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Catégorie : Dossier
Par Naouel Amar

L'AFIJ1, Association nationale qui a pour but de Faciliter l'Insertion professionnelle des Jeunes issus de l'enseignement supérieur (bac+1 à doctorat), mène depuis 1997 une réflexion sur les publics susceptibles de rencontrer des difficultés d'accès à l'emploi. A partir du constat de terrain, elle s'est aperçue qu'une certaine catégorie de jeunes rencontraient des obstacles plus prononcés dans leur recherche d'emploi : les jeunes femmes issues de l'immigration.
Pour valider ce postulat, elle a réalisé un diagnostic avec le soutien du Fonds d'Action et de Soutien à l'intégration et à la lutte contre les discriminations (FAS) et du Service des Droits des Femmes et de l'Egalité (SDFE) à partir d'un panel de 1 341 jeunes inscrits sur une douzaine de sites AFIJ en France (dont 429 jeunes femmes issues de l'immigration).

Qui sont ces jeunes femmes issues de l’immigration accueillies à l’AFIJ ?


Elles sont d'origines diverses et variées…

Les femmes d'origine maghrébine2 sont majoritaires (même constat chez les jeunes gens issus de l'immigration). Parmi les jeunes issus de l'immigration, l'AFIJ a également souhaité prendre en compte les jeunes originaires des départements et territoires d'Outre-mer dans la mesure où certains d'entre eux avaient été victimes de discrimination à l'embauche en raison de leur apparence physique.
Il faut savoir que plus de trois quarts des jeunes femmes issues de l'immigration sont françaises et on trouve surtout une forte proportion de femmes maghrébines ayant la nationalité française (88%). Cependant, la moitié des jeunes femmes d'origine asiatique et d'origine africaine sont étrangères.
Un autre constat mérite une attention particulière : une part non négligeable des jeunes femmes issues de l'immigration est née sur un territoire étranger (41%).
Un témoignage d'une jeune femme algérienne vient montrer qu'elle se sent plus française - malgré sa nationalité étrangère et bien qu'elle soit née à l'étranger - car, elle est venue en France à l'âge d'un an.

A diplôme égal, elles sont plus jeunes que les hommes, mais plus âgées
que les autres femmes…


Même si l'âge moyen des femmes issues de l'immigration en recherche d'emploi est assez élevé (25 ans), elles sont beaucoup plus jeunes que les hommes : alors que 46% des hommes accueillis ont moins de 26 ans, elles sont nettement plus nombreuses dans cette classe d'âges (57%). En revanche, elles sont plus âgées que les autres femmes (il existe un écart de 5 points parmi les femmes âgées de 29 ans et plus).

Elles rencontrent plus de difficultés financières…

Une forte proportion d'entre elles déclare n'avoir aucune ressource financière (67% contre 61% des autres échantillons de la population étudiée).
Elles ont plus tendance à avoir recours aux transports en commun, car elles n'ont pas les moyens financiers d'avoir un véhicule (53% déclarent avoir un véhicule personnel contre 78% des autres jeunes femmes, et contre 75% des hommes), ni les moyens de se financer un permis de conduire (72% ont le permis contre 88% des autres femmes et 81% des hommes).
Ces difficultés financières ont des répercussions fâcheuses sur la mobilité : 37% d'entre elles ne sont pas mobiles contre 32% des autres femmes et 17% des hommes.
Etant donné que l'on note une part plus importante chez les femmes issues de l'immigration à bénéficier de l'Allocation Unique Dégressive, une réflexion nous amène à supposer qu'il existe une forte volonté chez ces jeunes femmes à s'assumer financièrement.

Elles sont plus présentes dans les filières courtes…

Alors que moins de 30% des autres femmes ont un niveau bac+2, les femmes issues de l'immigration sont près de la moitié à avoir ce niveau d'études (45%). Cet écart se retrouve au niveau bac+5 où les autres femmes sont beaucoup plus présentes. Plusieurs questionnements se posent : serait-ce lié au fait que les jeunes femmes issues de l'immigration n'ont pas les moyens financiers de poursuivre leurs études ? Ou serait-ce dû à leur volonté de s'assumer financièrement ?
Il faut noter tout de même une forte proportion de jeunes femmes issues de l'immigration en échec au premier cycle universitaire (écart de plus de 5 points entre ces échantillons féminins). Et il faut savoir que quel que soit le niveau d'études (hors niveaux du troisième cycle universitaire), les jeunes femmes issues de l'immigration sont plus nombreuses que les autres femmes à ne pas valider leur diplôme.

Les résultats de leur accès à l'emploi

Il est opportun de préciser que les taux d'accès à l'emploi obtenus à l'issue de l'accompagnement individualisé de ces jeunes à l'AFIJ sont supérieurs. Cela s'explique par le travail de relance et de suivi par les chargés de mission insertion de l'AFIJ. En effet, plus de 50% des jeunes intégrés dans ce dispositif ont obtenu un emploi dont la durée est supérieure ou égale à 4 mois.
En revanche, les jeunes femmes issues de l'immigration3 sont moins en emploi que les autres jeunes femmes (54% contre 57%) ; elles ont un même taux d'accès à l'emploi que les hommes, mais leur situation est-elle semblable à celle des hommes ?

Elles obtiennent plus souvent des contrats précaires...

Alors que plus de la moitié des hommes (53%) obtiennent un contrat à durée indéterminée, elles ne sont que 30% à avoir ce type de contrats (45% des autres femmes ont un CDI) : ces jeunes femmes issues de l'immigration obtiennent surtout des contrats à durée déterminée (45% contre 34% des autres femmes et 29% des hommes). De plus, elle sont plus nombreuses à avoir des contrats de très courte durée (de 4 à 5 mois).
Elles sont aussi plus concernées que les autres échantillons du panel étudié par des contrats spéciaux (CES, CIE, …) et des contrats en alternance.

Elles sont moins bien rémunérées...

Alors que près de la moitié des hommes (48%) touchent un salaire strictement inférieur à 8 500 francs bruts, trois quarts des femmes sont dans ce cas et les femmes issues de l'immigration sont nettement plus concernées (78% contre 72%).
Il faut noter que la moitié des femmes issues de l'immigration en emploi ont obtenu un poste rémunéré au SMIC (contre 34% des autres femmes et 18% des hommes).

Elles n'obtiennent pas un poste correspondant à leurs attentes...

Elles sont plus nombreuses à déclarer que leur poste est en inadéquation totale avec leur dernier diplôme et leur projet (23% contre 18% des autres femmes et 12% des hommes).

Elles atteignent moins souvent des postes à responsabilité...

Pour celles qui ont un niveau d'études supérieur au bac+3, aucune femme issue de l'immigration n'a obtenu un poste au statut cadre (contre 38% des autres femmes et 47% des hommes). Néanmoins, il existe une part non négligeable de jeunes femmes issues de l'immigration ayant obtenu un poste à responsabilité, mais elles restent minoritaires par rapport aux autres échantillons (20% contre 62% des autres femmes et 74% des hommes).

Quelques pistes sur la nature des freins à leur insertion professionnelle

Les résultats d'accès à l'emploi ont, certes, prouvé les difficultés plus prononcées pour les femmes et notamment pour celles qui sont issues de l'immigration. Mais, il faut savoir qu'une bonne partie des freins rencontrés existent de manière générale et ne sont pas directement liés à la discrimination raciale et sexiste. Une réflexion a donc été menée et quelques témoignages des jeunes femmes issues de l'immigration sont venus illustrer ces difficultés.


Etre d'une certaine origine étrangère peut influer l'accès à l'emploi...

Les jeunes femmes d'origine asiatique sont celles qui s'insèrent le mieux sur le marché du travail (79% d'entre elles sont en emploi) par rapport aux autres jeunes femmes issues de l'immigration.
En revanche, les jeunes femmes originaires des DOM TOM sont celles qui rencontrent le plus de difficultés d'insertion professionnelle (42% en emploi) ; arrivent ensuite les jeunes femmes d'origine africaine (50% en emploi) et enfin les jeunes femmes d'origine maghrébine (52% en emploi).
Pour les hommes, la tendance est différente : les jeunes gens originaires des DOM TOM ont un même taux d'accès à l'emploi que ceux d'origine asiatique (67%). Les jeunes hommes d'origine africaine (38% en emploi) et ceux d'origine maghrébine (39% en emploi) rencontrent plus de difficultés d'insertion.
Il semblerait donc que la couleur de peau n'est pas le premier frein à l'insertion professionnelle chez les jeunes de l'enseignement supérieur. Néanmoins, la nationalité reste un critère fondamental. Les jeunes qui ont la nationalité française ont un meilleur taux d'accès à l'emploi, mais les jeunes femmes d'origine africaine et les jeunes hommes d'origine maghrébine sont ceux qui rencontrent le plus de difficultés d'accès à l'emploi même en ayant la nationalité française.

Ne pas avoir la nationalité française est un frein évident...

Les jeunes femmes issues de l'immigration qui n'ont pas la nationalité française rencontrent des difficultés plus prononcées pour accéder à un poste : 45% d'entre elles sont en emploi contre 56% de femmes de nationalité française issues de l'immigration (cet écart est beaucoup plus important chez les jeunes hommes issus de l'immigration). Il n'est pas anodin de rappeler la lourdeur des démarches administratives pour l'accès d'un étranger à un poste en France.

Etre née sur un territoire étranger peut être un obstacle

Force est de constater que, parmi les jeunes femmes issues de l'immigration, celles qui sont nées à l'étranger sont moins en emploi que celles nées sur le territoire français (47% en emploi contre 58%). Cela se confirme également pour les jeunes hommes issus de l'immigration (avec le même écart).

Etre issue d'une filière universitaire généraliste pose des problèmes majeurs...

Celles qui ont suivi des études universitaires, et surtout des études de second cycle, rencontrent des problèmes de finalisation de projet professionnel et donc des problèmes d'accès à l'emploi. Cela est souvent dû au manque de technicité dans ces filières généralistes, au manque de stages professionnels, au manque de pré-requis tels que la maîtrise d'une langue étrangère ou la maîtrise d'outils informatiques.

Etre allocataire du RMI limite les possibilités d'accès à l'emploi...

Les jeunes femmes issues de l'immigration Rmistes (39%) ont un taux d'accès à l'emploi qui est plus faible que celui des autres femmes Rmistes (57%) et que celui des hommes Rmistes (45%).
En revanche, les personnes allocataires de l'allocation unique dégressive ont un meilleur taux d'accès à l'emploi qu'elles soient issues de l'immigration ou non, et quel que soit le sexe.

D'autres freins plus subjectifs viennent s'ajouter aux autres...
En plus des freins matériels, certaines femmes issues de l'immigration ont tendance à mettre en premier plan leur origine comme étant l'élément explicatif de leurs échecs dans la recherche d'emploi.

Naouel AMAR
Responsable de projet AFIJ


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2 - Il est préférable d'être prudent quant à l'origine attribuée dans la mesure où le personnel AFIJ chargé de l'accompagnement individuel n'avait pas tout le temps les moyens de vérifier si le jeune était d'origine maghrébine ou arabe (lorsque le jeune annonçait son origine libanaise ou égyptienne ou autre, le chargé de mission le comptabilisait dans la catégorie « Autres »)
3 - Pour éviter toute interprétation liée à la nationalité, les résultats ne concernent que les jeunes de nationalité française

Ce diagnostic a concerné un panel de 1341 jeunes issus de l'enseignement supérieur (ayant validé au moins une première année universitaire) :
÷ ils ont été reçus à l'AFIJ entre juin 1999 et juin 2000
÷ ils proviennent d'Avignon, Bourges, Grenoble, Lyon, Marseille, Nice, Nîmes, Perpignan, Strasbourg, Toulon, Toulouse et Tours
Après le travail de relance par les chargés de mission insertion de l'AFIJ, les résultats d'insertion professionnelle ont été affinés par les retours du questionnaire adressé à près de 700 jeunes déclarés en recherche d'emploi. Ces résultats ont pu être traités à la fin du mois d'octobre 2000.


Répartition des jeunes issus de l'immigration en emploi (hors étrangers)

Origines Genre Femmes Hommes

Afrique 63 % 73 %
Asie 100 % 78 %
DOM TOM 71 % 100 %
Maghreb 74 % 68 %