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Catégorie : Dossier
Faire le Pèlerinage, le hadj ou hajj, est la cinquième obligation de l’islam, elle doit se faire une fois dans la vie pour tout musulman ayant les moyens. De nombreux pèlerins s’efforcent de le réaliser car il est considéré comme un acte de purification de tous les pêchés : « on devient si comme si on venait de naître ». C’est une deuxième naissance spirituelle dans la vie du musulman. Les lieux du pèlerinage sont des lieux où les invocations sincères sont exhaussées, selon la tradition musulmane. Le pèlerinage est une occasion de purification et également une occasion de rencontre. Quand il travaille, le pèlerin s’arrange pour que son congé coïncide avec le mois du hadj, 12ème et 1er mois de l’année lunaire musulmane. Avant d’arriver à la Mecque, il doit choisir son agence de voyage qui se chargera de toutes les procédures administratives : visas, réservation du vol, du logement et des déplacements sur place, et selon sa volonté il pourra suivre des stages de formation sur le rituel du pèlerinage, organisés par quelques mosquées. Il aura à sa disposition également de nombreuses brochures ou documents audiovisuels l’initiant au rituel du hadj.

Plus de 21 000 hujajj sont partis de France cette année, parmi lesquels plus de 8000 de nationalité française pour accomplir le pèlerinage. Les pèlerins sont de plus en plus jeunes, alors que jusqu’à ces dernières années les pèlerins étaient essentiellement des personnes agées . Les femmes de moins de 50 ans doivent être accompagnées d’un mahram : l’époux ou un proche de la première lignée ; des dérogations sont accordées pour les femmes de plus de 50 ans qui peuvent être autorisées si elles accompagnent une famille. Les déplacements et les séjours sont organisés par des agences de voyages ou des associations vouées à l’organisation de ce voyage particulier, comme la loi le permet. Le pèlerinage ne se fait pas sans difficultés. Ils sont rares les pèlerins satisfaits des conditions de voyages et du séjour dans les lieux saints de l’islam. Afin d’améliorer les conditions du pèlerinage, le Conseil Français du Culte Musulman réfléchit depuis sa création, à un système, une « mission » qui permettrait d’améliorer et de réguler ce voyage particulier, en particulier en étant le défenseur des consommateurs musulmans auprès des professionnels et en étant un intermédiaire, tant auprès de autorités françaises qu’auprès des autorités saoudiennes . Mais en a-t-il les moyens.

1 La réglementation saoudienne


Les autorités saoudiennes distinguent entre deux types de pèlerinage : celui qui se fait dans le cadre des missions officielles et celui exercé en dehors de ces missions, qui est appelé pèlerinage individuel. Dans les pays musulmans, le pèlerinage est organisé en grande partie dans le cadre des missions officielles, les quotas sont déterminés pour chaque pays en rapport avec sa population. Dans le cas où il n’y a pas d’accord avec le pays du pèlerin, le voyage est libre et entre, pour les autorités saoudienne, dans le cadre des pèlerins individuels. C’est toujours le cas de la France, mais pas le cas des Etats Unis et de la Grande Bretagne qui possèdent leur propre mission, qui ne fonctionne pas selon les mêmes critères que celle des pays musulmans, en particulier en matière de quotas. Toutefois il semblerait que le nombre de pèlerins venant de l’occident non musulman augmente de manière exponentielle et obligerait alors à imposer également des quotas pour ces pays.

Des règles très strictes ont été établies pour le déplacement et le séjour des pèlerins. Le futur pèlerin doit faire appel à une agence de voyage ou une association . Ces autorisations émanent des autorités compétentes de son pays, du ministère des affaires étrangères et des services consulaires saoudiens.
L’opérateur de voyage doit avoir les capacités matérielles pour financer toute la campagne qu’il projette de réaliser. Systématiquement des cautions sont demandées. Il doit avoir les moyens informatiques lui permettant d’introduire les différents renseignements demandés sur le pèlerin. En ArabieSsaoudite l’organisation du séjour est pilotée par l’institution de la Tawafa, les pays sont regroupés par secteurs et pour chaque secteur un moutawwif (guide –accompagnateur) est désigné. Il n’est pas permis à l’organisateur du voyage de contracter ou de fournir des services en dehors du secteur qui lui est réservé : pour les Français c’est le secteur « pèlerins de Turquie, de l’Europe et des Amériques ».
L’organisateur du voyage doit fonctionner entre un minimum de 50 pèlerins et un maximum de 600. Pour un nombre supérieur, une demande doit être adressée au ministère du hajj saoudien qui décide d’accepter ou non.
Si le nombre de pèlerins dépasse 200, l’organisateur doit désigner un accompagnateur pour chaque centaine, il doit également présenter aux services consulaires le contrat qu’il a réalisé avec le transporteur ou un avis de réservation ferme d’une compagnie aérienne. Les contrats de location des logements doivent être accrédités par le ministère du hajj. Les contrats avec les hôtels se font au sein des départements du ministère du commerce et de l’industrie à la Mecque et à Médine.
Les demandes de visas doivent s’effectuer avant mi-Ramadan (9ème mois, environ 2 mois avant la date du pèlerinage)

Une fois que l’opérateur a toutes les autorisations pour l’organisation du pèlerinage il doit demander un visa à plusieurs entrées, afin qu’il puisse finaliser les contrats sur place. Les démarches s’effectuant entre le mois de rajab (8ème mois) et le mois de chawal (10ème mois).

Les opérateurs ont l’obligation d’établir des contrats individuels avec chaque pèlerin, ils définissent les conditions du voyage : nourriture, déplacement, hôtellerie. Une copie du contrat doit être remise au pèlerin. C’est une condition souvent non respectée par les agences de voyages, d’où les nombreuses protestations. Le non-respect des conditions de l’organisation du pèlerinage est sanctionné très lourdement par les autorités saoudiennes : il entraîne en premier lieu une interdiction d’organisation du pèlerinage.

2 Les opérateurs français


La plupart des agences de voyages communautaires ont été créées pour satisfaire la demande du pèlerinage. La grande partie du chiffre d’affaires de ces agences se fait pendant la période du hajj. En dehors de la saison des pèlerinages, les activités sont destinées aux pays d’origine.

Différents moyens sont utilisés pour prospecter les futurs pèlerins : des tracts, des annonces dans les radios et télévisions communautaires, des prospecteurs au sein des mosquées et des associations culturelles. De nouveaux VRP spécialisés dans le pèlerinage ont émergé : ce sont les « imams rabatteurs », pour qui la saison du hajj est le moment d’une activité fort lucrative . Certains de ces VRP peuvent avoir des commissions, payées par les agences de voyages, allant jusqu'à 200 euros par pèlerin.

Les agences pratiquent des prix très bas, mais en contrepartie on constate que les avions font plusieurs escales avant d’arriver à destination. En effet, peu de compagnies pratiquent des vols directs vers Djeddah. L’arrêt de la « charterisation » par la compagnie Saoudi Airlines en 2001 a plutôt favorisé les compagnies arabes, qui rentabilisent leurs vols avec des escales dans leur pays respectifs. Des annulations à la dernière minute sont fréquentes en raison des problèmes de délivrance de visas à temps et les conditions de logement sur place sont très médiocres, d’où les nombreuses protestations des clients,. La rude concurrence et l’absence de contrats écrits sont sources de nombreux malentendus. Les agences attendent souvent le dernier moment pour conclure les contrats avec les transporteurs et les hôteliers, de façon à profiter des baisses de prix de dernière minute. On promet par exemple au pèlerin un logement donnant sur la mosquée sainte sans lui indiquer que celui-ci peut être éloigné , placé sur une colline ou une montagne, alors que son grand âge est un handicap pour se déplacer à l’occasion des cinq prières quotidiennes.

L’opérateur se charge également de l’encadrement religieux. Afin de limiter les dépenses il recrutera des imams sur place la plus part du temps. Ce sont souvent des étudiants suivant un cursus religieux en Arabie saoudite, cela revient moins cher que de recruter un imam de France. Le monde musulman n’est pas arabophone, ni maghrébin : les restaurateurs sur place sont principalement asiatiques et ont des traditions culinaires autres que ceux auxquelles sont habitués les pèlerins français. Les agences de voyages ont la possibilité d’adapter la restauration à leur client mais le soucis d’avoir les prix les plus bas, les contraints à limiter le confort proposé au pèlerin.

3 Le cas des pèlerins turcs


L’organisation des pèlerins turcs fait figure d’exception. Elle pourrait servir d’exemple. Aujoud’hui de nombreux pèlerins, d’autres origines, font de plus en plus le choix d’ intégrer les groupes turcs.
Le Comité de Coordination des Musulmans Turcs de France (CCMTF) supervise le pèlerinage d’environ 900 pèlerins Le voyage se fait en deux phases avec une escale obligatoire à Istanbul. Les uns partent directement à Djeddah via Istanbul, d’autres partent une semaine avant pour rencontrer la famille, leurs amis les connaissances et leurs demander pardon. Les pèlerins ont la possibilité lors du retour de rester en Turquie car les billets sont ouverts.
Le CCMTF est une émanation de la Diyanet, organe officiel turc qui gère le culte musulman. Les organisateurs français s’occupent de l’inscription des pèlerins, de l’obtention des visas et de la répartition des groupes. Chaque groupe est composé de 40 personnes en conformité avec les places autorisées des autocars saoudiens qui serviront pour le transport sur place, chaque groupe est accompagné d’un imam. Les groupes sont regroupés dans une kafila ( ?) de 250 personnes qui prendra le même avion et qui sera logé dans les mêmes lieux. Le voyage en Arabie saoudite commence toujours par Médine. A l’arrivé un guide amène la kafila au lieu d’hébergement où les listes des chambres sont établies . Les pèlerins turcs seront pris en charge par des équipes turques sur place qui mettront à leur disposition toute l’infrastructure étatique dont l’hôpital turc de la Mecque.

4 Les propositions du CFCM


Afin d’améliorer les conditions du pèlerinag,e et de s’établir comme l’instance de référence pour le culte musulman, la commission pèlerinage du CFCM a proposé la mise en place d’une mission officielle à l’image des missions des pays musulmans, et dont les objectifs seraient de coordonner l’opération de délivrance des visas, la création d’un site internet afin de suivre l’opération pèlerinage, mettre en place un numéro vert pour toutes informations sur le pèlerinage, désigner le personnel d’encadrement des pèlerins (imams, médecins, infirmiers…) et défendre les pèlerins abusés par les voyagistes.
Elle a proposé également la mise en place de trois bureaux à La Mecque, Medine et Djeddah dont les rôles seraient :
-administratif et de coordination avec le consulat de France à Djeddah et la prise en charge des questions se rapportant aux problèmes concernant les pèlerins (décès, hospitalisation, perte de documents..)*
-médical : coordonner , d’une part, le personnel médical d’encadrement des pèlerins venu de France et, d’autre part, les hôpitaux et les centres de santé du royaume d’Arabie Saoudite. Le suivi de l’état général des malades tout en informant leur proches et au besoin les autorités et superviser toute opération d’évacuation sanitaire vers la France.
-cultuel : s’assurer que les pèlerins ont un encadrement religieux (imams) adéquat et qu’ils accomplissent correctement le rite du pèlerinage.
-logistique : communiquer les adresses et téléphones de ces bureaux. Elaborer un carnet du pèlerin remis à chaque pèlerin dans lequel celui-ci trouverait des informations pratiques à même de lui faciliter la tâche lors de son pèlerinage. S’assurer des conditions d’hébergement des pèlerins et vérifier que les contrats engageant les opérateurs ont été respectés et enfin répondre aux sollicitudes des opérateurs au cas où ceux-ci rencontreraient des difficultés avec leur homologue saoudiens pour des vices de fond ou de forme concentrant les contrats de pèlerinage et en aviser le ministère du Hadj
Le dernier Conseil d’administration du CA n’a pas voulu donner un cadre juridique indépendant a la nouvelle mission qui resterait sous sa totale responsabilité. La commission proposerait ses services sans qu’elle aie le monopole dans les contacts avec les services consulaires saoudiens. Ces derniers ne veulent pas s’engager avec le CFCM s’ils n’ont pas le feu vert de la part des autorités françaises. Les lois de la séparation de Eglises et de l’Etat autorisent-elles l’ingérence dans ce type d’affaire ?

Dans le respect des lois


Si les lois de la République ne permettent pas d’intervenir sur des activités purement cultuelles, les autorités françaises compétentes peuvent agir activement en assainissant le marché des agences de voyages et en protégeants les citoyens des abus en France, à l’invitation du CFCM. D’ores et déjà, deux fonctionnaires sont détachés par le ministère des affaires étrangères à La Mecque chaque année, à l’occasion de l’événement. Toutefois, si leur mission leur permet de pourvoir à toutes les tâches administratives de protection des citoyens français (perte de papier ou rapatriement), il ne leur est pas possible d’intervenir dans les contentieux entre particuliers, en particulier vis à vis des autorités saoudiennes. Seule une mission du pèlerinage établie sur place, qui saura créer le lien nécessaire avec les autorité saoudiennes, pourra jouer un rôle complémentaire pour la protection des pèlerins venant de France.

* cet article parraîtra dans le prochain numéro des cahiers de l'Orient