Malgré la richesse apparente et réelle du pays, l'Algérie en est encore à attendre, plus de quarante ans après son indpendance, un décollage économique qui fait figure, pour les plus pessimistes, de simple vœu pieux. En apparence et dans sa réalité intrinsèque, l’Algérie est un pays riche : quatrième producteur mondial de gaz naturel, des réserves pétrolières qui permettent une production au moins jusqu’en 2050, des réserves en devises étrangères d’un montant estimé début 2003 à près de 20 milliards de dollars (de quoi permettre au pays de rembourser d’un seul paiement sa dette extérieure) mais aussi une agriculture qui ne demande qu’à renaître après plusieurs années de gestion administrée défaillante sans oublier une main d’œuvre qualifiée et des dizaines de milliers de cadres et de diplômés. Voilà pour le versant positif des choses. Reste que le pays, à plus de quarante années de son indépendance, en est encore à attendre un décollage économique qui fait figure, pour les plus pessimistes de simple vœu pieux. De tous les pays du Maghreb, l’Algérie est sans conteste, et les chiffres de conjoncture internationale le montrent, le moins bien loti.
Premier constat : 95% des recettes en devises algériennes proviennent encore de l’exportation d’hydrocarbures. Malgré les slogans et les discours sur le thème, la diversification de l’économie algérienne reste encore à l’état théorique. A l’exception du pétrole et du gaz naturel, le pays n’exporte en effet que de très faibles quantités de produits agricoles (dattes, figues, un peu d’huile d’olive), des métaux (mercure, acier recyclé) et des équipements électriques. Trop peu pour un géant régional qui au début des années 1970 aspirait à dépasser le niveau atteint par des pays tels le Portugal, l’Espagne ou la Grèce. "Il n’existe pas plusieurs voies : la solution pour l’Algérie est d’avancer encore plus loin dans les réformes économiques", affirme un expert de la Banque mondiale qui regrette le gel de ces dernières depuis le milieu des années 1990. Certes, le dinar algérien est désormais convertible pour les opérations commerciales et le commerce extérieur a été libéralisé mais cela n’a abouti qu’à transformer des pans entiers de l’économie algérienne en "économie de négoce", pour reprendre l’expression de l’économiste Ali Chouarbia. Les sociétés d’import-export, surnommées avec ironie "import-import" par la vox populi, ont fleuri au détriment de l’économie locale.
"Dans les conditions actuelles, relève un membre du Conseil économique et social (CNES), un industriel a tout intérêt à fermer son usine et à se transformer en importateur. Il y a plus à gagner et cela a des impacts négatifs sur le marché de l’emploi".
Car le deuxième constat, connu de tous, est que la crise économique qui sévit dans le pays depuis le début des années 1980 (!) a considérablement aggravé le taux de chômage ce dernier atteignant, selon certaines sources, près de 35%. A cela s’ajoute une situation sociale des plus dégradées. Selon toujours le CNES, près de quatorze millions d’Algériens vivent sous le seuil de pauvreté sur un total de trente millions. Un niveau qui pousse de nombreux économistes et experts à établir des comparaisons, prudentes mais ô combien significatives, avec ce que fut la condition misérable des populations algériennes, surtout rurales, durant la période coloniale.
"Il y a une telle pauvreté. Ce n’est pas normal. C’est un pays qui a tant souffert. J’ai honte", s’indigne un jeune du Rassemblement algérien pour la jeunesse (RAJ). Et de fait, le débat fait rage au sein du pouvoir entre ceux qui défendent une conception orthodoxe des réformes avec respect des grands ratios macro-économiques chers au Fonds monétaire international (FMI) et ceux qui souhaitent que l’on prenne plus en compte les attentes d’une population épuisée par plus de dix années de violences, notamment terroriste.
"Des réformes ? Quelles réformes ?", ironise un patron privé installé dans l’ouest algérien. "Rien ne bouge, ni dans un sens, ni dans l’autre. Tout se passe comme si le pouvoir n’avait que pour seul but le fait d’engranger des devises grâce à la bonne tenue des cours du pétrole". Pour lui, c’est avant tout l’obsession du régime de ne pas prêter le flanc aux pressions internationales en cas de difficultés financières qui explique le blocage de la situation. "En 1994, le pays a frôlé la banqueroute et de nombreux appels ont été lancés depuis l’étranger pour faire pression sur le régime en lui échangeant l’aide financière contre une ouverture démocratique plus forte. Aujourd’hui, les dirigeants algériens disent ‘plus jamais une telle situation’", poursuit Ali Chouarbia.

Entreprises publiques et privatisation

En attendant, de grands chantiers restent bloqués. C’est le cas par exemple de la privatisation des grandes entreprises publiques. Après avoir "liquidé" (c’est le terme le plus souvent utilisé par la presse locale) ou "dissout" des centaines de petites entreprises publiques locales, avec à la clé plus que quatre cent mille nouveaux chômeurs, Alger semble hésiter quant à la conduite à tenir vis-à-vis des grandes entreprises nationales, fameuses "Sona...". Après avoir réussi à faire passer dans la sphère privée le grand complexe sidérurgique d’El-Haddjar (privatisé au profit d’un groupe indien), le gouvernement algérien a bloqué la vente d’autres sociétés. "Le problème, relève un cadre de l’Union nationale des entrepreneurs publics (Unep), c’est que l’on ne donne pas leur chance aux entreprises publiques. Qu’on nous donne les moyens de faire face à la communauté internationale ! Prenez l’exemple de la France. C’est un pays où l’économie mixte, publique-privée, a contribué à l’essor économique. Pourquoi l’Algérie ne tenterait-elle pas cette expérience ? Faut-il rappeler l’exemple catastrophique pour le climat social des privatisations russes ou polonaises ? "
Conscient de cette polémique et des risques d’explosion sociale à un an de l’élection présidentielle, le président algérien Abdelaziz Bouteflika semble avoir décidé de jouer la montre. "Je le vois mal se lancer dans des privatisations d’ici mars 2004", prédit un diplomate occidental en poste à Alger. A titre d’exemple, ce dernier cite le cas de la réforme des hydrocarbures qui, du fait de la mobilisation de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), a été retiré de la circulation au grand dam du ministre de l’énergie Chakib Khelil. Mais que l’Algérie choisisse les privatisations ou une solution mixte, il n’en demeure pas moins qu’une réforme fondamentale du secteur financier s’impose. Les banques publiques algériennes sont ainsi, de l’avis de nombreux experts, un véritable obstacle au décollage économique du pays. Alourdies par des créances douteuses, mal équipées, incapables d’offrir des services que les établissement privés proposent déjà, ces banques sont très certainement destinées à la vente. A condition qu’il y ait des repreneurs. Le retrait de la Société Générale qui était en passe de racheter le Crédit populaire algérien (CPA) a considérablement déçu les dirigeants algériens et constitué un signal négatif pour la communauté financière internationale.

L'ouverture vers l'Europe

Mais l’autre défi pour l’économie algérienne est l’ouverture du marché local aux produits européens d’ici l’horizon 2012. En signant un accord d’association avec l’Union européenne en avril 2002 avec pour perspective la création d’une zone de libre-échange, Alger a fait le pari de la sortie par le haut avec une émulation de taille. Reste que nombreux sont ceux qui s’inquiètent des conséquences d’un tel pari. "Que pèse notre économie face à l’Europe? Dans le meilleur des cas, en étant très optimiste, nos entreprises se seront à peine relevées qu’il leur faudra affronter la concurrence impitoyable des groupes européens. Cela risque de transformer l’Algérie, comme la Tunisie et le Maroc d’ailleurs, en pays structurellement consommateur faute de capacité productives rentables", relève un ancien ministre algérien des hydrocarbures. "L’Europe, c’est ‘ça passe ou ça casse’. Si l’on passe, alors le pays sera sorti définitivement de l’ornière", plaide un conseiller du président algérien Bouteflika.
Reste enfin la "mère des batailles" pour l’économie algérienne : c'est-à-dire l’assainissement du climat des affaires et la lutte contre la corruption. De grands groupes privés, ayant pignon sur rue et disposant du soutien d’hommes du pouvoir, notamment des généraux, constituent désormais de nouveaux monopoles qui ne souffrent aucune concurrence. Impossible dans ce cas de convaincre les investisseurs étrangers de s’implanter dans le pays surtout si dans le même temps, le terrorisme demeure encore une réalité à ne pas négliger, surtout pour des hommes d’affaires occidentaux.
"La profondeur du risque Algérie ne s’étudie ni dans les textes légaux, ni dans les déclarations officielles. Elle doit être recherchée dans les maquis du GIA, dans les couloirs des tribunaux et dans les réseaux qui assurent, quotidiennement la pérennité du pouvoir en place, c’est à dire dans les services de renseignement", relèvent ainsi les experts du cabinet Nord-Sud Export dans un dossier concerné à l’examen de l’impact de la nature autoritaire et militaire du pouvoir algérien sur l’appréciation du "risque algérien" pour les entreprises étrangères.
Faute de transparence et d’instauration d’un État de droit, l’économie algérienne risque donc de rester longtemps dans l’ornière. Contrairement à une théorie bien trop confortable, la libéralisation économique ne saurait jamais précéder trop longtemps l’ouverture démocratique. Mieux : pour réussir, l’une et l’autre ne peuvent qu’aller de pair.