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Catégorie : Dossier
Quelle est la grande différence naturelle entre hommes et femmes ? Le ventre ! La capacité à mettre les enfants au monde ! Et c'est autour de cette capacité que les femmes seront soit sacralisées (déesse-mère) soit déniées (privées de tout droit civil et civique). Oui, seules les femmes peuvent êtres sûres de leur descendance… sûres de combien d'enfants elles ont mis au monde. Ou refusé de mettre au monde en avortant. Les hommes, eux, ne peuvent ni être sûrs, ni vraiment les compter… N'en n'ont-ils pas semé un ou deux au cours d'une expédition entre garçons - festive ou moins festive (la guerre). À l'heure de la génétique, nous risquons fort d'oublier que hommes et femmes ont vécu jusqu'ici avec cette grande inégalité fondamentale : les femmes donnent la vie " consciemment ". Pas les hommes.

Et comme la grossesse dure 9 mois et l'accouchement quelques heures, des témoins peuvent dire à l'enfant de quel ventre il est sorti - si la mère n'est pas en état de le faire. Pour ce qui est de son père, il faudra que sa mère le désigne (ou d'autres membres de la communauté). Et pour être vraiment père de cet enfant, il faudra aussi que l'homme reconnaisse publiquement sa part dans cette naissance. Or, contrairement à toute attente, le droit écrit a fondé le droit du père à ne pas reconnaître les enfants dont il est le géniteur.

Je vous propose un retour sur l'histoire du droit écrit qui a fondé l'exclusion des femmes de tout droit civil et économique. Et si ce droit n'a plus cours aujourd'hui en France, il demeure inscrit culturellement que les femmes sont incapables de gérer leur propre vie et encore moins la vie publique !

Puisque je suis un peu reconnue pour bien connaître la question prostitutionnelle, c'est à travers l'histoire de Tamar, la première prostituée citée par le texte écrit réputé le plus ancien, la Bible, que je vais vous expliquer comment ce non-droit écrit s'est mis en place et ce qu'il a induit dans nos rapports femmes/hommes.

Tamar, la première prostituée citée par la Bible Tamar est veuve et sans enfant. Son beau-père, Juda, envoie son fils cadet auprès d'elle : "Agis envers elle comme le plus proche parent du mort. Va vers la femme de ton frère et suscite une descendance à ton frère ". Mais ce frère rechigne à cette tâche. Il laissait la semence se perdre à terre et le seigneur fit qu'il en mourut. Le troisième frère, Shéla, est trop jeune. Le beau-père dit à Tamar :
- "Reste veuve dans la maison de ton père jusqu'à ce que mon fils, Shéla, ait grandi". Les années passent et le beau-père oublie sa promesse. Un jour qu'il passe près du village de Tamar, elle se poste sur sa route, tête voilée. La prenant pour une prostituée, il lui dit :
- "Je vais t'envoyer un chevreau. Elle répond :
- D'accord, si tu me donnes un gage jusqu'à cet envoi.
- Quel gage te donnerai-je ?, dit-il.
- Ton sceau, ton cordon et ton bâton", répond-elle. Il les lui donne, use d'elle et elle deviendra enceinte de lui. Quand on informe Juda que sa bru Tamar s'est prostituée et qu'elle est enceinte, il ordonne :
- "Qu'on la jette dehors et qu'on la brûle". Tamar montre alors son gage pour prouver le rôle de son beau-père. Il reconnaît sa faute : - "Elle a été plus juste que moi, car de fait, je ne l'avais pas donnée à mon fils Shéla." Puis il se suicide. Genèse - Chap 38.

Cette histoire se situe à la fin du néolithique, au tout début de la Haute Antiquité. Tamar a été mariée sur le mode de l'alliance qui s'appuie sur la lignée des ventres : une femme d'un groupe fera un enfant dans un autre groupe. Ainsi, les deux groupes seront alliés : c'est une garantie de paix durable entre eux. Ce sont les femmes qui sont l'objet de la transaction et qui partent dans l'autre groupe car par leur ventre, elles prouvent que le contrat a bien été rempli. Pour cet échange, le mari (ou son groupe) paye une dot car il s'enrichit d'avoir un enfant. Or, dans l'histoire de Tamar, les hommes garants de l'alliance vont faillir à leur tâche d'une manière ou d'une autre. Détaillons cet enchaînement de défaillances.

1- Le mari de Tamar décède. Elle reste veuve sans enfant. Donc, son contrat n'est pas rempli par la défaillance de son mari. 2- Le cadet doit relayer son frère pour ne pas la laisser sans protection. Mais il rechigne à la tâche ! Pourquoi ? Parce que faire un enfant à Tamar équivaudrait pour lui à s'auto déshériter en se refabriquant l'aîné dont le sort l'a miraculeusement débarrassé ! Oui, car tant que les groupes nomadisaient en vivant d'une économie de prédation, pas de problème d'héritage. Mais à partir du moment où le clan va s'approprier les terres, (entre 10000 et 4000 ans avant JC en Mésopotamie), les clans vont se battre entre eux mais on va se battre à l'intérieur de chaque clan. Car le Code de la famille à Sumer en -3500 a scellé l'injustice en instaurant la lignée du nom du père - nom qui ne sera pas un droit pour tous ! a) seuls les garçons peuvent hériter et gérer les biens. Les filles doivent donc dorénavant être nourries et abritées par un homme, père, frère, marie, autre - bienveillant ou non pour qui elles seront fille, femme, concubine, prostituée ou esclave. Leur seule arme : la séduction (le pouvoir sur l'oreiller) ou la pitié et la dot car maintenant, ce sont les femmes qui vont payer pour obtenir une place à l'abri ! Et comme les places à l'abri sont rares, la compétition entre femmes est lancée : les conditions de la rivalité féminines sont posées. b)seul l'aîné des garçons hérite. Les cadets sont laissés démunis et obligés de se mettre à la solde d'un homme nanti : le père, leur frère, un autre homme pour qui ils seront esclaves, mercenaires ou prostitué. Toute solidarité entre frères est devenue impossible. Pire, on a créé les conditions pour la haine et la rivalité à mort entre eux ! Depuis, l'Histoire est pleine d'infanticide, de fratricide, de parricide et maintenant de génocide qui n'ont d'autre motif que le refus du partage des biens !

3- Le deuxième mari de Tamar meurt à son tour. Tamar est donc 2 fois veuve, toujours sans enfant. 4- Son beau-père la renvoie chez elle en attendant que le dernier fils soit en âge de l'épouser. Pourquoi ne veut-il pas la nourrir en attendant ? N'est-elle pas chez elle chez son mari ? Non. Ni non plus dans sa famille d'origine où les solidarités ne doivent pas être meilleures que dans sa belle-famille ! Et comme les femmes ont été laissées sans existence ni civile, ni juridique ni sociale par la loi écrite, il lui est impossible de vivre seule - non rattachée à un homme. Seul l'héritier qu'elle pourrait faire à sa belle-famille lui garantirait la sécurité (un toit, une table, l'éducation des enfants). 5- Avec le temps, le beau-père l'oublie... Pour s'assurer cette place dans sa belle-famille, Tamar en viendra à se faire faire l'enfant héritier (clé de sa sécurité) par son propre beau-père. C'est pourquoi celui-ci s'excusera : il est en faute de n'avoir pas tenu son engagement envers sa belle-fille et son clan ! Mais il se suicide car cette relation incestueuse atteste de l'effondrement du système communautaire dont il était le garant et Tamar sera la seule prostituée de l'histoire à être rétablie dans le droit que lui procure de donner un héritier à un homme. Après elle, seule la femme dite " légitime ", celle avec qui on a signé un contrat de mariage sera en droit de présenter un enfant à son mari pour qu'il le reconnaisse (et celui-ci ne sera pas tenu de l'accepter)

Et dorénavant, on enfermera les femmes (du moins celles auxquelles on tient) dès la puberté pour contrôler " leur ventre " puisque par leur ventre passe l'héritage : pas question donc d'élever un enfant qui pourrait être de quelqu'un d'autre et encore moins de le faire héritier. Les femmes de la rue seront si fortement stigmatisées qu'elles n'oseront plus réclamer une place auprès du père de leur progéniture. Les dés sont jetés pour les millénaires à venir… Et le discours discriminatoire des politiques et des philosophes (sauf de Socrate) légitimera autant l'enfermement de la femme honnête que le bannissement de la femme de la rue.

Il en résultera trois places sociales possibles pour les femmes :
- épouse légitime
- concubine : dans l'Antiquité, les concubines sont aussi enfermées dans le gynécée car le maître peut accepter de " nourrir " leur progéniture -père nourricier -. Aujourd'hui, ce sont les " maîtresses " et elles sont hors du domicile conjugale et chez nous, leurs enfants ont depuis peu accès à tous leurs droits (nom du père et héritage).
- ou prostituée. De ce clivage épouses et concubines dedans/ prostituées dehors / va découler un interdit total de la voie et de la vie publique pour les femmes. Vie publique pour les femmes sera synonyme de vie dépravée. (Ça l'est encore dans de nombreux pays)

Alors que les hommes auront trois places sociales :
- aîné (maître, puissant, viril, actif - sodomisant, chef, patron, roi, riche, etc.)
- ou mercenaire : c'est la place des cadets forts et virils mais dominé et dépendant.
- ou prostitué : c'est la place des cadets faibles et non virils : passif - sodomisable.

Civilement, l'accès aux droits et à l'égalité entre hommes sera établie en France à la Révolution (1793), alors que les femmes resteront mineures à vie passant de la soumission au père à la soumission au mari. Par contre, l'égalité dans la fratrie leur permet d'accéder à l'héritage (quand il y en a) : le seul statut qui donne une liberté entre 1793 et 1933 est donc celui de veuve.

Ainsi, de l'Antiquité à la Révolution, hommes et femmes pauvres seront dans le même état de non-droit (ni nom, ni héritage, ni place politique) : mais les femmes perdront leur compagnon de misère en 1793 en restant seules sans droit civil et civique.

En France, l'ensemble de ces droits ne seront accordés que par bribes …. Le droit de propriété : 1791 En obtenant le droit d'hériter, les femmes accèdent à la propriété (avant, elles n'héritaient pas - elles recevaient éventuellement une dot que leur père versait à leur mari) Le droit d'ouvrir un livret de caisse d'épargne : 1875 Les banquiers ont vite compris que l'argent n'a ni odeur, ni couleur ni sexe Le droit de se syndiquer : 1905 Est venu avant le droit de vote car les syndicalistes ont compris plus tôt que les élus politiques qu'ils avaient besoin des voix des femmes - et de leur participation dans les combats Le droit de faire une recherche en paternité : 1912 Le droit d'être un jour majeure ! : 1933 Suppression de l'autorité parentale après 21 ans. Avant elles restaient toute la vie sous l'autorité du père si elles n'étaient pas mariées. Le droit d'ouvrir un compte en banque : 1938 Le droit de voter : 1944 Pour leur bonne conduite pendant la guerre ! ! Comme toujours Le droit de travailler sans autorisation du mari : 1965 C'était une honte pour un homme de ne pas nourrir sa famille et que sa femme travaille Le droit à la contraception : 1964 Avant, il y avait prison pour prise de contraceptifs ! Le droit à l'avortement 1974 Le droit de reconnaître un enfant seule : 1960 Création d'un livret de famille avec la seule mention " mère ". Le droit de donner sa nationalité à son enfant : 1975 Egalité totale dans le mariage : 1985 La notion de chef de famille avait été supprimée en 1970 (la femme était l'adjointe de son mari). Mais mari et femme étaient restés inégaux face aux biens et aux enfants. En cas de divorce, la femme était toujours " perdante ".

Et ils restent fragiles car dans les têtes et dans bon nombre de pays, l'incapacité de femmes demeure confirmée par un non-droit écrit. Culturellement, la conviction que l'homme donne la vie parce qu'il donne son nom continue de gommer que c'est la femme qui donne la vie, que l'homme reconnaisse ou non cette naissance - Toute vie humaine est entrée et sortie par le ventre d'une femme. Ne serait-ce pas cette dette trop lourde (dont aucun de nous n'est responsable car aucun de nous n'en a décidé) que les femmes aujourd'hui payent encore !

Entre la lignée des ventres et la lignée du nom du père - il nous reste quelques millénaires d'incompréhension à combler !

par Martine COSTES PEPLINSKI