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Catégorie : La Medina N° 16 : le Maroc le génie d'un peuple, entretien exclusif avec le Roi Mohammed VI
Un printemps français ? Les élections des trois derniers mois ont plutôt assombri le paysage politique national, en le cantonnant dans un débat qui fait l'amalgame entre insécurité et immigration. L'islam de France n'en sort pas conforté même si, point positif, les hommes politiques ont pris conscience du poids politique des Français issus des migrations récentes. Ces dernières années, les politiques avaient mis en sourdine les polémiques relatives à l’immigration, en particulier depuis l’implosion du Front national, qui avait semblé marqué le déclin de l’extrême-droite. Pourtant, la figure de l’immigré est revenue sur le devant de la scène à la faveur des scrutins présidentiel et législatif. Elle n’est pas apparue en tant que tel dans un premier temps, elle s’est d’abord profilée derrière le spectre de l’insécurité, comme un message subliminal que les classes populaires paupérisées, précarisées, sensibles aux discours xénophobes, ont décrypté sans mal. Car dans l’inconscient de bon nombre de nos compatriotes, l’"immigré" (vaste ensemble fourre-tout qui rassemble les primo-migrants et leurs enfants nés ici et de nationalité française) et le délinquant ne font qu’un. Le vote du 21 avril fut, entre autres, le produit de ces stigmatisations muettes, de ces haines indicibles, de ces peurs irrationnelles.
Sans que personne – hormis bien sûr Le Pen – ne le souhaite vraiment, l’entre-deux-tours des présidentielles a propulsé cette équation vénéneuse au cœur de la campagne. Car en définitive, les différents protagonistes de cette quinzaine folle et angoissée, quelles que soient leurs intentions réelles, ont pris les immigrés en otage. Les manifestants anti-FN, pleins de bonnes intentions, affichaient leur solidarité avec les immigrés alors que ceux-ci n’étaient pas mis en cause explicitement. Ce faisant, ils montraient involontairement, ad absurdo si l’on veut, que le vote pour Le Pen était sans doute au moins autant motivé par la xénophobie que par la délinquance. Le leader du FN n’avait pas eu besoin de mettre en avant l’insécurité avant le premier tour, puisque les candidats "respectables" s’en étaient chargés, il n’aurait pas non plus besoin de stigmatiser l’immigration entre les deux tours ni durant la campagne des législatives, puisque d’autres le faisaient en creux.
À l’issue du second tour des élections présidentielles, pourtant, l’immigration, bien que toujours au centre de l’actualité, est apparue sous un jour plus favorable. La foule "multicolore" en liesse place de la République à Paris le soir des élections, la nomination de Tokia Saïfi, fille d’ouvrier algérien, au poste de secrétaire d’État au développement durable, pouvaient laisser espérer l’arrivée prochaine de la génération issue de l’immigration dans le paysage politique. Las ! L’hirondelle Saïfi n’a pas fait le printemps français dont nous parlait La Médina dans son dernier numéro. Aux élections législatives, les candidats d’origine maghrébine ou africaine se sont retrouvés bien isolés sur les listes, aussi bien de gauche que de droite. Seule l’équipe de foot, rentrée penaude prématurément, était à l’image du pays : le parlement "black-blanc-beur" ne sera pas encore pour cette législature.
En revanche, les immigrés, plus exactement les flux migratoires en tant que tels, sont revenus en force dans les débats publics, le plus souvent associés à la délinquance. Des rafles hautement médiatisées ont braqué les projecteurs sur de très jeunes prostituées étrangères qui sont d’abord et avant tout des victimes de trafics d’êtres humains. Les filières mafieuses, les passeurs professionnels existent et sévissent bel et bien, mais à force de mettre l’accent sur leurs seules activités, l’opinion finit par penser que ceux qui fuient la misère ou les persécutions sont purement et simplement des délinquants : même les demandeurs d’asile sont le plus souvent présentés comme des "tricheurs-qui-abusent-de-la-tradition-française-d’accueil".
Il reste tout de même un point positif. La classe politique, dans son ensemble, a pris conscience du poids électoral des Français issus des migrations récentes. Et ce d’autant que leur vote se retrouve de part et d’autre de l’échiquier politique : de nombreux reportages ont ainsi montré la désaffection d’une partie de l’électorat "beur" pour la gauche. À ce propos, il faut aussi rappeler qu’il n’existe pas de "vote ethnique" ou "confessionnel" dans ce pays, malgré les fantasmes récurrents d’une partie de la classe politique à ce sujet.
Cependant, il y a plus inquiétant. Si l’on en croit la presse de ses dernières semaines, une partie – sans doute (encore ?) très minoritaire – des Maghrébins se tourne désormais vers le FN, ou se surprend à dire que Le Pen n’a pas toujours tort... Quelle que soit l’ampleur réelle de ces véritables appels au secours, et sans pour autant rejoindre le concert sécuritaire du moment, on ne peut pas ignorer de telles déclarations, qui en disent long sur le désarroi de populations reléguées dans des cités où sévissent chômage, délinquance, nuisances de toutes sortes... Faut-il que l’abandon de ces populations, toutes origines confondues, ait atteint un seuil critique, pour que même les boucs émissaires des diatribes le pénistes en viennent à souhaiter une "fin rapide" plutôt que cette "désespérance sans fin" ! Le sursaut démocratique de l’entre-deux tours est à mesurer à l’aune de ce phénomène nouveau.
Et l’islam de France dans tout ca ? Eh bien, comme d’habitude, il accompagne l’immigration dans les soubresauts de l’opinion et de la vie politique françaises. On montre du doigt Sangatte, les "faux demandeurs d’asile", les clandestins, la délinquance dans les banlieues, le terrorisme islamiste (le 11 septembre et le rôle du Français d’origine marocaine Zacarias Moussaoui sont dans toutes les mémoires)... Après cela, le dialogue entre les institutions de la République et les représentants de la "deuxième religion de France" peut-t-il être serein, ou tout simplement envisageable ? Si le climat délétère qui s’est abattu sur la France en quelques semaines perdure, on peut en douter. Mais peut-être ne s’agit-il que d’un mauvais vent passager. Il faut l’espérer car la reconnaissance pleine et entière d’un islam "à la française" constituera à n’en pas douter un test de bonne santé démocratique pour l’ensemble de la société.