Imprimer
Catégorie : La Medina N° 16 : le Maroc le génie d'un peuple, entretien exclusif avec le Roi Mohammed VI
Les élections législatives des 9 et 16 juin ont donné une confortable majorité à la seule Union pour la majorité présidentielle (UMP), voulue par Jacques Chirac pour soutenir son action. Mais avec une gauche réduite à la portion congrue et un groupe UDF sans pouvoir de blocage, la tentation d'une majorité repliée sur elle-même est forte. Une dérive qu'il faudra à tout prix éviter pour regagner la confiance des 39 % d'abstentionnistes du 16 juin.
L'abstention est devenue le premier "parti" de France. Plus de 14 millions de Français n’ont pas jugé utile de se déplacer lors du deuxième tour des élections législatives du 16 juin 2002 ; c’est quatre points de plus que lors du premier tour du 9 juin et onze points supplémentaires par rapport aux législatives de 1997. Cette désaffection croissante à l’égard de la chose politique n’a pas empêché la droite de détenir dorénavant la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale avec 399 députés. Le record de l’abstention s’inscrit dans un contexte où les hommes politiques n’inspirent plus confiance envers leurs électeurs. Ceux-ci ont de plus en plus l’impression que le politique n’a pas les moyens de changer leur quotidien, qu’il doit céder le pas devant la suprématie proclamée des règles du marché-roi ou devant la technocratie supposée en pleine expansion de Bruxelles.
La crise de la représentation politique est profonde et s’aggrave de scrutin en scrutin. Par ailleurs, la montée des extrêmes (droite comme gauche) lors des Présidentielles 2002 reste dans tous les esprits en dépit de la faible participation des votants. Car affirmer que la mobilisation républicaine est retombée ne paraît pas très juste dans la mesure où les enjeux des deux scrutins sont incomparables. D’un côté, les 82 % de votes en faveur de Jacques Chirac se sont clairement exprimés contre l’accès du fascisme et de la xénophobie au plus haut sommet de l’Etat. De l’autre, dans le camp des partisans des formations de gauche en recomposition, et après le sauvetage de la République, le rejet de la cohabitation et le sentiment que les jeux étaient faits ont détourné les électeurs du chemin des urnes. Il aurait en effet été difficile à la gauche qui aura tant conspué la cohabitation de convaincre les Français de renouer avec cinq années de partage du pouvoir. Las de la cohabitation et de ses basses querelles, du système politique et de ses guerres corporatistes, des promesses non tenues depuis tant d’élections, 39,7 % des électeurs n’ont pas voté le 16 juin 2002. Et ils seront encore plus nombreux dans cinq ans si l’action du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin échoue à "faire de la politique autrement". Son camp (total de la droite) a obtenu 30,46% des voix des électeurs inscrits, tandis que l’abstention culmine à 39,7% s’érigeant ainsi en premier "parti" de France.

La crédibilité de la politique en jeu

Les 369 députés UMP (Union pour la majorité présidentielle) comptent 80 sièges en sus de la majorité absolue (289 sièges). Ils auront la très lourde tâche de mettre en œuvre le programme de Jacques Chirac et ce, sans devoir forcément compter avec les 22 députés élus sous les couleurs de l'UDF, dont l’ambition reste de contrebalancer les décisions de la formation majoritaire, laquelle peut désormais gouverner sans partage pour la première fois depuis 1978. Une situation qui pourrait favoriser la tentation de l’immobilisme, au vu des réformes impopulaires (retraites, fonds de pension, réduction du nombre de fonctionnaires, modernisation de l’Etat, construction européenne, etc.) qu’auront à valider les représentants de la Nation et ce après le "précédent Jospin", désavoué par ses propres troupes alors qu’il pensait œuvrer pour une France "plus juste". La défaite de Martine Aubry, l’un des piliers du gouvernement de Lionel Jospin, dans le Nord (5e circonscription), sonne comme un prolongement de cette sanction à l’égard de la gestion du pays par une gauche qui est restée trop jacobine, trop parisienne. La popularité du nouveau premier ministre "tout en rondeur", "de province" (en l’occurrence, du Poitou-Charentes), a grandement contribué à faire basculer la France de gauche à droite.
L’action, le pragmatisme, l’adaptabilité... autant d’expressions qui imprègnent les discours des notables de la droite nouvellement élue et qui tentent de trancher avec l’image dirigiste et rigide de l’ancien premier ministre. La nomination de Jean-Paul Delevoye, ancien président de l'Association des maires de France, comme ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire dans le gouvernement Raffarin, va dans le sens d’un rapprochement, voire d’une réconciliation du centre avec les collectivités territoriales qui attendent le parachèvement du processus de décentralisation lancé en 1982 par… la gauche mitterrandienne. La nomination de Tokia Saïfi, française issue de l’immigration, comme Secrétaire d’Etat au développement durable, vient allonger la liste des engagements pris il y a cinq ans par la gauche mais qui ne se sont fait attendre en vain. Enfin, 16 des 17 ministres candidats aux Législatives ont (re)trouvé les rangs de l’Assemblée, ce qui renforce la légitimité d’un gouvernement dont le premier ministre n'est pas passé par le choix des urnes.
Par conséquent, toutes les conditions semblent réunies pour que la nouvelle droite gouverne et conduise la politique de la Nation vers l’avant et le progrès (social ?). Pas de partage avec la gauche et encore moins avec d’éventuelles autres formations de droite, des excuses désormais inutilisables pour justifier de l’échec des futures réformes promises pendant la campagne car l’UMP détient désormais la majorité absolue. Cependant et paradoxalement, jamais pareille configuration politique n’aura paru si fragile. Car à l’ombre de cette majorité, claire et cohérente, se trouve celle de la majorité en révolte, représentant les citoyens qui ne sont pas allés voter. C’est vers eux que le nouveau pouvoir doit à présent tendre la main, en dépassant l’image traditionnelle d’une droite corporatiste et clanique. Dans le cas d’un retour à une droite égoïste, qui ne travaillerait que pour ses 11 millions d’électeurs, la chute sera rude dans cinq ans, et pas forcément au profit d’une gauche ragaillardie et revitalisée, mais plutôt au plus grand bonheur des extrêmes et du "parti" abstentionniste. A ce rythme, très vite se (re)posera la question de la représentation politique dans ce pays, particulièrement si le premier "parti" de France parvient à dépasser les 50 % d’inscrits et contribue dans ce cas à remettre en cause la légitimité des futurs dirigeants de ce pays. La réforme des institutions, problématique vite mise à la porte à l’issue du plébiscite républicain du 5 mai dernier, reviendrait alors en force aux prochaines échéances électorales.