L'oracle du prénom arabe dans les quartiers de Marseille. par Yacine Chaib, sociologue
"Comment vous appelez-vous ? Moi, je n'appelle jamais. Je suis toujours là, je n'ai pas besoin de m'appeler. Mais les autres m'appellent Garance". Réplique de l'actrice Arletty dans le film "Les enfants du Paradis". Bon nombre d'enfants reçoivent leur prénom en France et c'est la première image de l'enfant aux yeux du monde. Sa seule évocation peut inspirer des émotions diverses chez les autres par des associations de pensée. Le prénom est à la fois sonorité, image et symbole. Il est important de le situer dans le contexte social pour mettre en valeur l'enfant afin qu'il soit fier de son prénom.

Le contexte social d'évocation du prénom arabe se caractérise par un déphasage de plus en plus flagrant avec le calendrier républicain et une forte visibilité de la seconde génération issue de l'immigration dans des quartiers urbains. En 1990, la fréquence d'utilisation des prénoms chez les garçons situe le prénom de Mohamed à la 28éme place. En 1995, cette même fréquence d'utilisation situe les premiers prénoms arabes Yanis et Mehdi en 13 et 14 éme place et une meilleure position pour Mohamed à la 22éme place. Les mêmes remarques pour les prénoms féminins : Sabrina (position 3), Myriam (position 10), Sonia (18).

L'acculturation des prénoms arabes en France a une forte dominante émotionnelle liée à l'influence des événements médiatiques (sport, fictions et politique). Le top en 2001 des prénoms qui commence à plaire regroupe plusieurs prénoms à consonance arabe : Zinedine (position 5), Zakaria (position 8), Oussama (position 10), Bilal (position 14). Pour les filles, c'est Lila, Nour et Chaima, Kenza, Nina, Sandra. (Besnard, 1995)

L'exclusion par les prénoms


Une exclusion par les prénoms est effective en fonction de la consonance du prénom. Une association Oracle de Marseille crée en 2000 a répertorié sur les arrondissements du 15éme (75 000 habitants) et 16éme (17 000 habitants) un échantillon de 12 000 personnes demandeurs d'emploi à l'agence ANPE de Bougainville. La répartition des prénoms sans doublons entre les garçons et les filles est de 3015 prénoms. Ces arrondissements sont marqués par un fort taux de chômage (36 % en 1996) caractérisé par une population jeune et de chef de familles de ménages étrangers.

Dans le recensement d'août 2000, 12 111 des demandeurs d'emploi de l'Agence Nationale Pour l'Emploi de Bougainville (soit les arrondissements du 15 é et 16 é arrondissement de Marseille) sont comptabilisés selon le critère d'entrée de leur prénom par l'association Oracle. La répartition entre les hommes et les femmes est de 5562 hommes avec 1628 prénoms sans doublons et 6549 avec 1660 prénoms sans doublons.

Le regroupement par consonance des prénoms place les groupes orthographiques de Mohamed et de Fatima en tête des seconds patronymes des chômeurs sur ces arrondissements. La discrimination résidentielle par le lieu d'habitation n'est pas spécifique aux habitants de ces territoires. C'est la question ethnique au coeur de la gestion du calendrier républicain et la mouvance favorable de la promotion des prénoms arabes qui initie à partir des prénoms des cercles géographiques d'aire culturelle.

En effet, c'est brusquement que la foule de prénoms " maghrébins " en France est devenue visible. Elle est le personnage principal dans certains quartiers. Avant même de se demander si l'avènement de cette masse de gens s'est réalisé dans une promotion sociale, il faut reconnaître que c'est là le fait le plus important de la vie quotidienne en France.

Pour cela, il faudrait revenir à la réalité radicale qu'est la vie de chacun pour lui-même. Etre Arabe en France, c'est la coexistence des peines et des joies de la vie qui se partage en coexistence interindividuelle et coexistence collective. Le prénom arabe vit plus, tel est le trait que l'on enregistre dans les diminutifs des prénoms arabes.

La coexistence interindividuelle est une première transcendance par rapport à la vie anonyme de l'Arabe en France. Les formes d'interaction avec " l'homme-masse " du groupe orthographique des " Mohamed " sont des affirmations de la diversité des marquages identitaires du prénom arabe en France.

Un " Mohamed " peut en cacher un autre et réciproquement pour la prononciation en arabe. L'irritation des enfants est grande en milieu scolaire lorsque leur prénom en arabe est prononcé avec les gutturales de la langue arabe. En effet, dans la transmission d'un pays à un autre, les gens venus de l'étranger ont transformé leur prénom en prénom francisé.

Et toute forme de transmission acceptée par le groupe familial ou le groupe social introduit cette question même de la fonction du prénom comme localisant la mémoire de quelqu'un. En effet, cette vie interindividuelle trouve également un troisième personnage, la vie anonyme, strictement collective qui enveloppe les individus et exerce sur eux des pressions que symbolise notamment le culte des saints dans le calendrier républicain.
La façon de nommer un enfant varie d'une langue, d'une culture à l'autre, porteuse des traditions familiales et sociales d'un peuple. Selon le pays et l'époque, on choisira l'invocation des éléments naturels, la protection d'un saint, l'allusion à un personnage célèbre, réel ou fictif. Mais si le nom de famille est le destin, le prénom est le parchemin du parcours de vie. Pour cela, il faudrait restaurer le statut du prénom au niveau des représentations sociales. Nommer quelqu'un par le prénom introduit en tout cas une liaison et une résonance brève et conquérante ou au contraire connotée.

Pour notre part, tous les fantasmes que suscite le choix du prénom et son portage social provient de la structure imaginaire attachée à leur épanouissement ou bien à leur intimité clandestine. L'utilisation du prénom d'une façon fréquente dans le social est un costume déjà taillé par la ritournelle de culte des saints dans le calendrier, un habit derrière lequel le sujet ne peut dissimuler son propre prénom pour préserver l'anonymat.

En effet, les discriminations des jeunes d'origines étrangères dans l'accès à l'emploi et à l'accès au logement révèlent que les prénoms de ces jeunes deviennent des cristallisations phonétiques et ils sont porteurs d'un sens particulier que le stock de prénoms, de sons que représentent les " fleurs des saints " est un lourd poids sur le désir des employeurs.

Le calendrier de la fête à souhaiter vient localiser la mémoire singulière des prénoms exclus par rapport au groupe baptisé. La blessure symbolique va s'inscrire à l'échelle d'un recensement territorial. " Prenez les CV qui ont les mauvais prénoms et finissent en premier dans la poubelle " (Le Monde du 30 août 2003), il est vrai qu'il est difficile de prendre le risque de la différence et de la compétence en même temps.

A cette consultation des oracles économiques, porteurs de la parole de la Loi du Marché, il y a l'oracle associatif comme, l'association Oracle à Marseille, porteur sur le terrain d'une sensibilisation contre les discriminations. Le sigle de l'association est ORACLEI : Opérateurs des Réseaux et des Actions Citoyennes Locales Liées à L'emploi et à l'Insertion qui nous a permis de soulever le voile du prénom arabe en France. En effet, il serait inimaginable de concevoir le prénom comme un monologue.