demeurait donc conséquent. Aujourd’hui, médecins, universitaires, ingénieurs, chefs d’entreprises, analystes… y sont plus nombreux, ils veulent agir pour mieux asseoir le développement de leur pays. Si aucune mesure relative à l’investissement des MRE n’est menée par le prochain gouvernement pour pallier tous les dysfonctionnements, notamme administratifs, les conséquences ne manqueront pas de se faire sentir : et sur les investissements, et sur les transferts qui les alimentent, et en fin de compte sur les liens même des MRE avec leur pays. Les responsables marocains sauront-ils nous faire l’économie de ce divorce ?