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Ils s’appellent Souad, Ali ou Arezki. En France depuis 10, 20 ou 30 ans, ils mènent le quotidien de tous les Français, sans bénéficier de leurs droits. Aujourd’hui, ils expriment le désir de choisir leurs représentants politiques. Une revendication vieille de 20 ans, à laquelle n’a pas répondu la gauche. La droite le fera-t-elle ? Alors que les étrangers européens votent depuis Maastricht, ils nous expliquent ce qu’ils ressentent comme une « discrimination ». « Je considère, qu'il ne serait pas anormal qu'un étranger en situation régulière, qui travaille, paie des impôts et réside depuis au moins dix ans en France, puisse voter aux élections municipales.» La déclaration a fait grand bruit. Les propos de Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, en faveur du droit de vote des immigrés ont suscité l’agitation de la classe politico-médiatique.
Pourtant, la proposition n’est pas nouvelle. La gauche la promet depuis 25 ans. François Mitterrand, alors candidat aux présidentielles de 1981, en avait fait l’une de ses 110 propositions. En 1988, alors président, il « déplore personnellement » dans sa « Lettre à tous les Français », que l’opinion publique y soit majoritairement hostile.
Depuis, la question est régulièrement relancée, mais la gauche n’en a plus le monopole. Sans jamais aboutir d’ailleurs. Le 3 mai 2000, pourtant, l’Assemblée nationale adopte en première lecture une loi qui donne le droit de vote à tous les résidents étrangers pour les élections municipales.
La loi ne sera jamais examinée par le Sénat.

« Tant, que nous n’aurons pas le droit de vote,
ils pourront continuer à nous discriminer. »

Pour Ali Al Baze, président de l’Association des travailleurs marocains en France (ATMF), la gauche a manqué de courage politique. « C’est une revendication des années 80. À chaque fois, on nous la promet. Aujourd’hui que la gauche est dans l’opposition, elle s’y engage, quand elle était au gouvernement, elle ne l’a pas fait passer. Par manque de courage politique. Elle a pourtant outrepassé l’opinion publique en abolissant la peine de mort.
Les immigrés, explique-t-il, aspirent à obtenir ce droit, en tant qu’acteur de la vie de la cité. « Moi-même, je le désire. J’habite en France depuis 30 ans. J’ai une carte de résident. Je revendique le droit de m’exprimer » indique-t-il. « C’est la reconnaissance d’une inégalité. Le fait de reconnaître que les habitants de ce pays, soumis aux mêmes devoirs, n’ont pas les mêmes droits. Les immigrés ne pèsent pas sur les décisions gouvernementales. Tant que nous n’aurons pas le droit de vote, ils pourront continuer à nous discriminer. Si les immigrés obtenaient le droit de vote, ils seraient pris en considération », ajoute Ali Al Baze.
Un sentiment que partage Arezki Boualili. «Il y a des communes où les immigrés représentent une part importante de la population alors que le maire est d’extrême droite. Il n’est pas représentatif de ses citoyens. Dans beaucoup de villes de France, si les immigrés pouvaient voter, la tendance politique serait radicalement différente. Si la gauche avait accordé le droit de vote aux étrangers, elle n’aurait sûrement pas perdu les dernières élections et surtout, on n’aurait pas eu Le Pen au second tour ! »

Agé de 32 ans, Arezki est agent de sécurité à Roissy. Il a quitté sa Kabylie natale il y a peine trois ans pour la France. Des années qui ont suffi à faire de lui un « citoyen exemplaire ».
« Je suis salarié, je paye mes impôts, mes contributions, ma carte Orange. Je ne vois aucune différence entre moi et mon voisin français « de souche » comme disent certains. Je veux donner mon avis sur ce qui se passe dans ma commune.»
Militant au sein de l’association Léo Lagrange, il a rejoint le Collectif Droit de vote qui organise « La Votation citoyenne » (voir encadré ci-dessous). Il espère faire reconnaître ses droits civiques : « le refus du droit de vote aux étrangers étant une forme de discrimination ».
À l’annonce du ministre de l’Intérieur, Arezki, n’y croit pas. « Sarkozy fait de la tchatche politique. Il propose aux Arabes de leur donner le droit de vote pour récupérer le vote musulman et il promet de renvoyer les étrangers chez eux pour séduire l’électorat d’extrême droite. Il n’est pas crédible ! », s’emporte-t-il.
Le scepticisme, à l’égard des déclarations du ministre de l’Intérieur, s’explique notamment par les mesures qu’il a prises ces derniers temps, notamment à l’adresse des étrangers. S’il a aboli la double peine, Nicolas Sarkozy a, en revanche, appliqué une politique sécuritaire à l’égard des Sans-papiers. Ajoutés à cela des propos explosifs_ «nettoyage au Kärcher» des quartiers difficiles infestés de « racaille ». D’où l’impopularité du numéro deux du gouvernement.

Outre le fait qu’obtenir la nationalité française est une démarche administrative complexe, certains étrangers restent attachés à leur nationalité d’origine. C’est le cas de Souad. Propriétaire d’un très bel appartement, dans le XIe arrondissement de Paris, sa famille appartient à ce que l’on a pour coutume d’appeler « la beurgeoisie ». Elle, est assistante maternelle, son époux chauffeur de taxi. Leurs filles, Samira, 30 ans, travaillent dans la publicité et Sonia 28 ans, est assistante commerciale. Chez eux, rien ne rappelle leur Tunisie natale. Seuls, le thé à la menthe et les petites pâtisseries évoquent le respect des traditions orientales. Si elle et son conjoint ont choisi de vivre en France, ils restent pour autant attachés à leur pays d’origine. « Nous avons choisi la France, mais on reste Tunisiens. » Elle ne comprend pas pour autant que ses collègues de travail, françaises, puissent choisir leurs représentants locaux, et pas elle. « Je vis en France depuis plus de 30 ans. Je devrais pouvoir voter. Je vis comme tous les Français. Je travaille, je paie mes impôts, je consomme… », déclare la maman avec un accent que 33 ans d’émigration n’ont pas effacé.
Sonia, comprend cette revendication. « Les immigrés installés de longue date en France, comme mes parents, devraient avoir les mêmes droits que les citoyens français. D’autant qu’ils sont soumis aux mêmes devoirs. » La jeune femme émet tout de même quelques réserves. « Je me demande s’ils ont les outils pour être en mesure de choisir le candidat qui les représente le mieux. En général, ce sont des personnes qui n’ont pas fait beaucoup d’études, certaines sont analphabètes. Ma mère divise la classe politique entre les « gentils avec les Arabes » et « ceux qui veulent nous mettre dehors », comme Sarkozy qu’elle appelle « Jakouzy ». Mais nous, les enfants d’immigrés, pouvons la leur expliquer. Il faudrait essayer. »
En attendant, sans rien espérer de « Jakouzy », Souad espère qu’on lui donnera les moyens de s’exprimer. D’autant que les ressortissants européens peuvent participer aux élections locales depuis Maastricht. Ce que les autres étrangers ressentent comme une discrimination. Ainsi que l’exprime Ali Al Baze. «Aujourd’hui, avec l’élargissement de l’Union européenne, un Lithuanien qui arrive sur ma ville, aura le droit de vote au bout de six mois alors que moi, qui y vit depuis 30 ans, non. On nous dit que les citoyens sont égaux, mais on nous situe dans un système où il y a des citoyens plus étrangers que d’autres » déplore le militant. « L argument que l’on nous oppose n’est pas valable. Ce lien intrinsèque qui devrait exister entre la nationalité et l’élection est un faux argument. Les européens ont le droit de vote même s’ils ne sont pas français. On ne comprend pas ce déni de citoyenneté en France. En Belgique, le droit de vote des étrangers est passé comme une lettre à la poste. »
D’autant que l’opinion publique, aujourd’hui, y est plus favorable. Selon un sondage *, 63 % des Français sont favorables « à ce que des étrangers non européens installés en France depuis dix ans votent aux élections municipales ». Parmi elles, 61% estiment qu’« accorder le droit de vote aux étrangers faciliterait leur intégration dans la société française ». En revanche, 23% des sondés se disent « tout à fait hostiles ».
Quoi qu’il en soit, le débat est relancé. Quant à savoir si une loi sera adoptée, cela n’est pas certain. La classe politique est plus que divisée sur la question. Toutefois, à la lumière des évènements récents, cette mesure, qui encouragerait l’intégration des populations étrangères en France, pourrait paraître la bienvenue. À condition que celle-ci soit accompagnée d’actions visant à améliorer le quotidien de ces personnes en matière de logement, d’éducation et d’emploi.

D.B.M

*Source Ifop, sondage effectué par téléphone les 27 et 28 octobre, publié le 30 octobre par le Journal du dimanche.




ENCART : LA VOTATION CITOYENNE

« Sensibiliser l’opinion publique. »
L’opération n’aura aucune influence directe sur nos dirigeants, et pourtant, la symbolique est forte. Du 5 au 11 décembre, dans un certain nombre de mairies et places publiques, à Paris et en Province, l’ensemble des populations vivant en France, les Français, comme les autres, seront interrogés sur l’accès aux urnes des immigrés aux élections locales. « Tout le monde pourra voter, on ne va pas demander les papiers des gens » indique Saïd Bouziri, membre de la Ligue des Droits de l’Homme et coordinateur du Collectif droit de vote autour duquel s’organise l’action. L’objectif étant de sensibiliser l’opinion publique à la question. L’initiative a précédemment eu lieu en 2002. 40 000 personnes ont voté en l’espace d’un week-end et 92% des personnes se sont dites pour le droit de vote des étrangers aux élections locales. Les organisateurs s’attendent à plus de participants cette année.
D.B.M

ENCART : Les étrangers européens votent
Si le mot « discrimination » a été lâché, c’est parce que, depuis la signature du Traité de Maastricht, les étrangers issus de l’Union européenne ont la possibilité de choisir leurs représentants politiques. En effet, depuis 1992, « les citoyens de l’Union européenne résidant dans un Etat membre dont ils ne sont pas ressortissants peuvent exercer dans cet Etat leur droit de vote et d’éligibilité aux élections du Parlement ainsi qu’aux élections municipales. » Il leur suffit de jouir des droits civils et politiques (l’âge et le rattachement à une commune). Ils perdent, en contrepartie, leur droit de vote dans leur pays d’origine.