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Catégorie : Dossier
Les violences urbaines sont les symptômes de dysfonctionnements de la société qui, pour leur part, sont connus, chiffres et statistiques à l’appui. Pourquoi, dès lors, continuer à vouloir chercher l’origine de ces problèmes à des endroits où ils n’existent pas ? Et si les violences urbaines qui ont secoué la France étaient des symptômes violents des dysfonctionnements majeurs de la société française et des nouvelles dynamiques qui la traversent ? L’économie française peine à retrouver un rythme de croissance susceptible d’absorber la main-d’œuvre disponible dans les banlieues. Le traitement social du chômage, depuis trois décennies, a montré ses limites. La population des banlieues issue de l’immigration subit les conséquences de la situation économique dans des proportions plus dramatiques (un taux de chômage de 30 % contre une moyenne nationale de 10 %). La discrimination à l’embauche rend la situation plus insoutenable, notamment pour les jeunes ayant eu un parcours scolaire « honorable ». Le discours sur l’intégration se retrouve alors disqualifié. Quand le nom et l’origine ethnique sont érigés en critères de sélection par les employeurs, la méritocratie, mythe fondateur de la République, en prend un coup. Le pacte social aussi. Ses effets sur les plus jeunes sont dévastateurs. Quand le père est chômeur depuis dix ans, son image devient un contre-modèle entraînant une perte d’autorité. Lorsque le frère aîné qui a fait des études, censé servir de modèle aux plus jeunes, ne parvient pas à s’insérer économiquement, les repères sont brouillés pour les cadets. Le déclin du travail comme valeur sociale, la crise de la famille, deux phénomènes en progression dans la société globale, prennent une dimension encore plus dévastatrice pour ces populations qui vivent dans les cités.
Les grandes institutions qui ont façonné la société française sont en crise. L’Etat, la famille, l’Eglise, l’école, les syndicats, les partis politiques ont de moins en moins prise sur la société. Ces défaillances prennent une forme particulièrement grave dans les banlieues défavorisées. La famille déstructurée a du mal à remplir ses fonctions. L’Etat y est contesté dans ses modes de gestion et non en tant que tel. Contrairement à ce qui se dit, la banlieue n’est pas une zone de dissidence. L’école comme institution éducative et fabrique de citoyens est en décalage par rapport à l’univers mental et culturel de beaucoup de jeunes de par ses méthodes pédagogiques. L’école produit un discours civique qui s’oppose à la réalité de ces jeunes : déficit de représentativité politique, non visibilité dans le champ médiatique, etc. Interrogés par des journalistes, certains jeunes expriment des revendications d’un réalisme désarmant. Citons indistinctement des formules qui expriment à la fois des demandes politiques légitimes et une soif de reconnaissance : « Nous voulons des responsables qui tiennent leurs promesses. Nous voulons notre part du gâteau, nous voulons être respectés et reconnus. Nous voulons vivre dignement, nous voulons être traités comme les autres citoyens …» N’est-ce pas là ce que revendiquent d’autre catégories de la population française en recourant à des méthodes différentes ?
Les événements ont le mérite de réhabiliter les débats publics sur des questions fondamentales. Profondément choqués par cette violence, les Français cherchent néanmoins à en comprendre les raisons. La classe politique semble désemparée face à une forme de contestation inédite : absence d’interlocuteurs et de revendications explicites, mode de contestation violent et chaotique qui échappe aux catégories politiques traditionnelles. Les rivalités politiques et électorales conduisent à des surenchères verbales qui traduisent, une fois de plus, le caractère simplificateur du discours politique et son incapacité à prendre en charge la complexité du monde dans lequel nous vivons, banlieue comprise. Certains commentateurs cultivent l’affrontement intercommunautaire en faisant appel à des symboles dont la seule ambition est de pousser à la politique du pire. Le recours à des formules telles que « Intifada des banlieues », « complot islamiste » ou encore « deuxième guerre d’Algérie » fausse le diagnostic et relève de la dénégation et de la stigmatisation qui fragilisent un peu plus un contrat social qui a pourtant assez à faire dans l’état.