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Catégorie : Portrait
Le groupe de rap, la Caution, ne prends pas de gants pour fustiger une France frileuse, qui a du mal à reconnaître l’autre qui est aussi Français. Dans l’imaginaire collectif, le rap draine des poncifs d’une musique sexiste, violente, vulgaire et qui lui a valu de nombreux procès. S’il suscite de la méfiance, c’est sans doute parce qu’il met le doigt là où ça fait mal. Le rap est souvent le vecteur des maux de la banlieue en particulier et de la société en général. Musique urbaine dont les auteurs sont souvent des jeunes issus de l’immigration, elle cumule tous les handicaps. Avec brio, le groupe la Caution a réussi à s’imposer sur la scène rap française. Deux frères d’origine marocaine, Nikkfurie et Hi-Tekk, forment ce groupe atypique. Ils ont grandi à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis) avec leurs 5 frères et sœurs. Tous deux sont fils d’un ouvrier débarqué d’Oujda en 1969. Entre nostalgie et révolte, ils évoquent dans « Thé à la menthe », un des titres-phares de leur dernier opus sorti mi-octobre (Peines de Maures et Arc-en-ciel pour daltoniens), sur un air de chaabi, leur parcours : « On a eu la chance de ne jamais se prendre au sérieux, côtoyer le vice sans jamais faire le saut périlleux (…). On s’est retrouvé dans le rap contre toute réelle attente. La recette : sampler, stylo et thé à la menthe. » Ils sont marqués par un fort sentiment d’appartenance à la culture marocaine où « les vertus du nanaa » ont fait leur preuve. A vingt-huit ans, Ahmed, alias Nikkfurie, a vécu l’intégration dans ses tripes. Si, pour beaucoup, l’intégration est un fait acquis, la réalité est tout autre. Lucide et juste, sans dramatiser la situation, il parle de son intégration.
« Ce pays est presque le nôtre. On n’est pas totalement français. Déjà physiquement. Théoriquement, on est français mais après on est jugé selon l’ethnie, l’origine sociale à laquelle on appartient. On n’a pas le même statut dans la société. Les contrôles de police à répétition en sont un exemple. Je suis français mais pas celui qu’ils veulent voir. Pourtant, je suis autant français que Thuram ou... Sarko.
« Pour moi, il n’y a qu’un seul communautarisme. Quand on choisit d’embaucher Stéphane au lieu de Mohammed, c’est du communautarisme. La discrimination à l’embauche crée un certain communautarisme de la réussite, de l’argent. Ils restent entre eux, vivent entre eux. Cette petite misère morale parasite l’intégration.
« C’est l’Etat qui ne veut pas l’intégration. Ce n’est pas dans l’intérêt des politiques que les banlieues se calment. La France n’a pas de réels problèmes d’immigration ni de délinquance pas plus qu’ailleurs. Le problème est avant tout un problème social. Il faut arrêter avec l’insécurité. On est dans l’instrumentalisation de certains problèmes à des fins politiques. Sarko répond à une demande. Certains Français sont racistes mais aiment Zidane quand il gagne...
« On stigmatise les populations noires et arabes en utilisant des termes négatifs pour les désigner : d’‘‘indigènes’’, on est passé à celui d’‘‘émeutiers’’, puis de ‘‘racaille’’, etc. Les médias ont dénigrés les Arabes et les Noirs. Il ne faut pas réduire le Noir à l’excision ni l’Arabe au terrorisme. Ces images réductrices, il faut les balayer.
« Dans notre dernier album (Peines de Maures et Arc-en-ciel pour daltoniens), il y a des titres plus introspectifs qui parlent de notre vécu. Les thèmes abordés sont notamment le chômage, le racisme, les discriminations, etc. A huit ans, j’ai entendu ‘‘sale Arabe’’. Une licence d’économie en poche, je n’ai pas trouvé de job à cause de mes origines, à part dans la sécurité ou le déménagement. L’islam n’est pas incompatible avec la citoyenneté, mais visuellement pas compatible. Il y a une imagerie fausse autour des musulmans. Tout le monde ne bat pas sa femme. La télé ne montre pas la réalité mais amplifie des événements. Il persiste des préjugés sur l’islam. Il est présenté négativement par les médias. On est dans le fantasme avec l’Irak, Al Qaeda, etc. Je vis ma religion sereinement en me focalisant seulement sur le fait d’améliorer mon comportement... Je n’ai pas à assumer le 11 Septembre, ni que des filles soient brûlées sous prétexte que je suis Arabe et musulman. Nous ne sommes pas archaïques.
« Il faut que la France se regarde dans les yeux. La société change. Il faut que la France accepte sa diversité sinon on va au clash. La France est le pays des droits de l’homme. Elle bénéficie d’un rayonnement culturel et historique international. Il faut qu’elle assume sa multiculturalité. Ou elle en fait une force ou une tare et devient la risée de tous les pays où l’intégration fonctionne mieux. Il faut accepter la différence et s’accepter. C’est à chacun de le faire. Car l’intégration passe par la micro-socialisation. Je n’ai pas besoin d’être intégré. Je connais mieux la France que le Maroc. Quand je vais au Maroc, c’est pour me ressourcer, découvrir le patrimoine culturel de mon pays. Je suis français mais du sang marocain coule dans mes veines. Je me sens français, mais certains me font ressentir le contraire. Je participe à l’économie. On est des citoyens à part entière. Une nation, qu’est-ce que c’est ? Ce sont des gens qui ont le sentiment de faire partie du même territoire sur lequel ils sont tous citoyens. »