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Catégorie : Dossier
Dès la période du Califat de Ali Ibn Abi Talib quatrième Calife de l'Islam sunnite, des divergences ont éclatées entre différents groupes de musulmans. Ces divergences seront mêmes à l'origine de la mort de Ali, assassiné par la secte des Kharidjites. Dès ce moment différentes acceptions de la doctrine islamique se répandent dans le monde musulman. D'abord le schisme entre chiites et sunnites. Et même à l'intérieur du sunnisme, s'opposent une vision de l'Islam émanant de l'intérieur et une acception plus rigide de la religion reposant sur une application stricte et littérale de la Loi.

C'est ce dernier aspect qui sera étudié ici avec les exemples caractéristiques que sont la secte des Haschîchiyin au 11ième siècle et le wahhabisme du 18ième siècle ; on brossera ensuite un tableau des organisations issues de la doctrine wahhabite au 20ième siècle dans le monde musulman où l'Arabie Saoudite moderne et les Frères Musulmans seront plus spécifiquement étudiés.

La secte des Haschîchiyin de Hassan ben Sabbah

La secte des Haschîchiyin (à l'origine du mot « assassin ») se caractérisa par une succession d'assassinats de dignitaires aussi bien musulmans que chrétiens de la fin du 11ième siècle au milieu du 13ième siècle. A l'origine de la secte, on trouve Hassan ben Sabbah (né vers 1050) plus connu en Occident comme le « Vieux de la montagne » originaire d'une puissante famille de la ville Perse de Qom, centre de la doctrine Ismaélienne.

A son retour d'Egypte où il a poursuivi ses études, il s'établit a Ispahan et se lance dans des prêches politiques qui inquiètent les autorités du pays que sont les Turcs Seldjoukides, sunnites orthodoxes. Ceux-ci l'expulsent du pays avec ses partisans. En septembre 1090, après des guerres saintes visant à étendre son influence, il finit par s'établir dans la citadelle d'Alamut au nord - ouest de l'Iran actuel.

Son but est de reconquérir la Perse et d'imposer sa vision de l'Ismaélisme en attaquant tous les opposants à ses idées. Il se présente donc comme la réincarnation du Septième Imam d'Ismaël et recrute ainsi massivement des moines - soldats enivrés au Hachisch, (d'ou le nom de la secte) prêts à mourir pour leur cause.

Le meurtre devient alors la principale activité de la secte avec la devise : « On ne peut guérir la blessure du monde qu'avec la lame qui la fit ». Sur trente ans à partir de 1090, divers dignitaires seront assassinés parmi lesquels en 1092 Nizam al Mulk Tusi vizir d'Ispahan, le préfet de Bayhaq en 1102 et le Cadi de Nichapour en1109. En 1110 le Vieux de la montagne assassine même deux de ses fils qui lui ont désobéi. L'une de ses dernières victimes est le général fâtimide égyptien Al-Afdal en 1121.

A la mort de Ben Sabbah en 1124, les meurtres sont poursuivis par ses successeurs. En 1127 le vizir Mu'in ud Dîn est tué puis en 1138 le Calife Ar Rachid est assassiné. Par la suite des chrétiens comme le compte Raymond II de Tripoli seront exécutés. Saladin lui même échappa à plusieurs tentatives d'assassinats dans les années 1170 de même qu' Edouard d'Angleterre visé en 1272.

Finalement le Mongol Hulagu s'empare d'Alamut en 1256 et rase la forteresse. Les ismaéliens sont ensuite chassés de Syrie et se dispersent au Liban , en Iran et en Inde.

Naissance du Wahhabisme

Apparu au 18e siècle en réaction à la domination turque et à l'influence des puissances européennes, le wahhabisme s'est imposé en tant que doctrine religieuse dominante dans presque toute la Péninsule arabique.

Son fondateur, Mohamed ibn Abd al Wahhab est né en 1703 près de Riyadh. Théologien formé à l'école juridique hanbalite (la plus rigoriste des quatre écoles juridiques d'interprétation de l'islam sunnite) école dont il s'inspirera largement, il a commencé à prêcher vers 1740 un Islam particulièrement intransigeant basé sur une interprétation littérale du Coran. A la différence des trois autres écoles juridiques sunnites, les wahhabites ne reconnaissent que le Coran et la Sunna (tradition du prophète) comme sources du droit. Le Kitab at Tawhid ou « Traité de l'unicité divine » de Abd al Wahhab peut ainsi être considéré comme l'ouvrage de référence de la théologie wahhabite.

Se heurtant aux coutumes de ses contemporains comme le culte des saints ainsi qu'aux musulmans chiites, Abd al Wahhab est contraint à l'exil et trouve protection auprès d'un émir local, Mohammed ibn Saoud, qui adopte la doctrine wahhabite. En 1744, Abd al Wahhab et la famille Saoud concluent un pacte politico-religieux scellé par un mariage, qui constitue le socle idéologique et politique de l'actuel royaume d'Arabie Saoudite.

Formation de l'Arabie Saoudite moderne

Le fondateur de la dynastie des Saoud est Mohammed ibn Saoud (1705 - 1785). Sous les Saoud, le mouvement wahhabite devient vite très puissant, au point que ses disciples réussissent à s'emparer des villes de Najaf et Kerbala en Irak, de Damas en Syrie, ainsi que de La Mecque et Médine dans le Hedjaz. Ils sont cependant battus en 1818 par l'armée égypto-ottomane de Muhammad Ali, pour le compte de la Sublime Porte. Ainsi, les villes Saintes reviennent sous l'autorité d'Istanbul. La capitale des wahhabites, Dariya, est alors rasée la même année. Une dernière campagne égyptienne mate, en 1832-34, toute velléité d'indépendance et laisse une Arabie en ruines. Finalement, en proie à des luttes intestines, le premier « Etat » saoudien de l'Histoire s'effondre en 1887, lorsqu'une autre tribu, les Shammar, s'empare de Riyad, contraignant les Saoud à trouver refuge auprès du cheikh du Koweït.

Le wahhabisme se replia sur lui-même et ne refera parler de lui qu'au début du 20ième siècle lorsque Abd al Aziz Ibn Saoud, prince de la dynastie Saoud en exil au Koweït, décrète la lutte pour la protection du wahhabisme et contre l'influence turque. Il s'empare en 1902 de la ville de Riyad , puis se proclame roi du Najd et Imam des wahhabites en 1904. Avec ses guerriers il continue la lutte et conquiert un accès à la mer dans la région de Bassora aux dépens des Turcs.

Durant la Première Guerre mondiale, il se met du côté des Anglais qui financent ses expéditions. Vainqueur des Hachémites, il s'empare de la Mecque en 1924 et en chasse le chérif Hussein. Six ans plus tard en 1930, Abd al Aziz Ibn Saoud prend le titre de roi d'Arabie Saoudite.

Au début de 1931, les premières rencontres sont organisées entre Abd al Aziz et des représentants de compagnies pétrolières américaines. Les compagnies britanniques tentent alors de contrer l'influence américaine en Arabie, mais elles échoueront car le 29 mai 1933, Abdullah Suleiman (ministre des finances d'Abd al Aziz) et Lloyd Hamilton (avocat de la Standard Oil of California) signent, pour 170.000 dollars, l'acte de concession qui donne à la compagnie américaine le droit exclusif de prospection en Arabie Saoudite.

Les immenses réserves de pétrole dans le sous-sol de l'Arabie permettront à la toute nouvelle dynastie des Saoud d'asseoir leur pouvoir absolutiste et théocratique. Elles donneront aussi aux Saoud les moyens de financer la propagande en faveur du wahhabisme qui est la doctrine officielle du régime. Le but avoué des Saoud est, en effet, d'imposer le wahhabisme à l'ensemble des nations musulmanes.

A la mort d'Abd al Aziz en 1953 son fils Saoud lui succède, mais le pouvoir lui est retiré par son frère Fayçal, à cause de ses tergiversations lors de la révolution yéménite ; Fayçal se fait proclamer roi le 1er novembre 1964 et dirigera le royaume jusqu'à son assassinat en 1975 par un homme déclaré dément. Ensuite Khaled, frère de Fayçal, accède au pouvoir mais sous le contrôle de son demi-frère, l'émir Fahd ben Abd al Aziz, qui ne tardera pas à renverser le souverain en titre. Aujourd'hui, c'est Abdallah, fils de Fahd, qui détient le pouvoir effectif.

Les Frères Musulmans et les « réformateurs du 20ième siècle »

Avec la formation de l'Arabie Saoudite les interprétations littérales du texte se répandent dans le monde musulman. C'est ainsi qu'en Egypte, l'école Hanbalite (la plus rigoriste des quatre école juridiques sunnites) refit surface avec l'accession au pouvoir des Saoud. Avant cela, on y enseignait essentiellement la doctrine d'Ibn Khaldoun, un théologien médiéval dont les thèses était aux antipodes de celles d'Ibn Taymiyya (théologien du 12ième siècle au moyen orient, connu pour ses positions tranchées sur l'orthodoxie islamique). Dans la même ligne , le grand mufti Mohamed Abdou avait adhéré à une vision pacifique et tolérante de l'islam. C'était un homme à l'esprit ouvert qui influença les dirigeants arabes de son temps, dont Nasser et les promoteurs du socialisme arabe. Abdou était favorable à une sorte de « despotisme éclairé » ouvrant la voie à des réformes résolument démocratiques.

C'est pourtant l'un de ses disciples qui sera tenté par la dérive intégriste, en s'inspirant notamment du wahhabisme saoudien. Il se nommait Rachid Rida et il sera l'un des promoteurs du mouvement improprement nommé « réformiste », celui qui prône la mondialisation du djihad et la restauration du califat. C'est ce qu'enseignent les « oulémas » wahhabites.

A la même époque en 1928, Hassan al Banna, personnage clé du mouvement des réformistes, l'association des Frères Musulmans sur le modèle d'une confrérie religieuse qui se transforma ensuite en parti politique. Il est à signaler qu'Al Banna avait suivi une éducation soufie qu'il n'avait pas pu achever sans doute parce qu'il fonda son propre parti. Et d'ailleurs il se désolidarisera « officiellement » des assassinats politiques commis par des Frères musulmans.

Ce n'est qu'à sa mort en 1949, que l'organisation des Frères musulmans va se radicaliser définitivement et entrer en conflit ouvert avec le nouveau régime, celui de Nasser (celui là même qui faisait partie des frères musulmans et dont l'accès au pouvoir était favorisé par les frères musulmans eux même). Elle se trouve un nouveau chef en la personne de Sayyed Qutb, un homme qui a fait une partie de ses études aux Etats-Unis et en Europe. Il se déclare « horrifié » par le racisme des Américains et par la « permissivité » des Européens. Jeté en prison en 1954, il en profite pour écrire son livre intitulé « A l'ombre du coran ». C'est aujourd'hui un « grand classique » de la littérature des extrémistes musulmans.

Dans les années 70, les saoudiens rééditeront (en y ajoutant leur conception) les innombrables fatwas d'Ibn Taymiyya. C'est un énorme recueil de décrets religieux totalement archaïques mais qui passent, aux yeux des intégristes musulmans, pour un monument du droit coranique, pour la véritable « jurisprudence islamique ». Et c'est sur des fatwas radicales (il suffit d'une divergence avec leurs idées) que repose le « takfir » des intégristes musulmans d'aujourd'hui, autrement dit l'anathème qu'ils s'autorisent à lancer contre tel ou tel dirigeant politique. Dès qu'un homme a été jugé « mauvais musulman », il est l'objet de l'anathème, il est déclaré apostat et, de ce fait, condamné à mort sans autre forme de jugement. Tout « bon musulman » est alors en droit de le tuer, certains diront même qu'il a le « devoir » d'appliquer la sentence s'il en a la possibilité.

Et l'on en revient au « droit de tuer » que s'arrogeaient les « Haschîchiyin » aux 11ème et 12ième siècles, alors que dans le Coran et la Sunna l'être humain est sacré ainsi que sa vie et ses biens. D'ailleurs selon le hadith du Prophète de l'Islam, paix et salut sur lui, « Quiconque traite son frère de mécréant, l'un d'eux sera mécréant ; si ce n'est pas l'accusé ce sera obligatoirement l'accusateur ».

Mounir el kadiri, théologien, lauriat de l'ecole Hassania (Maroc)