Par Hakim El Ghissassi,
L'economiste, 16 mars 2004 - www.leconomiste.com A chaque acte criminel ou terroriste, les musulmans ont leurs mains sur leur coeur, de peur d'être taxés de responsables. Ils sont partagés entre la condamnation ferme et rapide des groupes extrémistes dits islamistes et la demande, avant toute réaction, de preuves d'implication de tels groupes. Ces groupes existent, l'islam, à l'image des autres religions et idéologies, connaît ses hérétiques et ses sanguinaires. Des personnes se référant à l'islam agissent de la sorte à travers une lecture littérale et réductrice des textes.

· Distinguer l'histoire et le présent

Quel est le devoir des musulmans aujourd'hui? Plus que jamais, les musulmans sont appelés à manifester leur volonté de paix et de vivre ensemble, c'est le message premier de l'islam.
Ceux qui s'attellent à la diffusion et la culture du savoir religieux doivent haut et fort cultiver une culture de paix, de respect des différences et revoir les concepts religieux qu'ils manient: des concepts comme les infidèles, les dhimis, jihad ou encore charia doivent être revus. Des classifications telles «terre de l'islam», «terre de guerre», «terre de pacte» ou récemment de «témoignage» doivent être renvoyées à l'histoire. La distinction entre des sciences dites utiles (les sciences religieuses) et d'autres futiles doit être rattachée à leur époque et leur signification initiale. Les musulmans ne peuvent manier de tels concepts et notions sans une référence historique et spatiale.
Dans un monde numérisé où l'information et le savoir circulent sans limites, il est temps que les musulmans relativisent leurs certitudes et acceptent la diversité, il est essentiel de distinguer ici les convictions individuelles de croyance et la pensée humaine qui est le fruit de l'espace et du temps.
C'est cette dernière qu'il faudra revoir car elle façonne la société et engage les individus dans la collectivité.
Le système éducatif musulman, qu'il soit institutionnel (écoles, universités, centres de recherches…), social, associatif, familial ou encore médiatique, éditorial… doit se libérer de son archaïsme, de son enfermement et de sa crainte de la production scientifique et intellectuelle. Il doit aider les musulmans à sortir de ce mythe d'islamisation de la société, des sciences, de la méthodologie et de je ne sais quoi encore.
La pensée s'enrichit par ses confrontations, ses rencontres et non par sa volonté hégémonique ou le rejet de l'autre.
Ce n'est pas un appel redondant à une islamisation des méthodologies, comme a été réclamé dans le dernier conseil (mars 2004) de la jurisprudence de Jedda, institution de la Conférence islamique mondiale qui regroupe les pays musulmans de l'OCI (Organisation de la Conférence islamique) dont les musulmans ont besoin.
Ils ont besoin d'une connaissance du monde, de ses valeurs, une relativisation des certitudes, une libération des esprits et une amélioration de leur quotidien matériel et politique.

· Les lois du monde

Aujourd'hui, le monde est régi par des conventions, des traités, des lois et des règles, qu'il faudra respecter et appliquer avec impartialité. Heureusement, la majorité des musulmans à travers le monde ont une conception de l'islam autre que celle véhiculée par les groupes radicaux ou politisés. Il faudra combattre le crime d'où qu'il vienne et faire attention de ne pas jeter l'anathème sur des populations qui travaillent dur pour un quotidien digne. De telles stigmatisations feront le jeu des extrémistes et attiseront les haines. Le monde est appelé à faire disparaître les inégalités, les humiliations subites et la pensée musulmane à redéfinir son terrain d'action et ses manières de reproduction et de transmission. Un chantier qui nécessite courage, temps et persévérance.

leconomiste 16 mars 2004