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Catégorie : Dossier
Etrange « pont » du 11 novembre ! La France se souvient de l’horrible boucherie de 14-18. Les derniers survivants du Chemin des Dames, à Verdun, ou, des Taxis de la Marne, ne se comptent plus que sur les deux mains. Une radio interroge un ancien « poilu », aujourd’hui centenaire. Comment réagit-il à l’insurrection des jeunes des banlieues. « Je suis un vieillard, répond-il, je ne veux pas donner de leçon de morale. Mais je crois que la société actuelle ne sait plus assumer ses devoirs. A l’école laïque on m’avait enseigné que si j’avais des droits, j’avais aussi des devoirs . Pendant la guerre, j’ai fait mon devoir. J’ai tenu ainsi face à la peur qui me tenaillait, et, malgré les camarades qui tombaient au champ d’honneur… » Dans les banlieues en flammes, beaucoup de femmes et des hommes ont rempli leurs devoirs : les habitants des cités, les acteurs sociaux, les élus locaux, et, bien sûr, les services d’ordre et de sécurité. Mais le devoir qui reste à faire est le plus difficile et le plus long : rétablir la confiance entre deux univers qui s’ignorent, qui s’éloignent l’un de l’autre, comme deux embarcations à la dérive, emportées dans les tourbillons irrationnels de la haine. « Crise de sens, crise d’identité », diagnostique le président de la République. Crise de la fraternité républicaine aussi ! Il faut regarder la vérité en face : ceux qui ont mis le feu aux poudres sont principalement des jeunes Français. Ils ne méritent aucune indulgence pour les crimes qu’ils ont commis. Mais le rage d’être considéré comme des Français de seconde zone, des citoyens demi-portion et discriminés, doit sérieusement interpeller notre société qui se croyait, championne des droits de l’homme et de l’antiracisme.

Les religions ont un rôle capital à jouer pour accompagner cette prise de conscience. Elles ont déjà commencé à se faire entendre. Doucement. Timidement, déplorent certains. Les responsables musulmans ont lancé des appels au calme, notamment le Recteur de la Mosquée de Paris et président du CFCM ; les responsables de l’UOIF ont édicté une fatwa pour réprouver les fauteurs de troubles. Les autres confessions ont également fait entendre leurs voix : les évêques catholiques réunis en assemblée plénière à Lourdes, la Fédération protestante de France, etc… Un grand regret cependant. Toutes ces prises de position, raisonnables et dignes, se sont faites séparément. Nous n’avons assisté à aucun rassemblement officiel, réunissant des responsables français juifs, chrétiens, musulmans pour dire leur solidarité aux victimes et lancer en chœur à tous les Français un appel à la fraternité. Les manifestations inter religieuses qui se tiennent au sommet ne sont-elles réservées qu’en hommage aux victimes des catastrophes naturelles ou des attentats terroristes ? La démarche inter religieuse ne peut se limiter à une expression cultuelle de la solidarité. Elle est aussi appelée à rappeler que ce qui réunit la famille humaine est plus fort que ce qui la déchire. Les brèches sociales, générées brutalement par la mondialisation de l’économie, avec toutes ses conséquences migratoires et culturelles, ne peuvent pas être désertées, par les institutions religieuses si elles ne veulent pas devenir des coquilles vides, des langues mortes, pour les femmes et les hommes d’aujourd’hui.

Le dialogue inter religieux s’active heureusement à la base. Un soir, à Aulnay-sous-Bois, en Seine-saint-Denis, plus de deux mille personnes ont défilé en silence, contre la violence, à l’appel des communautés protestantes et musulmanes. « Il a fallu attendre cette série d’événements pour que nous nous rencontrions, ont regretté les initiateurs. L’essentiel est que désormais nous puissions travailler ensemble ». A Saint-Fons, dans la région lyonnaise, le curé, le pasteur et les présidents des communautés juives et musulmanes ont signé un appel commun pour « la paix dans nos quartiers » : « A tous les habitants de notre ville, nous disons : ne cédons pas aux réflexes de peur : dialoguons ensemble pour comprendre les causes de la situation actuelle de nos banlieues, mobilisons-nous pour une société plus solidaire et pour le ;mieux-vivre dans nos quartiers ». Les religions de notre pays sont ainsi appelées à sortir de leurs périmètres traditionnels. La laïcité à la française leur permet d’être des témoins d’espérance et de proposer des voies, à tous les hommes et femmes de bonne volonté. Ne bradons pas la vocation citoyenne du dialogue inter religieux !

Le Tour de France de l’Amitié judéo-musulmane. En novembre 2003, Michel Serfaty, rabbin à Ris-Orangis (Essonne), était victime d’une agression antisémite. Deux jeunes l’avaient attaqué, dans sa ville, aux cris de « Yahoudi ! Vive la Palestine ! ». Cinq mois plus tard, il écrivait dans le mensuel juif, L’Arche : « il n’est pas insensé de continuer à croire en la force du dialogue ». Le 21 novembre 2004, un an après l’attentat, le rabbin Serfaty lançait l’Amitié judéo-musulmane de France lors d’un grand rassemblement à La Villette, avec la bénédiction des plus hautes instances représentatives de l’islam et du judaïsme de notre pays, le Consistoire de Paris, le Crif* et la Grande Mosquée de Paris. Non content de cet exploit, car c’en est un, le rabbin en réalisait un autre le 19 juin 2005, sur la place de l’hôtel de ville de Paris, en donnant le départ au bus tricolore du Tour de France de l’Amitié judéo-musulmane. A l’intérieur, avait pris place une vingtaine de joyeux adeptes du camping motorisé et du dialogue inter religieux. Lille, Bruxelles, Strasbourg, Nancy, Besançon, Lyon, Marseille… A chaque étape, des rencontres, des vernissages, des visites, des banquets et des fêtes ont favorisé la fonte des glaces entre citoyens juifs et musulmans. Azouz Begag, tout nouveau ministre de l’égalité des chances, a été bluffé par la dynamique de l’opération. « J’ai été bouleversé par les propos du rabbin Serfaty, confiait-il après l’avoir rencontré à Lyon, près de la banlieue où il avait grandi. Ce rêve qu’il nourrit de voir se bâtir dans une même ville, et dans une même rue, une mosquée en face d’une synagogue, est une merveilleuse image. ». Qu’est-ce donc qui fait courir ce rabbin distingué à la haute taille et au chapeau à large bord ? Une idée toute simple mais subversive par les temps qui courent où rôde la peur de l’autre : Le dialogue n’a d’efficience que s’il s’incarne : se voir, s’écouter, se parler, s’épauler au sens propre comme au sens figuré. C’est l’attitude juste et dissidente à opposer aux mirages ravageurs de la communication virtuelle. Car hors du risque de la rencontre, il n’y a pas de véracité du dialogue. Ce « bus nommé désir » qui reprendra, on l’espère, la route l’an prochain est une défaite infligée à nos théoriciens autochtones du « choc des cultures ». Il est une victoire à partager avec tous ceux, plus nombreux qu’on le dit, qui ne se résignent pas à ce que le dialogue de sourds l’emporte sur le dialogue de vie dans notre société.