Au regard des écrits des années 1960, une composante notable des « intégristes » d’antan a clairement fait son lifting démocratique. Dont acte… Il ne s’agit pas pour autant de révolution idéologique globale au sein de la mouvance ou le basculement armes et bagages conceptuels de celle-ci dans les limbes consensuelles de la démocratie libérale. La culture de la clandestinité persiste, les réserves sur l’application pratique du principe de citoyenneté également. (Cet article sera publié dans le prochain no de la Revue Maghreb-Machreck, no 181, no special Egypte. nous le publions après avoir eu l'autorisation de l'auteur).

La démocratie, aphorisme islamiste de l’anti-autoritarisme libéral


Le 14 mai 2004, dans les colonnes de l’hebdomadaire al-Qâhira , ‘Abd al-Mun‘im Abû al-Futûh, porte-parole des Frères musulmans, réglait définitivement son compte au rapport ambigu des islamistes avec la démocratie. Incitant à l’innovation et au dépoussiérage de la culture militante au sein de la confrérie, il prône l’adoption sans réserve de la démocratie comme instrument de régulation du pouvoir et refuse le discours sur l’adaptation de la démocratie aux réalités islamiques et arabes. Il revendique le principe absolu du pouvoir au peuple tout en évinçant l’idée que soit rattaché à ce principe un cadre religieux, ce que faisait l’ancienne formulation « le pouvoir du peuple dans le cadre de la législation divine ». Il confirme aussi l’adoption inconditionnelle du principe de citoyenneté et, en conséquence, accepte le principe d’une présidence copte et la présence de femmes à tous les échelons du pouvoir. Ses déclarations ne suscitant pas de réactions publiques notables, alors qu’elles recueillaient le soutien privé du leader de la confrérie des Frères musulmans Muhammad Mahdî ‘Âkif, Abû al-Futûh réitéra alors ses propos sur les plus grands médias arabes comme al-Jazeera pour le petit écran ou Islamonline sur le net. Prolongeant un aggiornamento idéologique qui débuta aux marges de la confrérie en 1989 et se précisa en 1994 à l’occasion d’un document fondateur d’une perspective « islamique » réconciliée avec les notions de citoyenneté et de pluralisme politique , le leader du « courant démocratique » au sein des Frères, s’attaque à la culture de la clandestinité et du radicalisme, héritée de la répression nassérienne, lorsque la production idéologique s’élaborait derrière les barreaux le couteau entre les dents en attente de la corde au cou .
Au regard des écrits des années 1960, une composante notable des « intégristes » d’antan a donc clairement fait son lifting démocratique. Dont acte… Il ne s’agit pas pour autant de révolution idéologique globale au sein de la mouvance ou le basculement armes et bagages conceptuels de celle-ci dans les limbes consensuelles de la démocratie libérale. La culture de la clandestinité persiste, les réserves sur l’application pratique du principe de citoyenneté également. Du coup, les avis se partagent sur le statut de l’idiome démocratique florissant sur un terreau idéologique qui le rejetait hier et à l’optimisme des uns qui estiment devoir prendre les islamistes au mot, faute de pouvoir les juger à l’aune de l’exercice du pouvoir, répond la défiance viscérale des « islamo-sceptiques » pour lesquels tout cela n’est que poudre aux yeux, tuqia et double langage. En ligne de mire de ce débat impossible se profile, de façon lancinante, l’insondable question de la sincérité des acteurs, laquelle tourne toujours, dans un sens ou dans un autre, au procès d’intention.
Ainsi posé, le débat est d’emblée sérieusement hypothéqué par, au moins, deux sérieux bémols. En premier lieu, le fait que sonder les cœurs ne sera jamais plus qu’une démarche spéculative. En second lieu, le procès d’intention, critique ou apologétique, suppose que les islamistes soient pris au mot, ce qui revient à passer à côté de l’essentiel, à savoir que, en Égypte à tout le moins, le débat au sein des Frères sur la démocratie n’a pas pour enjeu le pluralisme, mais le dégraissage des structures de l’Organisation. D’où la faiblesse de la production intellectuelle islamiste sur la démocratie, laquelle ne signifie pas qu’ils y seraient irrémédiablement hostiles, mais que la démocratie n’est pas véritablement un enjeu. La confrontation est ailleurs et n’oppose pas « radicaux » et « modérés » sur les fondements ou les buts idéologiques de l’organisation, mais innovateurs et apparatchiks sur les formes et le fonctionnement de celle-ci. La démocratie est ainsi moins l’idiome d’un pluralisme naissant que le langage d’une revendication anti-autoritaire, s’affirmant toujours plus ouvertement au sein de la confrérie. Car le vrai enjeu, c’est la liquidation idéologique de l’héritage nassérien au sein des Frères : la lourdeur des appareils et la culture de la clandestinité. Cristallisation politique du récent engouement islamiste pour la littérature américaine du management , l’idiome démocratique exprime ce soucis de dégraissage des anciennes structures politique, d’allègement de leur fonctionnement, d’assouplissement de leurs hiérarchies à l’heure du « downsizing » mondial, où les grands édifices totalisants sont passés de mode.
Se structurant au croisement d’une poussée anti-autoritaire et de l’affirmation d’un discours managérial, l’idiome démocratique est donc bien plus qu’un simple feu d’artifice de modernité politique en forme de leurre, dans un ciel fondamentalement noircit par l’obscurantisme impénitent des champions de la « revanche de Dieu ». Il est l’expression politique d’une mutation anthropologique profonde qui en atteste les prémisses et en assure la viabilité : l’affirmation au sein de ce que l’on appelle al-thaqâfa al-ikhwânîa (la « culture Frères musulmans », c’est-à-dire les modes de vie des militants ordinaires) d’une « culture non coercitive de la civilité » (Nurcholish Madjid ) où se développent les engagements libres, le relativisme, la désacralisation de l’institution et le rejet des hiérarchies.

De la charî‘a islamique au compassionate conservatism


Passé au prisme de la culture managériale américaine, de l’angoisse face aux grands récits et aux grandes institutions qui, du communisme à l’islamisme, leur était liée, le religieux se projette alors dans une nouvelle visée politique : non plus l’établissement de l’État islamique ou la restauration du califat, mais la liquidation de l’État providence ou, à tout le moins, un sérieux dégraissage de celui-ci. C’est bien l’intention des maîtres à penser du parti al-Wasat al-Jadîd dont le discours reste à ce jour la cristallisation la plus parachevée de ce nouvel imaginaire politique islamique. Ceux-ci partent du constat que la nation égyptienne n’a jamais été aussi forte que durant les périodes où les prérogatives de l’État étaient peu étendues et limitées aux Affaires étrangères, à la Défense, à la Justice et à la Police. Il faut donc rééquilibrer les rapports entre dawla et umma, entre État et société civile, celle-ci étant naturellement plus efficace que les bureaucraties étatiques, vu le caractère volontaire des engagements qui s’y tissent. Or, dans leur conception, les communautés religieuses sont la « société civile ». Ces communautés devraient être responsables de l’éducation, de la santé et de la sécurité sociale de leurs ouailles. La clé de voûte référentielle d’un tel discours c’est la « civilisation islamique », c’est-à-dire l’expérience historique des peuples de culture musulmane formant la communauté musulmane (al-umma al-islâmiya). Celle-ci s’apparente alors bien plus à une mondaine communauté de destin qu’à un quelconque regroupement de croyants. À ce titre, elle peut, sans problème logique, y intégrer la minorité chrétienne, ce qui est ouvertement affirmé. Par un tour de passe-passe rhétorique, on retire au religieux toute capacité à organiser un programme. De même, considérer que « la umma est la source du pouvoir » (al-umma hiya masdar al-sulta), c’est retirer à la charî‘a toute capacité de structuration normative. Du coup, les notions de pluralisme, de démocratie, de droits de l’homme (le président du Wasat, Abû al-‘Ila Mâdî, est membre d’Amnesty International) et d’alternance ne posent ontologiquement plus de problèmes. Sans ironie, Abû al-Ela Mâdî compare son parti « avec les partis occidentaux nés sur des bases chrétiennes » et le considère comme « un parti civil à référence religieuse ».
En octobre 2004, l’équipe du Wasat se représente pour la légalisation du parti, sous l’appellation al-Wasat al-Jadîd, avec un nouveau programme . Encore une fois, ce qui frappe, c’est la faible place accordée au religieux, exceptées les quelques incantations générales à la charî‘a, porteuse, selon le programme, « des principes de la sacralité de l’esprit et de la raison humaine, de la liberté de croyance, de la sacralité de la propriété privée et publique ». Et si elle est réclamée, ce n’est pas comme obligation religieuse, mais « parce qu’elle créera une meilleure vie pour tous les Égyptiens ». Quant à l’islam, il reste déconfessionnalisé et rabattu sur sa dimension « civilisationnelle » : « l’islam ce n’est pas seulement la religion des musulmans, mais le cadre culturel dans lequel les intellectuels créatifs de l’Égypte et ses leaders ont fait leur contribution ». La référence religieuse est donc mise au service d’une visée plus anti-étatiste que morale dans son acceptation traditionnelle : dans la section consacrée à la nécessité d’une réforme éthique, l’islam n’est nullement mentionné. Le sursaut moral souhaité se fonde plutôt sur un combat civique « contre les valeurs négatives comme l’hypocrisie, le mensonge et les promesses rompues, la corruption et le vol, la négligence et l’indifférence, le manque d’attention pour la notion d’intérêt public et une approche apathique du travail ». On se trouve face à une configuration de valeurs civiques clairement en rupture avec la morale musulmane (à laquelle le programme du Wasat se réfère pourtant), laquelle est plus fixée sur les enjeux de pudeur. Elle confirme, au demeurant, le virage du prédicateur ‘Amr Khâlid vers ce qu’il appelle « les valeurs morales du travail », au cœur de la pensée managériale qui a le vent en poupe au sein des jeunes islamistes dont la plupart sont aujourd’hui massivement engagés dans le business, à la tête de compagnies d’informatique, dans le commerce, les médias ou encore l’immobilier. C’est donc sans surprise que l’on constate que l’accent est mis sur le travail volontaire et l’autonomie du secteur privé. Au gouvernement revient alors le rôle de favoriser la croissance, alors que les répertoires religieux de la zaka (dîme religieuse obligatoire), de la sadaqa (dons religieux volontaires), du Waqf (les biens de mainmorte) sont mobilisés à tour de bras pour dynamiser « l’économie sociale », c’est-à-dire les PME, et prendre le relais du Welfare State au niveau des mécanismes de redistribution.
Dans ce grand élan vers l’ouverture, le programme lance un appel à la réforme du discours religieux contemporain, critiqué pour son « langage apologétique et exclusiviste et ses tendances isolationnistes », redoublé d’une conclusion critique sur la notion de clash des civilisations. Et pour cause : dans cette configuration, la morale, même rapportée au sacré, n’est pas l’indice de l’enfermement dans une pensée religieuse, mais la conséquence et le moyen d’une ambition politique, laquelle subordonne le religieux à une visée réformiste et l’inscrit donc, à son corps défendant, dans une logique clairement sécularisante. La morale est moins le simple garant du salut des âmes qu’une alternative à l’interventionnisme étatique : le bon vouloir caritatif, le mécénat et les œuvres se profilent comme successeurs du prélèvement contraint de la fiscalité, la vertu des hommes remplace la coercition étatique pour assurer l’ordre public, la morale s’inscrit dans une valorisation générale du privé et du « volontarisme ».
Il ne s’agit donc pas d’établir un État clérical, et les nouveaux islamistes refusent l’idée d’un État dirigé par les ulémas. Les nouveaux islamistes, ce sont des gestionnaires démocrates qui ont fait leur deuil de l’idée que la cité doit s’organiser dans sa totalité sur un ordre transcendantal. Ils ne sont pas non plus prêts à troquer un autoritarisme contre un autre et, relativisme oblige, ne croient plus guère à l’idée d’une Vérité politique ultime : pour eux, la liberté c’est l’affranchissement de la société de la tutelle étatique, compensée par la vertu civique des citoyens au fondement d’une nouvelle « gouvernance », marquée par un encadrement décentralisé des populations par le marché et les oeuvres. Leur vision du politique est ainsi un pouvoir lointain, peu interventionniste et la reconnaissance des mécanismes institutionnels de la démocratie, redoublée de fortes pressions contre la pluralisation des modes de vie. Ainsi, selon ‘Isâm al-‘Ariân, l’État islamique est « l’État qui gouverne une société musulmane : nous défendons l’idée de libertés publiques, de système partisan, de transition pacifique du pouvoir à travers les urnes, mais ces mécanismes prennent pied dans le cadre d’une culture islamique. On peut donc respecter toutes les libertés publiques et le principe de citoyenneté, et interdire l’alcool, l’homosexualité et la sexualité hors mariage car la culture générale est contre » .
En clair, on est venu progressivement à cette idée que l’islamiste n’est pas ontologiquement différent de ses rivaux, mais pratiquement plus efficace alors que l’islamité de l’État n’est plus dans la nature spécifique de ses institutions, mais dans la moralité de ses sujets, assumant leur responsabilité et leur nouveau rôle public et civique dans le cadre d’une gouvernance nouvelle, où les mécanismes de solidarité sociale prennent le relais de la redistribution publique.

Le temps des entreprises politiques maigres


C’est alors progressivement la perception de l’organisation du groupe qui s’en trouve affectée. Ainsi, pour le chercheur islamiste jordanien Ibrahîm Ghurâbiya le temps est venu de passer d’une organisation pyramidale à un fonctionnement plus souple, fondé sur la notion – bien à la mode – de réseau. Il invite à une autonomie accrue des leaders locaux et critique, au passage, la « mentalité monopolistique » des leaders du mouvement, s’efforçant toujours de contrôler tous les secteurs de l’activisme islamiste, confirmant par là-même leurs « tendances despotiques » et exposant le mouvement à une répression plus facile. Allant dans le même sens, dans un article qui fit passablement de bruit lors de sa parution sur le site Islamonline , Muhammad al-Sayid Husaîn, militant islamiste d’Alexandrie, appelle à une spécialisation de l’activisme islamique, considérant qu’il faut distinguer une approche complète (chumûliya al-fahm) et une action globale (chumûliya al-‘amal). Partant du constat que les sociétés modernes sont trop complexes et diversifiées pour qu’une organisation unique puisse assumer, à elle seule, l’ensemble du travail islamique, il en conclut que l’autoritarisme de jadis doit être abandonné. En lieu et place, il considère la diversité des organisations islamiques comme une chance qui conduira nécessairement à un pluralisme « riche », selon le terme même de l’auteur, et conduira à maximiser les compétences individuelles et l’efficacité de l’œuvre générale. L’article est, par ailleurs, jalonné d’appels à l’innovation et à l’inventivité – des valeurs typiques du nouveau discours islamique inspiré de la littérature managériale américaine en train de se constituer aux marges de la confrérie . En accord avec les acquis de cette littérature, l’auteur en appelle alors à l’avènement d’individus « affranchis des chaînes de la discipline organisationnelle ».
Cette tendance à la gestion souple n’est pas seulement le fruit d’une recomposition idéologique. Elle est aussi le résultat de constats sur la façon d’administrer un parti de masse. Ainsi, accompagnant la publication du livre « La fabrication de l’existence » du Frère musulman irakien Muhammad Ahmad al-Râchid, premier traité de référence invitant à restructurer le mouvement islamiste sur des principes de la gestion d’entreprise, un projet de réforme administrative se constitua en Égypte sous l’égide de Khaîrat al-Châtir, grand homme d’affaire incarnant la volonté de renouveau dans la confrérie et à la tête de plusieurs compagnies dont un bureau d’études et de formation au management . Appelé « The empowerment projet » (machrû‘ al-tamkîn), il établit que le recrutement à tout prix est autant une force qu’une source de faiblesse : il faut donc substituer à la politique de mobilisation extensive une politique de recrutement sélectif. Il appelle à nuancer l’importance de l’institution et incite au dialogue avec des partenaires indépendants afin de trouver des modes de collaboration. Il fonde, de fait, un projet étonnamment semblable à l’entreprise dégraissée à laquelle aspire toute la littérature de management contemporaine : un « cœur svelte » travaillant en réseau avec une multitude d’intervenants extérieurs .

L’ébranlement de la structure idéologique


Ce nouvel imaginaire politique se constitue donc, somme toute, relativement librement hors de la tutelle des catégories religieuses. Sans doute faut-il y voir l’indice de l’affirmation d’une génération plus formée à l’action politique qu’à la réflexion sur le fiqh. C’est pourtant aussi l’indice d’une relative démission intellectuelle, à tout le moins est-ce ainsi ressentit à l’intérieur même de la confrérie : « on reste dans un cadre non professionnel, regrette ‘Isâm al-‘Ariân, pas de think tanks, pas de grands penseurs, tout au plus y a-t-il 10 – 15 personnes aujourd’hui au sein des Frères qui se sentent concernés par des enjeux intellectuels ». Et de fait, sur les personnes de référence qu’il invoque, ‘Abd al-Mun‘im Abû al-Futûh cite, à l’exception notable du chaykh Yûsif al-Qaradâwî , non des membres de la confrérie mais des « compagnons de route », comme ‘Abd al-Wahâb al-Masîrî, Muhammad Salîm al-‘Awa, Târiq al-Bichrî ou Muhammad ‘Imâra, c’est-à-dire ce courant qui se dénomme lui-même « les islamistes indépendants ».
Dans cette configuration, les anciens concepts ne sont pas abandonnés mais redéfinis librement, c’est-à-dire sans que les arguments se fondent sur le fiqh. Emblématique en la matière, le sort réservé au concept de jihâd, plus que jamais galvaudé par de jeunes islamistes toujours plus mal à l’aise dans le cadre étriqué que leur réserve le discours islamiste classique. En réponse à un internaute en plein désarroi, suite à la mort du chaykh Ahmad Yasîn, l’équipe de la page de Islamonline « Les problèmes des jeunes et leurs solutions » lui répond en lui conseillant le jihâd al-Nahda (le jihâd de la renaissance). Pacifié et new look, le jihâd, sous leur plume, est désormais « la construction de la société, ce que notre frère ‘Amr Khâlid appelle “la fabrication de l’existence” . Précisément ce dont le docteur Ahmad Zuwaîl a parlé lors d’une conférence à l’une des universités égyptiennes : comment construire notre société ? C’est une question à laquelle il faut aujourd’hui répondre collectivement » . La suite de l’article est un vibrant appel à plus de piété, de conscience professionnelle et de solidarité sociale. Le papier conclut finalement en renvoyant à d’autres articles du site, de même acabit. Le premier s’intitule « Le jihâd civil (al-jihâd al-madanî). Vers un activisme différent » . L’auteur, Ahmad ‘Abd Allah, l’ancien leader islamiste de l’Union des étudiants de l’université du Caire à la fin des années 1980, affirme l’importance du développement d’une société civile dans le monde arabe. Occasion pour lui de vanter les qualités de la société civile mondiale, « ce grand océan où circulent les idées, les programmes, les expériences, les énergies et les ressources ». Renversant les termes du propos convenu sur l’adaptation du global au local, il considère que « la compréhension de nombre de problèmes locaux ne peut se faire sans les situer dans un contexte global ». Un second lien renvoie à un article intitulé « le travail volontaire … le chemin des jeunes vers le jihâd ». Le jihâd est, cette fois, redéfini en termes de bénévolat et d’action sociale. Finalement, un troisième lien parle du jihâd électronique et appelle à la destruction des sites ennemis de l’islam, déplaçant ainsi dans le monde virtuel tout le vocabulaire militaire du jihâd , à ceci près que la virtualité de l’action donne à ce plaidoyer guerrier un singulier air de catharsis ... Quelques mois plus tard, dans son article « Le jihâd électronique, adieu à la passivité », Wisâm Fu’âd en développe une version plus soft et rabat ce thème sur l’importance de l’action au quotidien, la sortie de la passivité et le rôle moteur de la société civile dans l’extension de la liberté, des droits de l’homme et de la justice sociale . Le concept de jihâd est ainsi vidé de ses significations antérieures. Il n’est plus ni affrontement avec les adversaires de l’islam ni « l’effort sur soi » (jihâd al-nafs) pacifique auquel est tenu, de manière individuelle, tout bon musulman. Le concept est arraché au fiqh pour être ressaisi, de manière diversifiée, selon les différents thèmes porteurs du moment : du hacktivism à la société civile, en passant par la réalisation de soi et la pensée positive.
Caricaturale en ce qui concerne le jihâd, cette logique d’évidement du discours classique – on n’en refuse pas les termes, mais leurs contenus sont systématiquement inversés pour rendre ces concepts compatibles avec les discours globaux de la scène idéologique internationale – opère aussi auprès des leaders du Wasat, qui rabattent la communauté islamique sur la communauté nationale et neutralisent le thème de la charî‘a en le fusionnant avec toutes les valeurs humanistes du discours des droits de l’homme, tout en rétablissant la souveraineté populaire. C’est encore dans cette logique que se place ‘Abd al-Mun‘im Abû al-Futûh lorsqu’il revisite la notion de califat, dont le rétablissement était une des pierres angulaires du discours islamiste classique. Pour lui, le califat n’est plus un objectif mais le principe dont il est la cristallisation historique, l’unité des musulmans, est à atteindre. Celle-ci peut très bien prendre la forme d’un regroupement d’États-Nations et doit être repensée en termes d’unité régionale selon la logique de l’Union Européenne . Toujours au registre des procédures d’évidement, au début de son chat sur le site d’Islamonline , Abû al-Futûh répétait encore que l’État islamique est l’État qui gouverne une société majoritairement musulmane, ôtant du même coup au concept d’État tout contenu, soit le définissant non pas à partir d’un fonctionnement particulier mais de l’identité de ses gouvernés et d’un certain passé : « dans les années 1970, on n’acceptait pas l’idée que l’État sadatien soit un État islamique, nous confia-t-il. Quel égarement fut le nôtre : avec 14 siècles d’islam en Égypte, comment l’État pourrait-il faire abstraction du religieux ?! ».

Du post-islamisme comme dépassement du « principe de pertinence islamique »


Devant l’ampleur des logiques d’évidement et de l’évidente dynamique de sécularisation qui retravaille en sous-main les anciens principes du grand récit islamique , on peut légitimement se demander si ce discours est encore islamiste. Partons d’une réflexion de Hichâm Ja‘far, le rédacteur en chef du site Islamonline, pour lequel un islamiste, publiquement, « ne peut se situer en dehors du fiqh car son action sera toujours jugée sur ce seul critère : est-ce licite ou illicite ? ». Voici une assez bonne définition: est islamiste tout acteur qui, pour agir politiquement, doit justifier son action par rapport à un corpus religieux, c’est-à-dire que ses actes se doivent d’être surplombés par un dispositif d’homologation fondé sur le religieux ou perçu comme tel. Un islamiste est donc bien un acteur politique religieux, à ceci prêt que son système d’action n’est nullement déterminé mécaniquement par le religieux car l’acteur islamiste a prise sur ce fiqh auquel il est sommé de se référer : il peut en modifier les contours, jouer d’un certain pluralisme interne ou ruser avec. Un espace de jeu que reconnaît d’ailleurs ‘Abd al-Mun‘im Abû al-Futûh qui considère les Frères musulmans certes comme un mouvement idéologique qui, à ce titre, « ne peut s’adapter que dans le cadre de son idéologique ». Il précise toutefois que cela ne pose pas trop de problèmes car « l’islam est une religion souple, une religion large qui sait s’accommoder ». Il n’en reste pas moins que la pensée est cadrée par un « principe de pertinence islamique » qui, peu ou prou, oriente son discours ou borne les velléités d’innovation. Prenons un exemple : l’une des raisons qui porta les arguments des islamistes refusant la participation au pouvoir était ce hadith du Prophète : « Nous ne confierons pas le Pouvoir à celui qui le réclame » . Selon les interprétations dominantes au sein de la confrérie, un candidat se présentant par soi-même aux élections se placerait donc en contradiction avec le dogme. Il fallait ainsi renverser la logique et le nommer comme candidat pour recouvrir la dynamique de l’initiative personnelle. À cette fin, et jusqu’à maintenant, ce sont toujours les comités locaux des Frères musulmans, soit au niveau des circonscription, soit au niveau des syndicats, qui désignent les candidats, lesquels ne se présentent jamais par eux-mêmes. Le tour était joué, l’innovation passait et la dépendance par rapport au fiqh respectée.
Les nouvelles constructions de sens décrites précédemment ne sont donc plus dans ce type d’arrangement avec le fiqh. Elles procèdent d’un autre scénario, postmoderne celui-là, d’affranchissement du grand récit islamique – l’islam comme projet de civilisation alternatif à l’Occident, le remembrement moral de la société, la résistance à l’hégémonie intellectuelle occidentale, la modernité islamique, la reconstruction identitaire, sans oublier l’État islamique. Ce récit n’est pas nié mais contourné par évidement des contenus, comme nous l’avons vu à propos du jihâd. La pensée alors se fragmente et la démocratie s’insinue en bribe – dans une logique de pratiques énonciatives et non de révolution épistémique – comme un répertoire parmi bien d’autres, dans le cadre d’une pensée éclatée et « délocalisée » au sens de Giddens , c’est-à-dire dont les concepts ont été arrachés à leur univers originel et replacés dans un champ cognitif qui n’a initialement pas participé à leur production. De temps à autre, le grand récit islamique classique revient, mais de manière incantatoire et non programmatique. Les nouveaux discours passent ainsi outre la médiation de l’islam et du fiqh. En cela, il y a bien post-islamisme, c’est-à-dire émancipation de la nécessité d’en appeler systématiquement à une structure d’homologation fondée sur le religieux et articulée sur les différents thèmes du grand récit en question.
Nous en serons maintenant convaincus, la structuration d’un idiome démocratique comme aphorisme d’une logique anti-autoritaire postmoderne au sein de la mouvance islamique est bien l’effet de recompositions internes et non la simple réponse à des stimuli externes. Demeure la question de la viabilité de ces discours. Celle-ci a trop vite été posée en termes de sincérité du locuteur là où elle gagnerait à se formuler en termes de stabilité de l’énoncé. Si une pensée décontextualisée et isolée a, en effet, toutes les chances de disparaître, une pensée intégrée dans un contexte qui en confirme les prémisses peut, au contraire, être considérée comme stable.
Car les blocages du processus d’innovation sont peut-être moins liés à la présence d’idéologues radicaux ou salafis ontologiquement rebelles à l’idiome démocratique qu’à la capacité de nuisance d’apparatchiks conservateurs en termes institutionnels, c’est-à-dire rivés à l’idéal de préservation d’une structure dont ils maîtrisent l’usage et dont ils savent tirer les avantages. À ce titre, la viabilité des logiques anti-autoritaires au sein de la mouvance tient moins à la conviction de ses défenseurs qu’à la capacité de ces énoncés à s’appuyer sur des tendances « déconstructionnistes » dans la confrérie, soit le développement, au sein de l’organisation, de ce que Nurcholish Madjid appelait une « culture non coercitive de la civilité » où le vivre ensemble, tant au sein de la confrérie que dans la gestion de son rapport avec son environnement, tendrait à se redéfinir hors de la contrainte et du conflit. Ce qui signifie, à l’intérieur, une perte d’emprise de l’institution sur l’individu, un relatif assouplissement des normes de pudeur, un certain relativisme des valeurs et, à l’extérieur, une reconnaissance des engagements multiples, y compris dans des structures non islamistes, s’accompagnant d’un apaisement des rapports de la mouvance islamiste avec son environnement. C’est la thaqâfa ikhwâniya, la « culture Frères musulmans », les modes de vie au quotidien des militants incarnant le changement qu’il nous faut maintenant explorer.

La constitution d’une « culture non coercitive de la civilité » …Sur les vertus démocratiques de la post-modernité


À la fin juillet 2004, en dépit de toutes les protestations de la presse laïque, ‘Âdil Imâm, le comédien égyptien le plus prestigieux, connu pour ses positions anti-islamistes se rend à al-Azhar pour y marier sa fille, Sarah, avec Ahmad, le fils de Nabîl Muqbil, un homme d’affaire réputé et l’un des leaders des Frères dans la circonscription de Guiza. Dans une ambiance décrispée, agrémentée d’une douce musique religieuse , l’acteur surenchérissait d’accolades avec Muhammad Mahdî `Âkif, venu assister, bien épaulé de plusieurs membres du Bureau de la Guidance, à la signature du contrat de mariage. Muhammad al-Sayid Tantawî, le grand imam d’al-Azhar était aussi de la partie, appelé à unir les enfants de ceux qui ne cessèrent de le tourner en dérision soit pour sa bigoterie, soit pour son inféodation au pouvoir. L’heure était bien au consensus. Et si quelques Frères ironisèrent avec le vieil acteur, lui glissant à l’oreille, sans trop y croire, qu’ils finiraient bien par voiler sa fille, le reste de la salle, avec une bonne proportion de jeunes midinettes et de femmes issues du monde du spectacle, toutes sans grande considération pour les incantations à la pudeur des barbus de tout poil présents, n’avaient cure de ces passes d’armes verbales, somme toute assez débonnaires entre ennemis de naguère. Elles étaient venues voir la consécration d’une belle histoire d’amour entre Sarah et Ahmed, tous deux pieux sans en faire plus, tissée quelques années plus tôt sur le campus de l’Université Américaine du Caire, où il est de bon ton désormais, pour un Frère musulman respectable, d’envoyer ses enfants.
Loin d’être anecdotique, cette soirée à la Mashiâkha d’al-Azhar pointe clairement deux processus centraux : la perte d’emprise de la confrérie sur la vie privée de ses membres et une relative détente des rapports de la confrérie avec son environnement. Le mariage de Sarah et de Ahmed met directement en cause le rapport entre militance et vie privée. Lorsque la confrérie vivait encore dans une optique totalisante, où il s’agissait de fondre toute la vie de l’individu dans le destin de l’Organisation, le mariage jouait un rôle crucial et, de manière indirecte, les pressions de la confrérie sur les mariages étaient réelles, pour deux raisons. Le choix du conjoint était l’indicateur du sérieux du militant : on ne pouvait se résoudre à l’idée que celui-ci pratique une forme d’exogamie idéologique. Ensuite, pour des raisons de calcul stratégique, la communion de pensée politique dans le couple jouait un rôle central : on attendait de l’épouse un soutien moral fort, les risques étaient toujours présents de voir son mari finir derrière les barreaux. Par ailleurs, la volonté des pères d’imposer à leurs fils une destinée militante diminue. Ainsi le fils de Kamâl Habîb, l’un des membres fondateurs du jihâd, maintenant rallié à la cause d’un islamisme non belliqueux, de s’afficher en basquet et coupe branchée, pleinement inscrit dans une American way of life et le fils d’‘Abd al-Mun‘im Abû al-Futûh, lequel s’interdit ouvertement d’intervenir sur les choix de vie de son fils, de mener une existence non politisée de brillant ingénieur, en Arabie saoudite. Les styles vestimentaires changent aussi. Alors que le voile progresse et gagne en sévérité partout dans la société égyptienne, ceux des femmes des militants de la confrérie tendent, au contraire, à s’assouplir, gagnent en couleur, perdent en longueur . Les « mariages islamiques » , subissent eux aussi un sensible processus de décompression morale : la mixité progresse légèrement, la musique fait son apparition, même si elle reste sous forme de « chansons hallâl » car il faut bien défendre ses marchés ! Par ailleurs, les formes d’expression artistique à vocation engagée (recrutement et/ou édification personnelle) reconquièrent de notables espaces d’autonomie à mesure que le principe de l’art pour l’art, maintes fois condamné par les idéologues du mouvement, reprend peu à peu ses droits.
Il y a donc bien véritable normalisation de la « culture Frères musulmans », particulièrement visible dans le domaine musical où tous les groupes d’hymnes islamiques des Frères multiplient les emprunts aux rythmes de la pop arabe, voire internationale, et renoncent aux grands slogans jihâdistes pour plaider le modèle du bon musulman pieux et ouvert sur le monde. À témoin, les anâshîd islâmiya, les hymnes islamiques ainsi nommés dans les années 1970, reçoivent, depuis l’explosion sans précédent des groupes se réclamant de ce nouveau genre musical, l’appellation de aghânî halâl, de chansons licites, alors que les chanteurs de la pop égyptienne, marqués par les valeurs de l’islamisation, multiplient les incursions dans le champ religieux.
Cette normalisation de la thaqâfa ikhwâniya débouche logiquement sur une prise de distance par rapport à l’organisation, redoublée d’une critique toujours plus ouverte du paradigme salafi, y compris de l’intérieur même des rangs de la confrérie. Ainsi, ‘Isâm al-‘Ariân affirme désormais clairement ses distances avec l’aile salafie du mouvement, comme à l’occasion de cet interview sur Islamonline où il défendait l’urgence d’abandonner un discours trop renfermé sur lui-même, manquant d’inventivité et de développer, en lieu et place, « un discours plus tolérant entre les individus au sein de la confrérie. C’est un syndrome de la domination de la pensée salafie durant les années 1970 et 1980. Or la pensée salafie est une pensée radicale qui puise au plus dur dans le fiqh. Notre discours ne doit pas être renfermé sur lui-même » . Bien avant cela, il n’était pas rare non plus de voir les principes salafis contestés à l’intérieur même du mouvement. Ainsi de ce clash qui eut lieu entre Mustafâ Machûr et le groupe estudiantin des Frères au début des années 1990. L’histoire commença par une plainte de l’un des membres de la confrérie, dont l’épouse, assistante à l’université, était aussi activiste sur le campus. Mécontent du fait que les activités politiques de sa femme affectaient son travail au foyer, il demande l’opinion de Mustafâ Machhûr, alors vice-guide suprême de la confrérie. Celui-ci demanda à l’épouse de renoncer à toute forme d’activisme, affirmant la primauté du rôle privé de la femme sur son engagement public. L’un des leaders estudiantins s’emporta, et avec lui nombre de jeunes du groupe, considérant les vues de Machhûr contre-performantes par rapport aux visées du mouvement. C’est à ce moment que commence à se développer chez cet ancien cadre du mouvement l’impression du « blocage intellectuel » des leaders conservateurs, ce qui le conduira, quelques années plus tard, à quitter la confrérie, déçu de ce qu’il qualifie aujourd’hui de « manque de perception du changement » parmi ses leaders.

« Oui à Dieu, non à l’organisation » …la remise en cause des médiations politiques


La discipline commence également à se fissurer : non seulement des ordres sont remis en cause, mais les fondements même du dispositif d’homologation de celle-ci sont contestés. L’un des anciens responsables de la section du quartier de Manial, au Caire, à l’occasion d’une discussion à propos de l’un des « dix piliers de l’allégeance », proposait sa vision du « pilier de la confiance ». Pour lui, la confiance au leader ne repose pas sur une croyance aveugle en son infaillibilité, mais sur la conviction que, s’il se trompe, il ne visait pas volontairement l’erreur. Le « pilier de la confiance » est à rechercher non dans la noblesse des actes, mais dans la pureté des intentions. Ses propos remontèrent à la direction du mouvement, qui le plaça immédiatement sous enquête . Une seconde rencontre eut lieu une semaine plus tard. Alors qu’il maintenait ses positions et avec lui l’ensemble des jeunes présents, il reçut le soutien d’‘Abd al-Mun‘im Abû al-Futûh, qui confirma les fondements de son opinion.
De la sorte, dans le fonctionnement ordinaire de la mouvance tout au long des années 1990, la discipline peu à peu s’étiole jusqu’à affecter certains répertoires d’action, bien installés dans la mémoire politique de l’organisation. Il en va ainsi du tawgîh, « principe d’orientation », qui autorisait le mouvement à placer là où bon lui semblait, dans différentes facultés, les étudiants ralliés à sa cause, en fonction de ses impératifs stratégiques et indépendamment de leurs ambitions personnelles. La pratique du tawgîh est aujourd’hui définitivement abandonnée, sous l’effet conjugué des décisions centrales et des pressions de la base. L’autonomie de l’individu s’affirme au cœur de l’institution, ce qui conduit, de fil en aiguille, à une désacralisation relative de la confrérie, présentée de moins en moins comme la planche exclusive du salut personnel. On ne sera alors pas surpris par l’interrogation de cet internaute pieux sur « les défauts principaux de l’engagement au sein de l’association des Frères musulmans ». Le consultant en question, ‘Imâd Husaîn, compagnon de route des Frères musulmans, considère que « ces associations ne sont toujours que des entités humaines. Elles recèlent donc toutes les faiblesses de l’être humain. Et les fautes au niveau des comportements individuels sont plus que probables et leur égarement dans le pêché et les vices n’est pas à écarter ».
Arrêtons-nous un moment sur les consultations religieuses du site Islamonline en tant qu’elles offrent un espace exemplaire pour comprendre, tant au niveau de l’offre que de la demande, comment la nouvelle « culture Frères musulmans » s’efforce de ménager plus d’espace à des revendications réelles d’autonomie individuelle. Ainsi de cet échange entre ‘Abd Allah, un jeune membre des Frères en Égypte et le leader islamiste libanais Fathî Yakin. Dans une demande de consultation intitulée « Oui à Dieu, non à l’organisation », ‘Abd Allah confie avoir un douloureux problème avec les Frères dans le quartier où il a été affecté. Ceux-ci, selon lui, privilégient en matière d’éducation une approche qui ne vise pas l’instruction de l’individu, mais à inculquer la soumission et l’obéissance – ce qu’il ne tolère pas. Il critique des leaders, qu’il présente comme mal éduqués, réfractaires à toute idée de dialogue et ignorant les écrits de personnes comme ‘Isâm al-‘Ariân ou Yûsif al-Qaradâwî : « tu poses une question et la réponse et invariablement la même : tu dois appliquer ce qu’on te dit et faire confiance au Frère responsable de toi et tu verras dans le futur qu’il avait raison ». Craignant sa liberté de ton – qui, par exemple, le poussa lors d’une rencontre à refuser ouvertement le principe de tawgîh – il regrette de ne plus diriger d’autres jeunes vers le mouvement, se refusant à « leur apprendre simplement la soumission ». Pour lui, il est hors de question de se faire à l’idée que « le Frère se forme dans la main de son responsable hiérarchique comme le mort dans la main de celui qui le lave ». Fathî Yakin, pourtant connu pour son engagement sans concession au sein de l’organisation, abonde dans son sens pour dénoncer « cet égarement dans l’éducation religieuse qui pousse à prôner la loyauté à l’Organisation avant la loyauté à l’islam » et rappelle dans sa réponse que seul l’islam, comme religion de Dieu, n’est pas soumise à l’erreur, alors que « les organisations se trompent et s’affaiblissent, réussissent et échouent, s’épanouissent puis déclinent ». Allant plus loin, il dénonce la tendance à mettre à égalité l’organisation et l’islam et considère une telle équation comme une forme d’associationnisme (shirk). Il conseille finalement à son internaute égaré, vu les limites de ce que la majorité des organisations islamistes proposent comme éducation, de faire son ijtihâd personnel et d’essayer de mettre en place, avec d’autres, de nouvelles structures . L’évolution de ce leader islamiste libanais est notable par rapport à son livre Que signifie l’appartenance à l’islam ? Il y affirmait, au milieu des années 1980, que l’appartenance à l’islam induisait de manière logique l’appartenance aux Frères musulmans, ce qui à l’époque lui valut de cinglantes critiques sur l’exclusivisme de ses vues.
Dans la même veine, sur la banque des fatwa-s, toujours sur Islamonline, parut l’interrogation, pertinente pour notre propos, d’un internaute sur « ce qui est mieux pour [la] religion : l’appartenance à une organisation ou l’individualisme (infirâdiyya) » et sur la validité du hadîth affirmant que « qui veut atteindre le paradis est obligé de passer par l’organisation (al-Jamâ‘a) ». Et le mufti Ahmad Yûsif Sulaîmân de répondre en substance, non sans avoir dénoncé au passage la multiplication des organisations islamiques et leur effet scissipare sur l’unité des musulmans, de faire son choix en prenant soin de s’engager dans les rangs de l’organisation « qui est le plus proche de l’islam »… Quant à Kamâl al-Masrî, un ancien Frère musulman qui fut, un moment, consultant pour les fatwa-s religieuses sur Islamonline, il eut à répondre à cette autre interrogation : « d’un point de vue religieux, suis-je obligé d’agir par l’entremise d’une organisation ? Ne puis-je pas simplement être honnête avec moi-même, d’autant plus que les organisations présentes n’arrêtent pas de se diffamer les unes les autres ? ». al-Masrî répondit par une longue enquête détaillée sur le fiqh et rappela que les organisations se sauraient être qu’un moyen, non une fin. Fathî ‘Abd al-Satâr, confronté à une question de même ordre, fut plus relativiste encore et invita lyriquement l’internaute à résoudre le problème des engagements partisans comme « l’abeille qui se meut pour butiner sur toutes les fleurs et puiser à différents nectars pour qu’il advienne de cette moisson un résultat alléchant et bon pour les gens ».
De la désacralisation de l’institution au relativisme, il n’y a alors qu’un pas, allègrement franchi par Yusra, jeune étudiante islamiste de l’université d’‘Ayn Chams qui reconnaît, toute gantée et sévèrement voilée qu’elle puisse être par ailleurs, que « le fait de consulter plusieurs chaykh, et de chaque fois obtenir des réponses différentes, m’a fait finalement accepter l’idée qu’il y a du pluralisme dans l’islam et qu’il me fallait donc simplement choisir la réponse qui me convient le mieux ». Sans surprise et comme la plupart de ses collègues pieuses portant le khimâr ou le niqâb, Yusra se refuse à toute affiliation idéologique et critique avec véhémence l’état de l’offre religieuse en Égypte. Et quand il s’agit de passer au politique, alors elle rejoint le « Parti du lendemain » du très libéral Ayman Nûr, plus connu, en matière de piété, pour ses penchants mystiques, considérant avec un certain mépris que les Frères musulmans « ça ne sait faire que des manifestations qui se terminent après dans les cafés ».
On est donc loin du temps de la grande Vérité, incarnée par l’organisation telle que la défendait la littérature de l’allégeance et obéissance (adâb al-walâ’ wa al-tâ‘a) et qui fascinait toute personne amorçant un retour à l’observance religieuse. Sans doute la position de Islamonline, site généraliste, forum plus que porte-parole d’une tendance spécifique, favorise-t-elle l’expression de ces « doutes du novice », comme les qualifia l’un des internautes. Il n’empêche : le site reste sous le parrainage de l’un des membres les plus influents des Frères musulmans à l’heure actuelle, le chaykh Yûsif al-Qaradâwî. La tendance générale à la désacralisation des engagements, au pluralisme, voire au relativisme, reste le fait de Frères musulmans eux-mêmes ou, tout du moins, de compagnons de route influents au sein de la confrérie. D’ailleurs, au sein de la confrérie aussi, l’acceptation des engagements multiples fait son chemin. Non seulement l’idée de participation à d’autres mouvements islamiques est acceptée, mais l’est aussi, et de plus en plus, l’idée de collaboration avec les autres acteurs de la société civile. Ainsi, Kamâl al-Masrî se souvient de la vive opposition qu’avait suscitée son adhésion à Amnesty International en 1990 – de manière intrinsèque car ce n’est pas une structure islamiste, mais aussi en raison des différends idéologiques opposant les islamistes au discours de l’ONG britannique qui plaide pour l’abolition des peines corporelles, une revendication en contradiction avec le régime des peines prévu par la charî‘a. Les critiques cesseront dans la décennie qui suit, comme pour ce groupe de jeunes Frères musulmans qui, dans le quartier de Manial, sous l’égide de Hasan al-Gamal, rejoignirent une association caritative de soutien aux orphelins, en pleine déroute financière et organisationnelle et, grâce à une gestion efficace, la remirent rapidement sur pied. Ils passèrent outre le fait que cette association était tenue par un ancien général de la police égyptienne ... Dans la seconde partie des années 1990, non seulement les réticences par rapport aux engagements multiples des individus au sein de la société civile locale et internationale se tempèrent, mais l’idée de pacte s’étend. Ainsi, c’est sous l’initiative des Frères qu’une alliance avec le Vatican contre l’avortement et l’homosexualité eut lieu au moment de la conférence de Pékin. Démocrates donc, mais toujours rétifs à l’idée du pluralisme des modes de vie.

Le roi est mort, vive le roi !


Du chiasme inversé comme figure de la nouvelle islamité et de la démocratisation en Égypte
Le 22 septembre 2004, en raison des sympathies de Madonna pour la Kabbale et suite à sa participation en Israël aux festivités du nouvel an juif, une motion est déposée au Parlement égyptien pour interdire l’entrée en Égypte à la star américaine – laquelle n’avait, par ailleurs, nullement demandé à se rendre sur les bords du Nil. Au registre des députés adeptes des mesures préventives on ne trouve qu’un seul islamiste, Hamdî Hasan, isolé entre nassériens et représentants au Parti National Démocratique au Pouvoir. La même année 2004, secoué par un vent de réforme venu tempétueusement de l’Ouest, en mal de justification, le régime se lance à corps perdu dans la rhétorique des spécificités, affirmant en substance la nécessité de la démocratie, pour autant qu’elle soit aménagée selon les normes des cultures locales. Or des normes locales, en matière de politique, il n’y en a guère d’autres que celles du corpus islamique. D’où cet étrange paradoxe : un régime qui pourchasse les islamistes redécouvre, par défaut, le thème de l’État islamiste, au moment où les islamistes, aspirés par les charmes du discours démocratique, le minorent notablement. Le contre-projet au Great Middle East américain présenté par Mahdî ‘Akif au syndicat des journalistes, stipulant notamment la séparation entre l’armée et la vie politique, la tenue d’élections libres, la limitation des pouvoirs présidentiels et l’abolition de la loi d’urgence a ainsi été critiqué par l’intellectuel de gauche Rifa‘t al-Sa‘îd comme se trouvant trop proche des positions américaines… Peu après, dans la même salle, Yûsif al-Qaradâwî affirmait à nouveau son désaveux des positions de Ma’mûn al-Hudaîbî et réitérait l’idée que l’avènement d’une ère de liberté devait primer sur l’établissement de la charî‘a. Dans le même état d’esprit, le groupe parlementaire court désormais sous la bannière du slogan des plus banals « la constitution c’est la solution », succédant à « l’islam c’est la solution », qui mobilisa leurs supporters aux législatives précédentes. Réciproquement, dans les affaires mettant en jeu l’un ou l’autre des thèmes du grand récit islamique, dont les islamistes se firent dès leur avènement les champions, ceux-ci sont toujours plus confrontés à une vigoureuse concurrence, qu’elle vienne de personnalités d’al-Azhar au geste particulièrement large quand il s’agit de censure, nationalistes , d’hommes de l’appareil d’État , d’hommes politique proches du pouvoir ou encore d’entrepreneurs de la morale, sans rattachement institutionnel particulier, comme le fougueux chaykh Yûsif al-Badrî, toujours prêt à monter au barreau pour toute affaire de censure, pour la défense de l’excision des filles ou contre les intellectuels non islamistes comme l’universitaire Nasr Hamîd Abû Zaîd ou la féministe Nawâl al-Sa‘dawî.
L’islamisation en Égypte est bien dans une logique de chiasme inversé : des acteurs non islamistes endossent la posture islamiste que les islamistes sont toujours plus nombreux à abandonner ou, tout du moins, à sérieusement questionner. En lieu et place, dans une logique d’ajout plus que de substitution, en tant qu’il exprime les tendances anti-autoritaires en pleine expansion, l’idiome démocratique au sein des Frères peut s’appuyer sur une profondeur sociologique qui empêche de le réduire à la simple expression de la ruse, en phase de faiblesse, d’un mouvement ontologiquement autoritaire et belliqueux.
Il ne s’agit donc pas de dire que l’islamisme est devenu démocratique, mais qu’au sein de la mouvance islamique une véritable confrontation est désormais engagée autour de la validité et du contenu des répertoires démocratiques, qui ne cessent de gagner de l’espace dans le champ islamiste grâce à la force innovatrice des marges, où progresse la conscience de l’inanité des postures totalisantes et autoritaires, et où la pression en faveur de structures politique dégraissées laissant plus d’autonomie à l’individu s’accentue. Le dogmatisme de la totalité, lui, quitte l’espace du projet collectif pour se reconstituer hors du politique dans le domaine de l’éthique individuelle sous l’égide des mouvements du néo-fondamentalisme contemporain, plus que jamais obsédé par cette utopie en mode mineur qu’est la refondation du vécu des individus sous le signe exclusif du regard de Dieu.
1- Tammam (Husâm), « le courant al-Wasat au sein des Frères musulmans appelle à la suppression de la confrérie et l’annulation de l’Organisation internationale », al-Qâhira, 205, 16 mai 2004.
2- « Hukm al-cha‘b bi-shar‘ Allah ».
3- http://www.aljazeera.net/news/archive/archive?ArchiveId=69416.
4- http://www.islamonline.net/livedialogue/arabic/Browse.asp?hGuestID=4N8gE6.
5- Date de parution d’une livre référence formé par ensemble d’études de 14 intellectuels de la mouvance islamiste, dont ‘Abd Âllah al-Nafîsî, Farîd ‘Abd al-Khâliq, Hasan al-Tûrâbî, Salâh al-Dîn al-Jurshî, Tawfîq al-Shâwî, Târiq al-Bichrî et Muhammad ‘Imâra. Il en sort un ensemble de réflexion sur l’état du mouvement en forme de bilan critique sur les activités passées de la confrérie : ‘Abd Âllah al-Nafîsî (dir.), Le mouvement islamiste, vision prospective. Documents d’auto-critique, Le Caire, Madbuli, 1989.
6- Notre position vis-à-vis de la femme, de la Shûra et du pluralisme, Dâr al-Nachr wa al-Tawzîa al-Islâmîa, Le Caire, 1994.
7- Un penseur comme Saîd Qutb, pendu en 1966 et père du radicalisme islamiste, reste encore une référence majeure de la littérature des Frères.
8- L’art de la dissimulation politique autorisant précisément à des fins stratégiques les doubles discours. Issu de la doctrine chiite, le concept de tuqia est refusé par les ulémas sunnites.
9- Voir à ce propos notre article : « Au diable les loosers ! La réalisation de soi, nouvel idéal islamiste », Revue Mouvements, octobre 2004
10- Penseur réformiste indonésien, cité dans Robert W. Hefner « Public islam and the problem of democratisation », Sociology of Religions, Hiver 2001.
11- Al-Wasat al-Jadîd, troisième appellation d’un parti toujours en attente de légalisation. En 1996, un groupe d’une cinquantaine de Frères musulmans, toujours plus critiques par rapport à l’organisation, tentent de manière autonome de se fonder en parti politique. Ils sont alors exclus de la confrérie alors que la légalisation de leur parti est refusé par le Pouvoir. Ils tentent à nouveau et en vain la légalisation en 1998 sous l’appelation al-Wasat al-Masrî, et en 2004 sous l’appellation al-Wasat al-Jadîd. Fondé sur la notion de Wasatiya, de modération, revendiquée au sein de la confrérie par le chaykh Yûsif al-Qaradâwî, ils bénéficient d’une certaine sympathie de tous ceux qui, dans la confrérie, se situent de manière critique face au dogmatisme perçu de l’organisation. Ils ont aussi leurs entrées dans les initiatives mises en place par les compagnons de route des Frères comme le site Islamonline, ou les associations propres aux « Islamistes indépendants » comme Târiq al-Bichrî, Muhammad Salîm al-‘Awa, Muhammad ‘Imâra, Kamâl Abû al-Majd. Loin d’être un parti ou un véritable courant, le Wasat reste à ce jour une forme de think tank dans lequel puisent les militants qui, au sein des Frères musulmans, poussent à l’innovation.
12- Nous incluons dans ce terme, les propos publics tenus par ses principaux leaders (Abû al-‘Ilâ Mâdî, Muhammad al-Sammân, ‘Isâm Sultân) ainsi que certains points des différents programmes qui ont jalonnés son histoire.
13- Le Temps, 09.02.2001.
14- Il est disponible en arabe et en anglais sur le site du parti : www.alwasatparty.org.
15- Sauf mention, les citations sont le fait de nos entretiens avec les personnes citées.
16- Allant dans ce sens, l’article de Sarah Ben Néfissa, « Morale individuelle et politique : l'expérience d'un conseil populaire local islamiste dans le quartier de Hélouan », Lettre d'information de L'Observatoire urbain du Caire contemporain, 1999, n° 49.
17- Ibrahîm Ghurâbiya, « Un an après le 11 septembre … les références islamiques, de l’organisation pyramidale au fonctionnement en réseau », Islamonline, http://www.islamonline.net/arabic/arts/2002/09/article06.shtml.
18- Muhammad al-Sayid Husaîn, « De l’approche globale à la spécialisation », Islamonline,
http://islamonline.net/Arabic/daawa/2002/10/article15.shtml.
19- sur ce nouveau discours, voir notre « Au diable les loosers », op. cit. ainsi que la thèse de Mohamed Mosaad.
20- Mutaharirîn min qaid al-iltizâm al-tanzîmî.
21- Ce projet, secret à l’origine, fut porté à la connaissance du grand public en 1992, suite à une perquisition des forces de sécurité dans les locaux de la compagnie Salsabîl, pionnière dans l’informatisation du Coran. C’est à la suite de ce qui reste sans doute le plus grand coup porté à la confrérie par le pouvoir, après la répression de 1954, que débuta la mise sous pression policière et judiciaire des Frères.
22- C’est précisément ce qui est en train de se passer. L’islamisation en Égypte fonctionne toujours plus sous l’entreprise d’entrepreneurs pieux indépendants, comme le prêcheur Amr Khaled, les nouveaux prédicateurs, le courant des « islamistes indépendants » comme ils se dénomment eux-mêmes, les personnalités pieuses du monde du spectacle, les tenancières de salons islamiques, qui tous tournent autour des Frères sans pourtant leur être organiquement liés.
23- Critiqué par les conservateurs comme « celui qui rend tout licite », Yûsif al-Qaradâwî, père spirituel du courant de la Wasatiya, du juste milieu entre laïcité et fondamentalisme, a promulgué nombre de fatwa-s politiques en faveur d’une relative décrispation du rapport des Frères à la modernité politique, sur des thèmes comme la shûra, la démocratie, le refus du recours à la violence, le respect de la femme. C’est un peu, comme le disait un de ses adeptes, « celui qui facilite, qui cherche la solution la plus simple pour les gens ».
24- « La fabrication de l’existence » est le dernier programme TV du plus populaire des prédicateurs musulmans arabes aujourd’hui. Ce programme, en rupture totale avec le prêche classique, est en réalité un cours de formation personnelle formulé en termes vaguement religieux. Pour plus de détails sur ce phénomène, notre article : « Au diable les loosers », op. cit.
25- Cet Égyptien de 58 ans, prix Nobel de physique, résident aux États-Unis et chercheur en physique nucléaire est devenu l’icône d’un nationalisme plus ouvert sur le monde et non hostile à l’Occident.
26- www.islamonline.net/QuestionApplication/arabic/display.asp?hquestionID=16937.
27- www.islamonline.net/arabic/InDepth/wariniraq/2003/03/article27.shtml. Cité dans Mohamed Mosaad Abdel Aziz, Islam and post modernity, The new Islamic discourse in Egypt, thèse de doctorat, Université américaine du Caire, 2004. Cette thèse, remarquable de finesse, analyse les recompositions idéologiques d’un groupe d’anciens des Frères musulmans.
28- Ibid.
29- Ibid.
30- www.islamonline.net/arabic/adam/2003/04/article02.shtml.
31- « Portez-vous volontaires dans les rangs du jihâd électronique »,
www.islamonline.net/Arabic/science/2002/05/Article01.Shtml, cité in Mohamed Mosaad, op.cit., p. 60 . Dans la même veine, Amr Abou Khalîl, répondant à une jeune femme, « très belle » selon ses dires, et souffrant d’un ennui profond et ne sachant que faire de sa vie, lui conseil de rejoindre les « commandos de fabrication de l’existence » (katâ’ib sunâ‘ al-haya), c’est-à-dire, concrètement, à se discipliner et à prendre en charge son existence (www.islamonline.net/QuestionApplication/arabic/display.asp?hquestionID=16850).
32- www.islamonline.net/Daawa/Arabic/display.asp?hquestionID=4735, cité in Mohamed Mosaad, op. cit., p. 47.
33- Déclaration lors d’un chat effectué le 13 octobre 2004 sur Islamonline :
http://www.islamonline.net/livedialogue/arabic/Browse.asp?hGuestID=4N8gE6 .
33- http://www.islamonline.net/livedialogue/arabic/Browse.asp?hGuestID=4N8gE6.
34- Fondé sur des thèmes directeurs comme l’islam comme projet de civilisation alternatif à l’Occident, le remembrement moral de la société, la résistance à l’hégémonie intellectuelle occidentale, la modernité islamique, la reconstruction identitaire, sans oublier l’État islamique.
35- Ferrié (Jean-Noël), Le régime de la civilité en Égypte, Paris, CNRS Éditions, 2004.
36- « Lâ Nuwalî al-Wilâiya li-aladhî yutlubuh ».
37- C’est la thèse de de Mohamed Mosaad, op. cit.
38- Giddens (Anthony), The consequences of modernity, Stanford, Stanford University Press,1990.
39- Au moment de la confrontation entre l’État et le courant islamiste toutes tendances confondues, c’est-à-dire entre 1992 et 1997, il sort trois films tournant en dérision la bigoterie et le radicalisme : « Le terroriste et le kebâb », « Le Terroriste », « Les oiseaux de l’ombre ».
40- Sur la dépolitisation et la décompression normative de cette nouvelle tradition musicale, voir notre : « De retour dans les rythmes du monde, une petite histoire du chant (ex-)islamiste », Vingtième siècle, revue d'histoire, n°82, avril 2004.
41- Ahmed Zein, « L’impact des nouveaux religieux sur le mouvement islamique », Islamonline,
http://www.islamonline.net/Arabic/Daawa/2004/09/article03.shtml.
42- Le mariage islamique apparaît au début des années 1990. Phénomène de classes moyennes réislamisées, il se distingue par une série d’ajustements par rapport au mariage traditionnel que l’on cherche à moraliser : la mixité est supprimée, la fiancée n’apparaît plus devant le public, toute présence féminine est supprimée, la danse est supprimée, la célébration du mariage s’interrompt lors de l’appel à la prière. Seul point d’ajout et non d'interdit, et aussi du religieux et non de la morale : l’introduction de la récitation de versets du Coran au début et à la fin de la cérémonie. Pour plus de détails, voir notre « De retour dans les rythmes du monde », op. cit.
43- ‘Abd al-Rahîm ‘Alî, « La majorité des leaders des Frères musulmans sont en faveur de l’idée de parti, mais les bases s’y opposent », Islamonline, http://www.islamonline.net/arabic/politics/2002/10/article23.SHTML.
44- Les dix piliers de l’allégeance au mouvement constituent un peu la charte fondatrice organisant le rapport avec l’organisation des membres ordinaires. Selon al-Banna, qui en est le théoricien, ces dix piliers sont notamment : la compréhension, le travail, la fraternité, la sincérité, le désintéressement, l’obéissance et la confiance.
45- La mise sous enquête d’un militant était la première mesure disciplinaire en cas de manquement à la discipline au sein de l’organisation.
46- Une question qu’il posa sur le portail des « consultations religieuses » du site Islamonline : http://www.islamonline.net/daawa/arabic/display.asp?hquestionID=5719.
47- Islamiques, ndt
48- http://www.islamonline.net/daawa/arabic/display.asp?hquestionID=4498.
49- Un des principaux représentants de la « génération 1970 », déployant autant un activisme parlementaire que syndical, el-‘Ariân est le personnage le plus médiatique des Frères. Il s’illustra ces dernières années par une longue série d’écrits sur l’islam et la démocratie, publiés tant dans la presse que dans des revues spécialisées comme le très officiel périodique La démocratie du Centre al-Ahrâm d’Études Stratégiques et Politiques.
50- Le propos est une critique à peine larvée de la position de Mustafâ Machhûr qui, dans ses « Lettres sur le chemin de l’action pour l’islam » affirmait que, certes, il ne saurait être question de considérer les Frères musulmans comme autre chose « qu’une association de musulmans et non l’association des musulmans », il n’en demeure pas moins, en raison du hadith stipulant « qui veut atteindre le paradis est obligé de passer par l’organisation (al-Gamâ`a) », qu’il ne saurait y avoir de travail islamique individuel. Or, vu l’état de la mouvance islamique, ce sont bien les Frères musulmans qui sont le meilleur levier pour la réalisation du travail islamique.
51- http://www.islamonline.net/daawa/arabic/display.asp?hquestionID=832..
52- http://www.islamonline.net/Daawa/Arabic/display.asp?hquestionID=2449.
53- Enquête effectuée sur une vingtaine d’étudiantes pieuses.
54- Affaires de censure du roman Le Festin des algues de mer du Syrien Haydar Haydar, de protestation face à l’enseignement du livre de Maxime Rodinson Mohamed le Prophète à l’Université américaine, etc.
55- Comme de nombreuses personnes dans des institutions étatiques, comme le Service de la censure des œuvres artistiques par exemple, ou l’appareil policier rompant en 2001 avec une longue tolérance d’acceptation tacite de l’homosexualité par l’arrestation d’une cinquantaine d’homosexuels dans le cadre de l’affaire du Queen Boat. Ceci sans oublier les parlementaires PND conservateurs que nous évoquions.
56- Ainsi, lors des élections parlementaires de 2000, dans la circonscription de al-Wailî, le candidat PND Ahmad Fu’âd ‘Abd al-‘Azîz appela dans ses tracts à la solidarité musulmane contre son opposant chrétien, Munîr Fakhrî ‘Abd al-Nûr, lequel reçut instantanément de nombreux soutiens, dont celui officiel des Frères musulmans, appelant à l’unité nationale et celui, personnel, d’‘Abd al-Mun‘im Abû al-Futûh, qui rappelait en l’occurrence la longue légitimité historique des ‘Abd al-Nûr, acteurs éminents du combat nationaliste en son temps.