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Catégorie : Dossier
Les émeutes qui ont éclaté il y a peu dans les banlieues françaises ont mis en exergue une série de problèmes auxquels se retrouve confrontée la société française. Pour autant, le gouvernement donne l’impression de ne pas toujours vouloir saisir les réels déficits auxquels il lui appartient de s’atteler au plus vite. La flambée de violence dans les banlieues des villes françaises, qui s’est propagée dans d’autres villes européennes, fait écho aux incidents meurtriers qui ont émaillé l’afflux important d’émigrants subsahariens aux portes des présides de Ceuta et Melilla au nord du Maroc. Situation paradoxale que celle de ces émigrants de la banlieue du monde et de ces enfants d’immigrés dans les banlieues des grandes villes de France. Les uns sont victimes et acteurs de la violence pour l’accès à l’Europe. Les autres en sont les acteurs et les sujets à cause d’un mal de vivre accumulé au fils des décennies. Mais le paradoxe n’est qu’apparent. En réalité, les deux problématiques ont un même titre générique, qui dans le cas des cités en France prend des proportions gigantesques : l’abandon. Abandon idéologique, politique, économique, social, emballé dans une image calamiteuse qui démultiplie les distances entre les cités et le reste de la société française.
Pourtant, le véritable paradoxe réside ailleurs. Obnubilés par la consolidation de la forteresse aux frontières de l’Union, les pouvoirs publics européens ont oublié que de multiples murs se sont érigé à l’intérieur même des pays, autour des larges zones de l’abandon que sont les banlieues de leurs grandes villes. Et dans le cas français, en particulier, ces murailles sont encore plus inacceptables que dans les autres, à cause justement de ce fameux modèle d’intégration à la française qui ne peut intégrer ce paysage des tribus urbaines sur lequel se sont appuyé ses homologues britanniques ou américains. L’universalité des valeurs fondatrices de la République, fille aînée des Lumières, s’arrange mal avec la construction de la citoyenneté bariolée et additionnelle des particularismes identitaires, surtout quand ces derniers se présentent sous la forme de crise d’une identité qui dans les pays d’origine même, a maille à partir avec le monde moderne et sa propre histoire. Une identité qui souffre de la violence de la confrontation actuellement tragique entre ce monde et cette histoire. Le modèle de l’intégration à la française est obsolète. Est-ce une raison pour accepter l’installation d’un clone de ce modèle des tribus urbaines que connaissent les métropoles américaines, lequel modèle est d’ailleurs aussi en crise ? Assurément non, surtout avec l’accumulation des crises liées à l’absence de réponses aux maux sociaux (le chômage qui atteint chez les habitants des cités des niveaux supérieurs aux autres catégories de citoyens, des perspectives d’ascension sociale quasiment nulles, le racisme, etc.) et à l’incapacité des pouvoirs publics à définir et à identifier les enfants des immigrés des cités qui sont nés Français. Sans parler d’autres problèmes qui ne sont pas spécifiques aux immigrés mais qui sont ressentis de manière plus dure par cette catégorie.
Les effets de cet abandon de la banlieue et de cette incapacité du creuset de la République à s’adapter à l’évolution de la situation et son aggravation ont été compliqués par le message envoyé par ce qui a été pris, à tort ou à raison, pour une concession octroyée par les autorités de la République sur l’essentiel de ce qui en fonde l’essence, la laïcité. Une sorte de simulacre de renégociation du pacte fondateur de la Nation, qui n’était en réalité que manœuvres de politiciens dont les habitants des banlieues, notamment les immigrés, ne sont que les instruments. C’est en tout cas de cette manière que le perçoivent de nombreux habitants des cités. Une situation que l’on pourrait qualifier de cynique si les violences urbaines étaient une « opportunité » pour réduire le flux de candidats à l’immigration clandestine. Mais, même sur ce plan, la situation n’apporte rien de positive. La visibilité des mauvaises conditions de vie des immigrés installés depuis des décennies sur le sol européen ne sert même pas de repoussoir aux émigrants, et encore moins aux trafiquants d’êtres humains. Et c’est probablement là l’autre volet de la problématique de l’intégration des habitants des banlieues, auquel les pouvoirs publics européens mais aussi leurs partenaires des pays d’origine des migrants doivent trouver une solution.