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Catégorie : La medina N° 22
La Médina : Qu’est ce que le FLN au 1er novembre 1954, et qu’est-il devenu en juillet 1962 ? Gilbert Meynier : La question mérite plusieurs réponses. En 1954, les réseaux activistes du MTLD [Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques] se regroupent à la fois contre les centralistes et les messalistes. Un groupe d’hommes, les neuf chefs historiques, a "allumé la mèche". En 1962, il n’y a pas un seul FLN. Il y a le GPRA, qui est le gouvernement légal, mais c’est l’Etat-major général de Boumediène qui prime, c'est-à-dire le principal segment militaire qui écrase ses rivaux maquisards. Le militaire l’emporte donc sur le politique. De ce fait, les centralistes, qui avaient rejoint le front au printemps 1955, sont écartés. Les luttes de clans ont commencé dès 1955. Très vite, elles ont opposé le FLN intérieur à celui de l’extérieur, et les politiques aux militaires.

De quelle idéologie le FLN était-il porteur ?
Comme il y a eu plusieurs FLN, il y a également eu plusieurs idéologies différentes. Le plus grand commun dénominateur est ce que j’appellerais l’idéologie de la communauté. C’est-à-dire à la base la communauté originelle où s’organise la vie des hommes -ce que l'ethnologie coloniale appelait la tribu-, qui s’amplifie en communauté universelle des croyants. En définitive, entre ces deux communautés, la nation ne trouve pas bien sa place. Autrement dit, l’idéologie algérienne du FLN n’est pas ce que les historiens de l’histoire contemporaine appellent un nationalisme. C’est un patriotisme. Les gens du FLN veulent libérer la patrie, mais ils se posent très peu la question de savoir ce qu’est la nation et comment la construire. Il est clair que a nation algérienne est décrite comme arabe et musulmane. Ce qui ne signifie à peu près rien, car de telles caractéristiques sont celles d'une bonne vingtaine d'autres peuples qui ne sont pas pour autant algériens.

Peut-on parler d’une responsabilité du FLN dans la situation des années 90 en Algérie ?
Il n’y a pas de responsabilité du FLN en tant que parti, car il n’avait aucun pouvoir qui lui soit propre. Mais on peut dégager des responsabilités des hauts clans de l’appareil militaire qui détiennent le pouvoir à l’heure actuelle, et cela depuis 1957, et qui n’ont pas accepté véritablement le partage lors de l’embellie de 1988-1991. On sait bien que les gouvernements qui se sont succédés en Algérie n’ont existé qu’en délégation précaire du pouvoir militaire. Il y avait une règle non dite mais souveraine, qui est, comme le dit El Hadi Chalabi, "pas de pouvoir civil sans contrôle militaire". Au nom de cette règle, la démocratie a été inexistante en Algérie.

Comment le pouvoir actuel peut-il gérer le sentiment d’appartenance régionale, en particulier kabyle ?
Il y a deux solutions. Ou on accepte une nation plurielle avec des composantes plurielles et différentes, ou alors on veut la normalisation, la mise au pas, au nom d’une idéologie nationale uniforme. Je pense que les Algériens se sont de ce point de vue beaucoup inspirés du modèle jacobin français qui n’a jamais toléré d’autres expressions, culturelles notamment, que celles voulues par la centralité.