La fonction essentielle de la mosquée est la pratique de la prière salât et principalement la pratique collective, quotidienne et hebdomadaire. Et si elle était primitivement le siège de l’enseignement, c’est parce qu’il était impossible de différencier l’aspect dogmatique et l’aspect pragmatique de la religion. L’imam Mâlik (m. 179H/795) ne fait pas de distinction entre la prière et la leçon ; pour lui, ces deux exercices sont d’égale valeur, car l’étude à ses yeux est un aspect de la prière.
’Abdallâh ibn Amr ibn Al’s, un jeune compagnon du Prophète, nous rapporte qu’un jour le Prophète entra dans la mosquée et s’aperçut qu’il y avait deux catégories de personnes présentes : ceux qui priaient et ceux qui s’occupaient des études. Il remarqua : « Les deux font le bien ; seulement il y en a qui demandent quelque chose à Dieu, et il dépend entièrement à Dieu de leur accorder leurs désirs, tandis que les autres apprennent et chassent l’ignorance ; moi-même, j’ai été envoyé par Dieu comme un instituteur, mu’allim. » Disant cela, il prit une place dans le groupe qui s’occupait de l’enseignement. Par-là, le Prophète voulait montrer qu’il fallait encourager la science, propager l’instruction et exalter le mérite des précepteurs et des éducateurs.
À Médine, le Prophète aménagea une mosquée contiguë à sa maison pour y diriger les affaires de la communauté, et y prodiguer l’enseignement. Dans cette mosquée, il y avait trois parties distinctes : une grande salle (ou une cour découverte) pour les offices, une suffah (espace couvert) pour l’école, et quelques petites chambres pour la famille du Prophète. La suffah a été la première institution éducative islamique. Elle occupait une place importante dans l’organisation et la diffusion de l’éducation musulmane. Le Prophète lui-même y prêchait l’Islam, mais il s’adjoignit d’autres instituteurs pour enseigner aux débutants l’art de l’écriture et leur apprendre le Coran. C’est dans cette institution que s’est déroulée la première expérience fondatrice de l’éducation musulmane.
Bientôt la suffah ne suffisait plus, et pour éviter la congestion, le Prophète organisa des écoles dites kuttâb, connues en Europe sous le nom d’écoles coraniques, dans les différents quartiers de Médine. En l’an 2 de l’Hégire, on parle déjà d’une école, Dâr al-Ourrâ’ et d’une autre à la mosquée de Qubâ’ (banlieue sud de Médine), où le Prophète se rendait souvent et surveillait l’enseignement.
L’historien Al-Balâdhûrî a précisé qu’au temps du Prophète, il y avait neuf mosquées à Médine. Evidemment toutes servaient en même temps d’écoles. Le Prophète ordonnait souvent aux enfants de se faire instruire par leurs voisins et de prendre des leçons à la mosquée de leur quartier.
Nous pouvons donc établir que dès l’aube de l’Islam, les mosquées ont été des établissements d’enseignement et d’éducation. Elles furent construites dans les pays nouvellement conquis comme Damas, l’Irak, l’Egypte, et au fur et à mesure de la progression de la conquête; ce qui eut une influence déterminante sur l’évolution de l’éducation. L’enseignement se propageait en effet jusqu’aux villages et petites villes. Ibn Jubayr comme Ibn Battûta témoigne qu’on donnait l’enseignement aux enfants dans la mosquée des Omayyades, et les maîtres d’école avaient des emplacements réservés près de la porte du Nord de la mosquée.
L’enseignement fondamental dans les mosquées se faisait à deux niveaux, élémentaire et supérieur. Au premier niveau, toute la science passait par la fréquentation et la mémorisation du texte coranique que l’on devait retenir par cœur et qui servait de base à l’instruction. On enseignait aussi la lecture et l’écriture.
Dès le Ilè/VIIIè siècle, on organisa cet enseignement et on lui donna des règles. On peut se faire une idée assez précise du programme, de la méthode et de la discipline à travers deux ouvrages particulièrement célèbres au Maghreb : Kitâb ‘Adâb al-mu’allimin (Les Règles de conduite des maîtres) rédigé au début du III/IXe siècle par Muhammad Ibn Sahnûn (202-256H./817-869) et la Risâla fil ahwâl al-mu’allimîn wa-ahkâm al-mu’allimîn wa-l-muta’allimîn (Epître détaillée sur les situations des élèves, leurs règles de conduite et celles des maîtres) de Abû I-Hasan ’Ali al-Qàbisî (324-403H./935-1012).
Au niveau supérieur, le nombre des disciplines intellectuelles se multiplia avec le développement de la culture arabo-musulmane. Beaucoup de matières d’études commencèrent à prendre de l’importance, tant dans le domaine religieux que dans le domaine linguistique, littéraire, historique et scientifique. Lexicologie, grammaire, poésie, histoire continuaient à alimenter l’activité intellectuelle et à être une des bases de l’enseignement.
Cet enseignement supérieur était public et caractérisé par une liberté totale. A sa base, se trouvait un triptyque : le maître, l’étudiant et la matière. C’est par les différents rapports entre ces trois éléments que se constituait le fonctionnement de l’enseignement. Le maître, élément fondamental de ce système d’enseignement, choisissait l’heure, la méthode et la matière.
L’enseignement élémentaire qui, en plus du Coran, de la lecture et de l’écriture, initiait déjà l’enfant aux rudiments de la religion, préparait les élèves à suivre avec profit l’enseignement supérieur, l’enseignement des ulamâ’ (savants, maîtres). Celui-ci, approfondi et « spécialisé » selon les aptitudes et la vocation du maître, avait lieu principalement dans les mosquées.
Lorsque AI-Awzâ’î (m. 157H./774) remarquait un jeune garçon dans son cercle, il lui demandait s’il avait appris le Coran, et quand ce dernier lui répondait par l’affirmative, il lui faisait subir un examen minutieux, à l’issue duquel il l’acceptait parmi ses étudiants ou le renvoyait en disant : « Va, apprends le Coran avant de te mettre en quête de la science ». Le talab al’ilm (la quête de la science) était l’élément principal de l’enseignement supérieur.
A l’intérieur de la mosquée, les étudiants sont disposés en cercle halaqa autour du professeur de chaque discipline. Plusieurs cercles fonctionnent en même temps et les étudiants choisissent le cours qui leur convient. Cependant, à ce niveau supérieur, plus d’attention était portée au développement des disciplines religieuses qui faisaient l’objet d’un enseignement traditionnel largement reconnu et pratiqué, même s’il ne fut organisé en établissements spécifiques, madrasa qu’à partir du milieu du Vè/XIè siècle.
Le tâlib al -’ilm (quêteur de science), jeune ou vieux, originaire du pays ou étranger, n’est soumis à aucune obligation administrative ; il n’a pas d’inscription à prendre, n’est obligé à aucun cursus défini et n’est soumis à aucun type d’examen. Il choisit ses maîtres et les disciplines qu’il désire apprendre. Généralement, quêteur zélé de science, il se déplace de mosquée en mosquée, de ville en ville, de pays en pays, accomplissant la rihla fî talabi l -’ilm (voyage en quête de la science).
A côté de ce cadre extrêmement souple, il existe un certain nombre d’habitudes et de traditions éthico--religieuses plus rigides qui en constituent en quelque sorte le contrepoids. Elles disposent les lieux, régissent les méthodes d’enseignement, les moyens d’acquisition, les rapports enseignants-enseignés, le rapport à la science et le statut du savant.
L’enseignement fondé donc dans les mosquées se maintient au cours des siècles grâce aux différentes écoles juridiques qui avaient leurs cercles d’études dans les mosquées. En l’an 326 H./938, par exemple, les Shâfi’ites et les Mâlikites avaient respectivement 15 cercles d’études et les Hanafites 3 dans la mosquée de ’Amr en Egypte. Pendant des siècles, on continua de la même manière.
Deux remarques pour finir. Tout d’abord une éducation intégrant le spirituel et répondant à une nouvelle philosophie de l’homme ne pouvait séparer la finalité morale de la finalité religieuse. Le Coran et le Prophète insistèrent sur la nécessité d’une éducation morale du caractère ; celle-ci n’est pas un secteur à part, mais un aspect de l’éducation qui en constitue en réalité le noyau. Mais, en même temps, ils conçoivent l’enseignement courant comme complémentaire, voire indispensable.
La deuxième remarque concerne la mosquée en France. En effet, la mosquée est appelée à jouer, aujourd’hui, un rôle important dans l’éducation des enfants musulmans. En l’absence d’un enseignement religieux dans l’école publique, c’est à la mosquée de remplir cette mission éducative. Cette éducation religieuse dans la mosquée permettra d’une part d’enraciner l’enfant musulman dans sa foi musulmane, et de consolider les liens entre lui et les sources culturelles islamiques et ses domaines anciens et modernes, et d’autre part, elle l’aidera à s’ouvrir à la société dans laquelle il vit.
L’enracinement dans la foi et l’intégration dans la société sont les deux objectifs essentiels que doit viser cette éducation religieuse. Mais pour atteindre ces objectifs et prouver sa capacité d’interaction avec les autres cultures, dans la diversité de leurs courants de pensée et de leurs origines respectives, pour s’adapter aux innovations intellectuelles, la mosquée doit disposer d’une stratégie éducative au contenu solide et précis, basé sur une analyse profonde de la réalité éducative d’aujourd’hui. Cette stratégie établira les bases de la mission qui doit être dévolue à l’éducation religieuse au sein de la mosquée et qui mettra en lumière l’importance et la nécessité essentielle que cette éducation représente.

Source : La mosquée dans la cité, sous la direction de Hakim El ghissassi, éditions la médina, 2002