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Catégorie : Dossier
La présence des musulmans du sous-continent indien aux Etats-Unis remonte au tout début du XXe siècle. Elle s’inscrit dans le cadre de l’immigration des "Punjabi" vers la côte ouest de l’Amérique. Située au Nord-Ouest de l’Inde, avant la Partition de 1947, la région du Punjab est aujourd’hui divisée entre l’Inde et le Pakistan. Cette immigration comprenait 8 à 10% de musulmans et était essentiellement économique. La majorité d’entre eux était de jeunes paysans illettrés et célibataires. L’accueil réservé aux Indiens (pourtant à peine 6000 en 1917) par les Américains fut des plus hostiles, en particulier dans les milieux de l’industrie, où les ouvriers blancs luttaient pour l’amélioration de leurs conditions de travail. L’arrivée des Indiens ne fit qu’accroître la tension à l’égard des Asiatiques, accusés de pratiquer une concurrence déloyale en acceptant des bas salaires. En 1917, une loi mit un terme à cette immigration. Entre 1917 et 1924, ils furent exclus non seulement de l’immigration mais également du processus de naturalisation et du droit à la possession de la terre.

Un certain nombre d’Indiens, dont des musulmans, demeurèrent cependant aux Etats-Unis. Dans l’impossibilité de regagner l’Inde pour se marier, au risque de se voir interdire au retour l’accès aux Etats-Unis, certains cherchèrent une épouse sur place. La majorité épousa des Hispaniques, le mariage avec des femmes blanches étant en principe interdit. Ces mariages entraînèrent une distanciation par rapport à la culture punjabi et islamique ; même si apparemment personne ne se convertit au christianisme, pas plus que les femmes hispaniques, à quelques exceptions près, ne se convertirent à l’islam. Dans deux domaines seulement les musulmans punjabi respectèrent leurs traditions : l’enterrement et la nourriture. Ils apprenaient à leur épouse les rudiments de la cuisine punjabi et surtout interdisaient toute consommation de porc à la maison. Certains achetaient de la viande casher chez les commerçants juifs. En revanche, la plupart buvaient de l’alcool. Ils manifestaient aussi la volonté d’être enterrés selon la tradition islamique. Aujourd’hui encore, on trouve dans la région de Sacramento des tombes de musulmans punjabi portant des inscriptions en ourdou. D’après des témoignages de descendants, les pionniers musulmans n’observaient pas les prières quotidiennes, ni le jeûne du mois de Ramadan. Malgré tout, les familles se réunissaient pour célébrer l’aïd. Une association islamique fut créée en 1920 à Sacramento, dont la fonction principale consistait en la célébration des fêtes musulmanes. L’expérience migratoire des premiers musulmans indiens aux Etats-Unis fut donc marquée globalement par une relative acculturation.

Qu’en est-il des musulmans indo-pakistanais d’aujourd’hui ? Les musulmans du sous-continent indien ont commencé à affluer aux Etats-Unis de façon significative à partir de 1965 (date de libéralisation de la politique américaine en matière d’immigration). Depuis, leur progression n’a pas cessé. On estime aujourd’hui cette population à près de 750 000 personnes (dont 150000 musulmans indiens, 500 000 Pakistanais et 100 000 Bangladeshis). Comme la plupart des minorités ethniques récentes, ils se concentrent essentiellement dans les Etats suivants : Californie, New York, New Jersey, Illinois et Texas. La politique américaine a favorisé dans les années 1960 et 1970 l’immigration de populations hautement qualifiées. La majorité des Indo-Pakistanais s’illustrent par des niveaux élevés d’instruction et de réussite économique, qui en font l’une des minorités les plus prospères des Etats-Unis. Ils offrent l’exemple d’une population qui a réussi son intégration structurelle.

Mais ils sont loin de ressembler à leurs pairs acculturés de la première moitié du XXè siècle. Nombre d’ entre eux confèrent à l’islam une place primordiale dans leur construction identitaire. Fortement attachés à leur héritage ethnique, les musulmans indo-pakistanais de la première comme de la deuxième génération contractent plus volontiers, pour l’heure, des alliances maritales endogames. Leur niveau élevé d’éducation constitue un atout de taille dans la perpétuation de leur religion, relativement respectée par les Américains (plus en tout cas que celle des populations défavorisées). Il permet en outre de se conformer à certaines lois islamiques, présentées par certains comme devant être replacées dans leur contexte et, donc difficilement applicables dans une société moderne et laïque (divorce par talâq, polygamie, garde de l’enfant confiée au père...). Ce niveau d’instruction, associé à des revenus très élevés, crée des conditions favorables à une organisation efficace et à la mise en place d’institutions.

Les Indo-Pakistanais se sont montrés particulièrement actifs dans l’organisation de la communauté islamique aux Etats-Unis. Les Pakistanais, parce que la religion islamique constitue la raison d’être de leur pays d’origine, les musulmans indiens parce qu’ils sont habitués à négocier un espace et une légitimité dans un pays non-musulman. Nombre d’institutions islamiques ont été créées sur leur initiative. Ainsi, en 1981, l’Islamic Society of North America (ISNA), l’une des plus importantes, dont le premier président fut un Pakistanais, Ilyas Ba-Yunus. L’autre grande association islamique, l’Islamic Circle of North America (ICNA), rivale en quelque sorte de l’ISNA, bien que jouissant d’une audience plus limitée, est entièrement dominée par les Indo-Pakistanais. La Tablighi Jama’at, également dominée par les musulmans du sous-continent, rencontre un succès très limité auprès de sa propre communauté, mais se montre très active en matière de prosélytisme, et attire des Afro-Américains et des Hispaniques.

Constituant une sorte de microcosme de l’islam dans le sous-continent, les musulmans indo-pakistanais forment un bloc homogène traversé par des courants sectaires et idéologiques multiples. Leurs rapports avec les autres musulmans (Arabes notamment) sont assez complexes : chaque groupe tend aujourd’hui encore à établir des institutions par affiliation ethnique. Toutefois, les musulmans d’origine diverse qui fréquentent régulièrement les mosquées sont amenés à se rencontrer, voire à travailler ensemble dans les conseils d’administration des mosquées, à se mobiliser parfois conjointement contre la discrimination, ou face à des événements de politique étrangère (la Guerre en Bosnie par exemple).

Au total, en dépit des stéréotypes accolés à l’islam aux Etats-Unis (aussi forts qu’en France), la religion islamique joue pour la plupart des musulmans indo-pakistanais un rôle stabilisateur, à l’égal d’autres religions minoritaires comme le catholicisme ou le judaïsme, et n’entrave pas leur intégration.