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Catégorie : Dossier
Depuis 2003, le culte musulman de France a une structure nationale : le Conseil français du culte musulman le CFCM, présidé par le recteur de la Mosquée de Paris, le Dr Dalil Boubakeur et accompagné de structures régionales, les Conseils régionaux du culte musulman, les CRCM. Ces derniers sont dotés d'une personnalité juridique et d'une autonomie d'action, ils sont les interlocuteurs régionaux des pouvoirs publics et commencent à faire émerger des leaders locaux. C'est l'objet de ce regard sur l'évolution juridique de l'islam de France Le lundi 5 avril 2004, M. Dominique de Villepin, le nouveau ministre de l'intérieur a rendu visite au bureau du CFCM. Il a rappelé l'importance qu'il accorde aux travaux de cette institution concernant principalement les aumôneries pour les prisons, la formation des imams et la préparation de la rentrée scolaire de septembre 2004 qui verra l'application de la loi sur les signes religieux.

Il nous semble cependant que l’enjeu du CFCM va au-delà de l’organisation de la pratique de l’islam en France. Son enjeu est aussi celui de la manière future dont les musulmans de France vont construire leur religiosité et leur rapport avec l'Etat.
Les musulmans de France s'estiment entre 3,4 millions selon les chiffres minimalistes et 13 millions selon des projections fantaisistes, officiellement ils avoisinent les 5 millions. Cette forte présence crée un schéma cultuel et culturel auquel la république et la société n'étaient pas préparées. Les lois relatives aux cultes et à la séparation des Eglises et de l'Etat avaient pour référence le culte catholique, le culte principal du pays selon les termes de la Restauration.

La loi 1905 a affirmé la liberté des consciences et instauré la liberté d'exercice des cultes. Elle s’est appliquée aux cultes anciennement reconnus, catholique, protestants et israélite. La forte présence de l'islam et l'installation des nouveaux mouvements religieux met la législation française devant de nouvelles situations. Cette législation libérale, qui favorise le culte quand il y a contentieux, est désormais amenée à gérer des cas inédits.

I Les lois de la République et les lois de Dieu.


La loi du 9 décembre 1905, dite également la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, stipule : « la République garantit le libre exercice des cultes » et « la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ». Elle a été acceptée par les cultes juif et protestant, c’est le résultat d’un long cheminement dans la laïcisation de l’Etat et la reconnaissance de la liberté de conscience. L’Eglise catholique française, (connue par son gallicanisme) , refusera sous la pression du Saint Siège l’application de cette loi. Il faudra attendre 1924, et ce, après plusieurs années de réflexion juridiques et de relations diplomatiques, après validation par le Conseil d’Etat, à organiser le culte catholique sous forme d'associations diocésaines. L’Eglise catholique refusait l’application de cette loi car elle voyait en elle une entorse à la hiérarchie catholique et au pouvoir de l’évêque et (le marginalisation du Saint-Siège). Quant au culte musulman inexistant à l’époque en France métropolitaine, il ne sera pas pris en considération (la loi 1905 ne sera pas appliquée dans le département de l’Algérie française ). Rares sont les lieux de culte musulmans déclarés sous la forme de la loi 1905 ceci est dû principalement à l'ignorance de la loi qui a été faite pour réguler le culte catholique. Cette loi exige de l’association qui l’adopte la pratique exclusive du culte, elle offre en contrepartie de nombreux avantages fiscaux : capacité de recevoir des libéralités et exonération des droits de mutation à titre gratuit pour les dons et legs qui leur sont consentis ; exonération de la taxe foncière pour les propriétés où sont édifiées des constructions affectées à l'exercice du culte ; possibilité pour les collectivités publiques de participer à la réparation des édifices cultuels appartenant à des associations ; bénéfice des déductions fiscales instituées par la loi du 23 juillet 1987 relative au mécénat et récemment majorées.

Le toilettage de cette loi

La Fédération Protestante de France à appelé a un toilettage de cette loi dont certains articles deviennent désuets et ne favorisent pas les cultes minoritaires. L'Eglise catholique, les obédiences franc-maçonnes et certains responsables musulmans ne voyaient pas une nécessité de ce toilettage. Pour le Bureau central des cultes : s'il y a une révision de la loi, il doit se faire principalement pour une harmonisation fiscale du plan comptable dans le but d'une transparence financière des associations cultuelles qui bénéficient de nombreux avantages. Le Conseil d'Etat dans son dernier rapport de 2004 souhaite qu'il soit remédier aux incertitudes juridiques concernant la formule dite des " chantiers du cardinal ", inspirée dans les années 1930 par le cardinal Verdier pour la construction d'églises dans les zones urbaines, est aujourd'hui encore d'application courante pour des églises mais aussi des mosquées, des temples ou des synagogues.

La pratique du Conseil de l’Etat qui supervise l’application de la loi fait ressortir la complexité de l'édifice, bâti sur un socle solide, l'article 10 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la loi de 1905, la consécration constitutionnelle du principe de laïcité en 1946 puis en 1958. Mais cet édifice s'est construit grâce à une imbrication de pierres, chaque fois qu'un problème d'application pratique se posait et devait être résolu, soit par un aménagement des textes ou leur complément, soit par une interprétation jurisprudentielle bienvenue. Le doyen Gabriel Le Bras, en 1950, a pu qualifier le Conseil d'Etat de " régulateur de la vie paroissial " et l'on a pu parler d'une " véritable construction par la Haute Assemblée des fondements de la laïcité " J. Barthélemy, " le Conseil d'Etat et la construction des fondements de la laïcité ", La revue administrative, 1999. (Voir le rapport du conseil d'Etat 2004, un siècle de laïcité.)

L'affaire du foulard

L'article 5 des « principes et fondements juridiques régissant les rapports entre les pouvoirs publics et le culte musulman en France » signé par les responsables du CFCM et par 995 mosquées stipulait : " les pouvoirs publics n'ont pas à connaître des emblèmes religieux vestimentaires que les fidèles d'un culte estiment devoir porter en privé. En revanche, les usagers de certains services publics, et notamment ceux de l'enseignement public, doivent se conformer à certaines règles. Ils doivent s'abstenir d'arborer des signes d'appartenance religieuse, dans les conditions rappelées par la jurisprudence du Conseil d'Etat. En effet, la conception française de la laïcité implique la reconnaissance d'un espace de formation au débat public, comme à tous les citoyens français exerçant leur raison naturelle pour déterminer le meilleur intérêt général." La Commission parlementaire Debré et la commission Stasi en laçant le débat sur la question des signes religieux à l'école avaient en tête ce texte.

Mais, avec les déclarations du vice-président de la de la Cour européenne des Droits de l’Homme, M. Costa sur, sur la compatibilité d’une loi et de la Convention européenne des droits de l’Homme, la focalisation sur certaines auditions extrémistes, la montée médiatique du mouvement Ni putes Ni soumises, l'affaire des deux sœurs Lévy médiatisées à outrance et la focalisation de certains reportages sur des phénomènes marginaux au sein des hôpitaux ou dans certains collèges et lycées, le débat a pris une autre tournure. La question du foulard ne sera plus regardée comme une liberté religieuse mais comme un frein à l’égalité des sexes. Les différentes interventions de députés lors de la discussion de la loi faisaient référence régulièrement au mouvement Ni putes Ni soumises et le texte de la Commission Stasi ne fera à aucun moment référence à la possibilité que le voile soit aussi une affaire de liberté de conscience et de conviction religieuse

De la part de certains milieux religieux musulmans politisés, cette affaire a été utilisée pour rameuter les foules, démontrer l’intransigeance par rapport à certaines « obligations religieuses » et la volonté de ne pas laisser le CFCM s’exprimer seul sur ces questions comme nous déclarait un des responsables des mouvements protestataires. Cette affaire créera un sentiment d’humiliation et de stigmatisation dans les milieux religieux (et) alimentera un discours autour de l’islamophobie. Cependant, lors du dernier rassemblement de l'UOIF (10 avril 2004), le discours des milieux religieux est passé d'un discours de confrontation affichée à un discours d'apaisement en incitant les filles à respecter la loi et à s'habiller d'une façon discrète. Pour détourner la loi, ils invitent les filles à présenter le port du foulard ou de la bandana comme un habit traditionnel, voire folklorique. Nous sommes en plein bricolage d'une identité dite musulmane.

Dans le projet de circulaire transmis le 20 avril 2004 aux syndicats et au CFCM, M. François Fillon, ministre de l’Education nationale, autorise sous certaines conditions, les « tenues traditionnelles », ainsi que le bandana si celui-ci n’est pas revendiqué comme un signe religieux. Cependant il laisse le choix aux chefs d’établissements d’interdire dans leur règlement intérieur, le port de tout couvre-chef. La deuxième verssion de la circulaire revient sur les propositions de la première elle va vers une interdiction de tout couvre chef.

La rentrée scolaire s’annonce plus compliquée. Les filles qui portent un couvre chef, bandana, chapeau ou foulard, seront peut-être plus revendicatives qu’avant la loi et la circulaire qui va la présenter.

II Le processus de sécularisation de l’islam de France.


Cependant, malgré l’affaire du voile, est-il possible de considérer que l’islam de France est en cours de sécularisation ? Selon Mg Bernard PANAFIEU, Cardinal Archevêque de Marseille, dans une lettre du 21 janvier 2004, « L'Islam, né de l'immigration de ces dernières années, avec ses organisations, sa culture, son histoire, n’ayant pas l'expérience de la pluralité des religions et de la sécularité des institutions, a quelques difficultés à trouver sa place dans une société laïque et pluraliste. Il peut alors avoir tendance à se replier sur son identité et à manifester sa spécificité par des signes extérieurs "ostentatoires", qui apparaissent comme une provocation que ne manque pas de durcir l'inévitable inflation médiatique. »

La raison de ce durcissement est qu’en France aujourd’hui, la grande difficulté des musulmans est l’absence de structure permettant une diffusion d’une pensée musulmane libérée de l’idéologie et d’un discours adapté à l’évolution de la société et à l’histoire française. On ne peut affirmer avec simplisme que les musulmans n’ont pas une expérience de la pluralité des religions. Il serait plus juste de dire que les musulmans contemporains sont prisonniers d’une grille de lecture qui se veut dominante et seule vraie, alors qu’elle n’est que circonstantielle et ne correspond pas à l’héritage de l’islam. Le discours politisé de l’islam étouffe l’expression de la pensée musulmane qui a toujours fait la différentiation entre le politique et le religieux. Longtemps, le discours autour de l’islam a été récupéré par des mouvements à finalité politique. Mais la majorité des musulmans sont dans cette tradition de séparation. Et l’évolution de certains mouvements religieux démontre cette pression de la base afin d'opter pour la distinction. C’est le cas principalement de la Turquie et du Maroc. Les nouvelles déclarations des Frères musulmans en Egypte, qui veulent transformer leur confrérie en un parti politique et même changer de nom, vont dans ce sens. Mais cette confrérie reste dans sa logique globaliste : l’islam est la solution, son programme de réforme pour l’Egypte, présenté en janvier 2004, met l’islam au centre de tout processus de changement.

Loin de l’Egypte, en France, la laïcité offre d’innombrables possibilités à une pensée musulmane libre et indépendante des pouvoirs politiques. Elle peut être un laboratoire d’une sécularisation de l’islam et offre ainsi d’autres horizons. Les responsables religieux musulmans sont-ils capables de percevoir cette opportunité et de mener un travail sur le discours, les concepts véhiculés et la nécessaire réforme de la formation des acteurs religieux ? Sans cet effort, ces aspirations resteront des vœux pieux. L’espoir demeure malgré tout dans ces nouvelles générations mariant une identification dans la laïcité et invitées à un regard plus objectif sur l’Islam et une spiritualité humaniste prônant une culture de paix.

Un islam libéral, qui reste à définir, est sollicité, mais ceux qui se disent le représenter restent loin des préoccupations quotidiennes des lieux de culte et parfois agissent par mépris envers la religion et les « pratiquants » ce qui les décrédibilise aux yeux des milieux religieux. Certes il y a besoin d'une nouvelle lecture des textes, une reforme des systèmes éducatifs et une formation adaptée des transmetteurs, cependant cette lecture et cette réforme ne peuvent être productives s 'elles restent limités à des aspects philosophiques et à des disputes intellectuelles. Les demandes de la société et des musulmans sont pratiques : place de la normativité, statut de la femme, relations avec les non musulmans, la présence dans des sociétés multiculturelles, la position par rapport aux actes de violence.

III Le conseil français du culte musulman, CFCM : Une institution qui se cherche.


À l’image des instances officielles des autres cultes, le CFCM est l’interlocuteur de l’Etat. Cette jeune structure est devenue incontournable dans le paysage cultuel français. Son implantation est irréversible grâce au soutien de la majorité des lieux de culte musulmans et à la volonté des pouvoirs publics d’avoir un interlocuteur unique identifié.

Les quelques lieux de culte réfractaires ne tarderont pas à rejoindre le CFCM, s’ils désirent agir dans l’esprit laïc des lois de la République et intégrer la marche amorcée du culte musulman de France. Dans cet apprentissage de la laïcité française, le débat autour de la sécularisation de l’islam ne fait que commencer.

Les étapes d'une institutionnalisation de l’islam

Le miraculé de la République, l’ancien ministre de l’intérieur Jean Pierre Chevènement a lancé, fin 1999, le chantier de l’institutionnalisation de l’islam de France. Il a pris en considération les différentes expériences de ces prédécesseurs : Pierre Joxe avec le Conseil de réflexion sur l’islam, CORIF (1989-1993) et Charles Pasqua qui a privilégié l’Institut musulman de la mosquée de Paris, cette dernière présentant en 10 janvier 1995 la charte du culte musulman et créant le Conseil représentatif des musulmans de France. L’organisation de ce conseil devait se baser sur les grandes mosquées régionales et sur les muftis de régions d’où les titres portés par certains. Pour le financer, Charles Pasqua offrira l’exclusivité du contrôle de la viande Halal à la Mosquée de Paris, l'exclusivité sera élargie en 1996 avec Jean-Louis Debré aux deux mosquées d'Evry et de Lyon.

Le 21 octobre 1999, J.P. Chevènement proposera à cinq fédérations, six mosquées indépendantes et six personnalités dites qualifiées l’adhésion à la Consultation des musulmans de France. Cette adhésion a été subordonnée à la signature d’un texte intitulé « principes et fondements juridiques régissant les rapports entre les pouvoirs publics et le culte musulman en France ». Ce document reprend en préambule les principes juridiques français et européens et rappelle les principales règles édictées dans la législation et la jurisprudence française. Des protestations sur l’ingérence de l’Etat dans l’organisation de l’islam verront le jour, portées principalement par des mouvements de jeunes n’étant pas impliquées dans la gestion des mosquées et salles de prière. Toutes les institutions et personnes invitées à participer à la consultation finiront par y adhérer excepté la mosquée Adda’wa à Paris. La signature du texte préparé au sein du Cabinet de M. Chevènement visait à mettre à niveau le statut juridique du culte musulman et d’affirmer d’une façon solennelle la supériorité de la juridiction de l’Etat sur les cultes. Une polémique naîtra d’un article sur la liberté de changer de religion. Des organisations musulmanes exigeront la suppression de ce passage ou l’inscription en entier de l’article en référence. L’Etat optera pour la suppression pure et simple de l'écriture de l’article mais en le faisant apparaître par sa référence. Pendant deux ans de travail au sein de 8 commissions spécialisées dont une réservée à l’organisation, l’Etat accompagnera les membres de la consultation qui arriveront à établir un mode d’organisation du culte musulman basé sur la superficie des salles de prière destinées au culte. Les élections devaient avoir lieu avant les élections présidentielles de 2002. La mosquée de Paris privilégiera la tenue de ce scrutin après les élections présidentielles.

Le CFCM a été officialisé le 3 mai 2003. Les élections qui ont conduit à la création du CFCM ont eu lieu les 6 et 16 avril 2003. 995 lieux de culte sur les 1316 sollicités ont désigné 4032 électeurs qui allaient élire les membres constituant les Conseils régionaux du culte musulman (CRCM) et les 3/4 de l’assemblée générale du CFCM. Le taux de participation a atteint 86 %.

Le 3 mai 2003, l’assemblée générale constitutive du CFCM composée de 150 membres élus et de 50 personnes désignées, adoptera à l’unanimité les statuts du CFCM. Le 4 mai, les 63 membres du conseil d’administration (2/3 élus dans les régions, 1/3 désignés dont 5 personnalités dites cooptées) désigneront les membres du bureau du CFCM suivant en cela la proposition de la Consultation des musulmans de France (COMOR) arrêtée lors du séminaire de Nainville les Roches les 19 et 20 décembre 2002. Le 15 juin 2003, la désignation des bureaux des Conseils régionaux du culte musulman (CRCM) sera achevée. Des mouvements dits musulmans laïcs, tenteront de créer des structures similaires au CRIF (Conseil représentatif des israélites de France). Ils subiront l'échec le lendemain de leurs proclamations à cause de leur faible représentativité et les visées politiques qui animaient les initiateurs parfois habités par une aversion envers la religion.

Les prochaines élections du CFCM sont prévues pour 2005, des voix demandent à les repousser de quelques mois afin qu’elles ne coïncident pas avec la grande rencontre de l’Union des Organisations Islamiques de France, organisation la plus structurée et la plus dynamique du tissu associatif musulman.

Nicolas Sarkozy aux manettes

Prendre l’opinion à témoin si le processus échoue était le slogan de l’équipe ministérielle dirigée par J.P. Chevènement. Après le changement de la majorité et la crise du 21 avril 2002 qui a vu le Front National se maintenir au deuxième tour des élections présidentielles et le sursaut républicain qui a accompagné le deuxième tour, le processus s’est alors accéléré avec une implication personnelle de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur. Ce dernier, après s’être assuré de la neutralité des autorités algériennes et marocaines, recevra les trois fédérations principales qui concluront un accord pour le fonctionnement du bureau du CFCM. Cet accord sera amendé avec quelques modifications par l’ensemble des membres de la consultation lors d’un séminaire à la résidence privée du Ministre de l’Intérieur au Château de Nainville les Roches. La main "napoléonienne" sera saluée par certains membres de la consultation. Les personnalités qualifiées se sentirons marginalisées en raison de mode de fonctionnement de la consultation mise en place début 2001, L’une d’entre elles démissionnera avec fracas.

Nicolas Sarkozy et l’UOIF

Pour convaincre les différents acteurs musulmans, Nicolas Sarkozy va user de tout son poids parfois en risquant une incompréhension de la classe politique française à cause de ses gestes envers l’UOIF. C’est le premier ministre de l’intérieur qui se rendra au siège de l’UOIF, à La Courneuve en Seine-Saint-Denis, pour convaincre les membres de leur conseil d’administration d’accepter l’accord proposé aux trois fédérations. La Mairie de La Courneuve renouvellera à cette occasion sa demande pour trouver une solution au local qu’occupe l’UOIF qui se trouve dans une zone industrielle et qui ne répond pas aux règles de l’urbanisme. L’absence de respect des normes du local de l’UOIF ne fait que refléter l’état des lieux des cultes musulmans qui dans leur majorité sont loin de satisfaire la réglementation en vigueur en matière d’urbanisme et de sécurité des personnes. Au congrès annuel de l’UOIF, le ministre lancera le débat - latent - sur le foulard en rappelant la réglementation sur la présentation de photos tête nue pour les pièces d’identité. « C’est une volonté du ministre de gagner des points dans son camp après les multiples accusations de soutien aux "fondamentalistes" et de faire de l’ombre au grand congrès du FN qui se déroulait au même moment à Marseille », nous déclarait à l’époque un proche du Ministre.

Sarkozy acceptera en septembre 2002 le principe d'une rencontre entre le Conseil représentatif Israélite de France (CRIF) et l’UOIF dans une salle du ministère de l’intérieur à l’initiative de l’UOIF, cette rencontre sera décriée par les autres composantes de l’islam de France, qui voyaient en elle un soutien à cette organisation.

Le dopage des fédérations

Pour les élections des CRCM, nous pouvons constater qu’elles ont donné lieu à un dopage des fédérations en défaveur des mosquées indépendantes et des salles de prière très nombreuses qui reflètent l’islam populaire et principalement sub-saharien et confrérique. La cause de ce dopage fut une construction d’alliances, dans lesquelles chacun avait sa stratégie. L’UOIF, n’a pas été à la tête des listes afin de ratisser plus large, puis après les élections, elle s’activera pour avoir la responsabilité des CRCM. La FNMF ralliera vers elles les mosquées et personnalités d’origine marocaine désirant garder leur autonomie et ne désirant pas s’allier avec l’UOIF. Les autorités marocaines, à travers les consulats, étaient très actives afin de ne pas perdre la main sur le religieux en France et cela en l’absence de tout soutien financier ou politique de consolidation des lieux de culte musulmans dirigés par des Marocains. Ces derniers, à l’inverse des mosquées sous l'influence de l'Algérie, ne profitent d’aucun soutien ni financier ni cultuel à l’exception de l’envoi de quelques imams pendant le mois de Ramadan. La mosquée de Paris comptait principalement sur l’alliance avec la FNMF pour conquérir certaines régions. Mais les dysfonctionnements au sein de la mosquée de Paris n’ont pas permis à cette alliance d’aller plus loin.

Il est dès à présent possible de prévoir lors des prochaines élections de nouvelles alliances autour de trois pôles :

1 - un islam officiel regroupant : La mosquée de Paris, le Comité de Coordination des musulmans turcs de France (CCMTF), les salles de prières des foyers qui vont voter pour la première fois.
2 - Un islam politique militant représenté par L’UOIF qui est entrée dans une phase de création de lieux de culte et attirera quelques associations politisées de la FNMF et certaines mosquées indépendantes ainsi que la dynamique organisation turque Milligurush.
3- Un islam encore mal défini autour de la FNMF, qui reste incertain dans son mode d’organisation et sa fragilité structurelle la privant d’une cohésion interne solide. Elle pourra constituer un troisième pôle regroupant des lieux de cultes indépendants politisés ou pas, et qui reflétera en grande partie l’évolution de la situation religieuse au Maroc.

L’émergence d’un pôle autonome qui se réclame d’un islam de France loin des influences de l’islam politique et des pays d’origine ne verra pas le jour avec les prochaines élections. Par contre le processus est assez récent pour permettre l’émergence d’autres forces.

IV Les chantiers à venir pour le CFCM


La construction des mosquées

Une majorité d’élus locaux sont prêts, aujourd’hui, à faciliter la construction de lieux de culte dignes, cependant ils sont souvent confrontés aux dissensions au sein des milieux religieux musulmans et à la volonté de certains de politiser la demande de construction des lieux de culte. Ils sont également confrontés à une méconnaissance du culte musulman d’où la nécessité d’un travail de médiation, de pédagogie et d’explication. Certains élus sont également habités par une volonté d’avoir des lieux de culte sur mesure et selon un schéma qu’ils ont établi sans se soucier des demandes des intéressés, ce qui les fait entrer parfois en conflit avec les porteurs de projets de mosquées. De la part des musulmans, après une période de privation, quand des ouvertures se présentent, ils voient trop grand. La mosquée devient un lieu de pouvoir qui leur donnera une grande visibilité locale ou régionale, ils rivalisent ainsi dans la construction de la plus grande mosquée sans se soucier des moyens dont ils disposent et le besoin réel des populations musulmanes locales. Dans les années à venir, il faudra faire de ces mosquées des lieux de spiritualité, d’adoration, de formation et d’études et non des lieux idéologiques ou d’exercice d’un pouvoir politico-religieux.

Pour la construction d'édifices du culte, plusieurs dispositifs permettent de favoriser les projets, indépendamment du caractère cultuel ou non de l'association qui les porte : l'Etat, les départements et les communes peuvent accorder une garantie d'emprunt pour la construction d'un édifice religieux, facilitant considérablement la recherche d'un prêt bancaire ; les édifices de culte ne sont pas assujettis à la taxe d'habitation ; la formule dite des " chantiers du cardinal" est aujourd'hui encore d'application courante pour des églises mais aussi des mosquées, des temples ou des synagogues. Ce dernier instrument est efficace et précieux pour les associations souhaitant construire un édifice cultuel. Il se développe cependant dans un contexte juridique incertain.

Le statut des imams

Nous distinguons dans le paysage français 5 catégories d'imams :

-Des imams fonctionnaires désignées dans le cadre des ELCO par les autorités algériennes dans le cas des mosquées affiliées à la mosquée de Paris, et de la Diyanat dans le cas du CCMTF turc. Ces imams suivent avant nomination un cursus spécifique dans leur pays d’origine. En ce qui concerne le Maroc, devant l’absence d’une organisation religieuse similaire à celle de l’Algérie influencée par le modèle turc émanant de l’époque des tandhimates, les imams qui sont détachés, sont principalement des universitaires, leur nombre est très limité il ne dépasse pas les 12 imams à l’échelle de toute l’Europe dont 4 pour la France.

-Des imams charismatiques venus comme étudiants ou comme exilé politiques. Ils ont fini par s'installer en France, ils ont participé à la création des mosquées et salles de prières et des institutions religieuses c'est le cas des imams de l'UOIF, de la FNMF et une grande partie des mosquées indépendantes. Ces imams peuvent être des autodidactes ou ayant suivi des formations religieuses traditionnelles ou universitaires dans les pays d'origine ou dans les universités saoudiennes ou syriennes voir pakistanaises. Ces imams peuvent assurer leur fonction d'une façon bénévole comme ils peuvent recevoir des traitements de la part des associations auxquelles ils sont affiliés. Ces imams sont dans la plupart des cas les interlocuteurs des pouvoirs publics.

-Des imams conférenciers. Ce sont des leaders religieux des différentes tendances, ils sont invités par les associations religieuses à donner des conférences et assurer des formations.

-Des imams ouvriers : ils sont dans la plupart des cas à l'origine de salles de prières dans les foyers, en bas d'immeubles, leur activité principale est salariale en dehors des milieux religieux. Ils peuvent être des Rmistes, ou inscrit au chômage. Ils constituent ce qu'on nomme l'islam populaire, ils peuvent être affiliés à des confréries. Ces imams connaissent une partie ou la totalité du Coran par cœur. Dans la plupart des cas, ils n'ont pas de compétences dans l'interprétation des textes et de la jurisprudence musulmane.

-Les imams 2ème génération, ont grandi ou sont nés en France, ils ont suivi des cours dans les instituts de formation religieuse musulmane, Institut Européen des sciences humaines (tendance UOIF) ou le CERISI, l'ancien Institut islamique de Paris ou encore dans des universités saoudiennes ou écoles syriennes. Ils maîtrisent le français, ils ont des difficultés pour être embauché par les associations musulmanes qui ne reconnaissent pas leurs diplômes et restent méfiants des lieux de formation. Ils participent activement dans les associations de jeunes musulmans.

Devant cette complexité de situation et l'absence du statut de l'imam, les institutions publiques sont confrontées à la difficulté de définir les critère d'un ministre de culte musulman, la rémunération que reçoit l'imam est-elle considérée comme un traitement ou un salaire ? En Janvier 2004 le CFCM a nommé un représentant musulman au sein du conseil d'administration de la CAVIMAC, caisse de sécurité sociale réservée aux cultes, pour pallier cette question.

Cependant d’autres problèmes demeurent. Les imams sont sous la responsabilité des associations qui les nomment. Le conseil des imams qui regroupe une centaine parmi eux veut garder son indépendance par rapport au CFCM. En effet il a reçu de M. Sarkozy la promesse que le CFCM ne s'ingère pas dans les affaires des imams. C'est pour cela qu'il n'existe pas au sein du CFCM une commission dédiée aux imams. Les imams restent alors confrontés à différentes difficultés, la précarité de leurs situations sociales et administratives.

Aumôniers : de l'auto-proclamation à la structuration

La tradition musulmane encourage le soutien et la compassion des personnes en situation d'enfermement et invite à la visite et l'accompagnement des malades. De nombreux bénévoles se présentaient aux administrations pénitentiaires et hospitalières afin d'avoir des autorisations de visite. Ces bénévoles se confrontaient à la réglementation en vigueur. Seule la mosquée de Paris est reconnue officiellement pour délivrer le statut d'aumônier. Devant cette situation, de nombreux imams ou aumôniers autoproclamés assuraient cette fonction de façon arrangée.

La loi 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat offre des possibilités de nomination d’aumôniers dans les lieux dits fermés, armée, hôpitaux, prisons et dans les écoles, collèges, lycées et universités. L'institutionnalisation de ce corps au sein du culte musulman sera un pas supplémentaire dans la sécularisation de l'islam et la création d'un corps religieux spécialisée. Le nombre limité des aumôniers reconnus est dû d’une part à l’absence de structures musulmanes, l’absence de réflexion et d’émergence de propositions d’action sur cette question, la diversité de l'islam et d’autre part à la suspicion qui hante les institutions publiques concernées du fait de l'absence d'une formation religieuse adaptée des candidats et de la peur du non-respect du cahier des charges. Quels sont les critères de nomination de ces aumôniers et quel rôle doit jouer le CFCM? Un projet est en élaboration par la commission aumônerie du CFCM.


Formation des imams, des aumôniers et des cadres religieux

Pendant longtemps les discussions étaient focalisées sur la création d’un institut de théologie islamique à Strasbourg à l’image des deux instituts de théologie protestante et catholique. Ce projet a été porté par l’ancien recteur de l’Université strasbourgeoise M. Etienne Trocmé. Le rapport présenté par Mg Minnerath, l’actuel évêque de Dijon, a donné un coup d’arrêt à cette éventualité. Visiblement, l’Eglise catholique concordataire d’Alsace-Moselle avait trouvé son défenseur objectif contre le projet. Dans un colloque, M. André Damien, l’ancien conseiller de Charles Pasqua, déclarera : « Je tiens à dire à Mg Minnerath combien j’ai apprécié le travail qu’il a fait au moment où certain nombre d’esprits aventureux avaient voulu créer une faculté de théologie musulmane à Strasbourg, faculté d’Etat. C’était une fausse bonne idée. Mgr Minnerath a donné une consultation de droit français et de droit concordataire, dont la précision était telle que les ministres ont compris que l’on ne pouvait pas aller trop loin et que, de toute façon le Conseil constitutionnel, qui considère déjà le Concordat comme une loi un peu aventureuse mais maintenue par la tradition, ne pouvait pas créer, pour une quatrième religion, une Faculté, qui effectivement, n’avait rien de théologiquement recevable en droit concordataire. Elle aurait été dangereuse dans la mesure ou elle aurait donné une officialisation à une religion infiniment respectable mais qui n’a pas l’organisation nécessaire pour avoir une pensée unifiée. Nous aurions eu des fatwas qui seraient sorties des minarets de la Faculté de théologie de Strasbourg et qui auraient effrayé les peuples entiers. Un Salman Rushdie sanctionné par la faculté de théologie de Strasbourg aurait été encore plus en danger qu’il ne l’est par les ayatollahs iraniens ». (tiré de La société dans les encycliques de Jean Paul II, Cerf, fondation Singer Polignac, colloque sous la direction d’Edouard de Bonnefous et Patrick Valdrini, organisé le 22 février 2002, page 12). Les idées émises dans cette citation reflètent (un esprit de) l’amalgame qui concerne l’islam et qui ne fait que retarder une intégration de l’islam dans l’espace public. Plus positivement, dans le colloque organisé par la Médina en octobre 2003, M. Vianney Sevaistre, Chef de bureau central de culte au sein du ministère de l’intérieur a proposé la création de plusieurs structures de formation de cadres religieux à l’image de l’institut Saint Serge de la communauté orthodoxe.

La formation des imams reste le chantier le plus sensible ; Cette formation ne pourra se faire d’une manière constructive que si une confiance s’installe entre l’Université, les responsables et intellectuels religieux musulmans sur les programmes à suivre, la pédagogie à adopter et les complémentarités possibles. De même, à côté des imams et des aumôniers, il ne faut pas oublier les gérants et présidents des lieux de cultes qui eux agissent en grande partie dans l’ignorance du droit des cultes. Des formations sous forme de stages s’imposent aujourd’hui. Le Master « laïcité et droit des culte » d’Aix en Provence peut être un outil de formation idéal pour les cadres religieux musulmans, vu la qualité des intervenants et la pratique des programmes.

La formation concernerait deux catégories : les imams et les aumôniers en poste et les futurs cadres religieux

Pour la première catégorie la formation pourra se faire sous forme de stages : Des formations accélérées en matière du droit des cultes (en arabe et en français). Une initiation à la langue et à la culture française pour les imams non francophones. Adaptation du prêche à la société française.

Pour la deuxième catégorie, des instituts de formations devront être créés sous le label du CFCM, ils permettront un accompagnement des futurs imams qui au préalable auraient suivi une formation dans des départements d’études arabes et islamiques dans les universités françaises, ils permettront de suivre également les évolutions de la pensée musulmane.


Les carrés confessionnels musulmans

Les populations musulmanes vieillissent, le rapatriement des défunts est en décroissance. L’inhumation en terre française, de plus en plus importante, exprime l’intégration des musulmans ; Selon notre dernier recensement, le nombre de carrés confessionnels musulmans offert ne dépasse pas 70. Un travail de recensement et de définition des besoins devient nécessaire. Depuis la loi du 15 novembre 1881, les cimetières sont dits interconfessionnels : « tout regroupement par confession sous la forme d’une séparation matérielle du reste du cimetière est interdite ».

Le code général des collectivités territoriales pose le principe de la neutralité du cimetière en prohibant l’établissement de « distinction ou de prescription particulières à raison des croyances ou culte du défunt ». Une circulaire, en date du 14 février 1991, reprenant une circulaire antérieure du 28 novembre 1975, indique que les maires ayant la compétence pour fixer l’emplacement de chaque tombe, peuvent autoriser des regroupements de fait de sépultures sous réserve que soit préservée la neutralité du cimetière en ce qui concerne l’aspect extérieur des parties publiques et la possibilité laissée aux familles de toute religion de s’y faire inhumer.

La circulaire recommande en revanche « d’accéder aux demandes particulières des familles de confession musulmane en ce qui concerne les prescriptions religieuses ou coutumières relatives aux funérailles et à l’inhumation de leurs défunts sous réserve du respect de la réglementation en matière sanitaire et d’hygiène. Ainsi, la famille du défunt décide librement de la position du défunt et de l’emplacement d’une éventuelle stèle sur la sépulture ou de l’aspect extérieur de celle-ci, sous la seule réserve que le parti pris ne soit pas choquant pour les autres familles et, ainsi, de nature à provoquer des troubles à l’ordre public ».


Le financement

Ces nombreux chantiers nécessitent des moyens financiers. Le marché de la viande halal a été longtemps considéré comme un moyen de financement du culte musulman, la présence de forts lobbies commerciaux et religieux au sein de ce marché ainsi que les nouveaux comportements des populations de culture musulmane qui se posent des questions sur le bien fondé du label halal, rendent cette éventualité très incertaine. Des acteurs musulmans réfléchissent à la création d’une fondation française du culte et des affaires sociales musulmanes, qui pourra centraliser les dons et participations des pays et bienfaiteurs musulmans ainsi que des financiers français. De son côté la commission juridique du CFCM travaille sur un projet de loi pour le financement du culte musulman. Les dispositions de la loi 1905 et les différents avis du Conseil d’Etat en matière de culte peuvent servir de base pour une meilleure intégration du culte musulman dans l’espace de la République.

Pour y arriver une confiance mutuelle est nécessaire. Mais le processus de l'institutionnalisation du culte musulman de France est en train de définir les champs d'action du culte et les relations avec l'Etat. On chemine à petits pas, mais sûrement, vers une sécularisation de l'islam, cette sécularisation est accompagnée d'un changement des mentalités et des modes de réflexions et de raisonnements. Le cas français pourra donner des exemples de régulation du culte musulman à l'Europe voir au monde de l'islam qui est à la recherche d'une adaptation de la pratique religieuse au monde moderne.

Hakim El Ghissassi
Fondateur et ancien directeur du Magazine la Médina.