La crise des otages français a permis au Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) d’acquérir une grande visibilité dans le monde et principalement le monde arabo-musulman. L’union de façade que ce Conseil a montré à cette occasion n’a pas pu résister au-delà de deux semaines. Il a suffi d’un peu de zèle de la part de l’énigmatique Mohamed Bechari, président de la Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF), réputée proche du Maroc, pour que les fortes dissensions internes et les enjeux du pouvoir soient de nouveau mis à jour.
En rendant visite à Abassi Madani, le leader du FIS algérien, Mohamed Bechari, le franco-marocain, a soulevé de vives protestations de la part de la Mosquée de Paris. Les délégués nationaux de cette dernière, réunis le 15 septembre 2004 en conseil extraordinaire, ont profité de cet incident pour mettre à jour la menace de geler leur participation à l’organisation des prochaines élections du CFCM si le dispositif électoral n’est pas revu. Il faudra rappeler que cette décision a été prise en juin et non pas suite à la visite de Bechari à Madani (Abassi Madani, malgré tout ce qu’on peut dire garde toujours des soutiens dans les milieux religieux algériens ainsi que chez certains responsables au sein des Conseils régionaux du culte musulman). Avec cette affaire, il y a également la volonté de démontrer que l’islam pratiqué par les Marocains est intégriste par rapport à celui des milieux algériens qui serai modéré et plus proche de l’esprit laïc. Il faudra cependant faire une étude sur les quelques 400 mosquées qui n’ont pas participé au processus de l’institutionnalisation de l’islam pour qu’on ait une idée plus claire. Tout ceci démontre que ce Conseil est encore loin d’un islam français gallican souhaité par de nombreux universitaires. Les rivalités nationales jouent un grand rôle dans le fonctionnement de l’actuel CFCM.

Quatre pôles sont entrain de se structurer


Aujourd’hui le champ religieux musulman en France est réparti en deux groupes. Celui qui s’est engagé dans le processus de la représentativité qui est structuré autour de trois grands pôles : la fédération de la grande Mosquée de Paris, la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF) et l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). Et le quatrième pôle est celui qui n’est pas entré dans ce processus et qui représente les quelques 400 lieux de prières. Ce dernier regroupe des associations qui rejettent toute participation à la vie sociale et des associations qui n’étaient pas d’accord avec le processus dès le départ et qui ont vu en lui une intervention dans les affaires religieuses des musulmans.

1 - Un islam proche de l’Algérie regroupant : La Grande mosquée de Paris et la fédération nationale qui lui est liée, le Comité de Coordination des musulmans turcs de France (CCMTF) sous tutelle de la Diyanat, organe officiel turc, des représentants de l’islam confrérique et quelques salles de prières situées dans les foyers des travailleurs immigrés.

2 - Un islam politique militant représenté par l’UOIF qui est entré dans une phase de création de lieux de culte, il attirera quelques associations politisées de la FNMF et certaines mosquées indépendantes ainsi que la dynamique organisation turque Milligurush proche de Nejmeddine Arbakan. Il faudra noter qu’au sein de ce pôle, on retrouvera en plus des lieux de prière dirigés par des Marocains, des mosquées dirigées par des Tunisiens ou des Algériens proches du mouvement des Frères musulmans. Certaines tendances de l’islam subsaharien non confrérique pourront également être un soutien à cette tendance.

3- Un islam proche du Maroc (majoritaire), encore mal défini autour de la FNMF, qui reste incertain dans son mode d’organisation. Sa fragilité structurelle le prive d’une cohésion interne solide. il pourra constituer un troisième pôle regroupant des lieux de cultes indépendants politisés représentant les tendances islamiques marocaines (principalement le MUR : mouvement de l’union et de la réforme. Le positionnement du mouvement Participation et spiritualité musulmane proche du Cheikh Abdessalam Yassine, n’est pas encore clarifié), les Tablighs, les Salafis et un islam marocain officiel basé sur les anciennes amicales, il reflétera en grande partie l’évolution de la situation religieuse au Maroc. D’où la prudence des autorités marocaines de tutelle à s’afficher clairement avec la FNMF. Une première réunion de réflexion a eu lieu en août à Rabat, sous la tutelle de M. Ahmed Tawfiq, ministre des affaires religieuses, et en présence de Mme Nezha Chakrouni, ministre délégué au MRE (Marocains résidant à l’étranger). Etaient présents à cette réunion informelle des figures religieuses marocaines en Europe. Il est à noter l’absence du président de la FNMF à cette réunion. Les liens que le Maroc a avec certaines confréries subsahariennes pourront lui apporter un soutien conséquent, cependant dans la cacophonie qui caractérise aujourd’hui la FNMF, ces confréries sont plus sur le sentier de la mouvance algérienne de la Mosquée de Paris. La porte de sortie d’un islam réputé proche du Maroc peu être la constitution d’une fondation des habous, regroupant les mosquées à affinité marocaine (l’Algérie et la Turquie ont les leurs), l’idée est mise en chantier.

4 – Plus de 400 lieux de prières n’ont pas participé au processus de l’institutionnalisation de l’islam, nous n’avons pas pour l’instant des études sur ces mosquées du fait que les regards ont été plus focalisés sur le CFCM. Ce groupe est composé de mosquées, qui dès le départ, n’ont pas été d’accord avec l’intervention de l’Etat dans l’organisation de l’islam, de ceux qui n’ont pas voulu jouer la carte des nationalités et des alliances. La troisième strate est composée de lieux de culte qui n’ont aucune volonté de participer à un système d’organisation émanant d’un Etat considéré comme impie, ils prônent le rejet de tout contact avec les autorités politiques. D’autres lieux de culte ont été exclus parce que les responsables du CFCM les considéraient comme hérétiques ou représentants de sectes, il s’agit principalement du groupe des Ahbaches, d’origine libanaise mais qui ratisse très large au niveau des Maghrébins de France. L’une de ses personnalités les plus adulés par les jeunes est le rappeur Kerry Jams, ce mouvement est présent en France sous le nom de l'Association des
projets de bienfaisance islamique en France (Apbif). Les Chiites ont également été marginalisés dans le processus.

Les prochaines élections du CFCM sont prévues en avril 2005. L’approche des élections met en convulsion les principales fédérations. Ces dernières ne sont pas sûres de sauvegarder les résultats de 2003. En effet les lieux de culte musulmans sont mieux informés sur le processus de représentation, les modalités des élections et les enjeux qui se cachent derrière. Les structures fédératives actuelles n’on pas su accompagner l’évolution de ces lieux de culte, qui tendent de plus en plus à l’autonomie et à dépolitiser l’activité religieuse. C’est pour cela et c’est dans l’intérêt des différents protagonistes de retarder les élections afin de se restructurer et de tisser les alliances nécessaires pour une meilleure représentativité.

L’émergence d’un pôle autonome qui se réclame d’un islam de France loin des influences de l’islam politique et des pays d’origine ne verra pas le jour avec les prochaines élections. Le processus est assez récent pour permettre l’émergence d’autres forces, les nouvelles générations ne s’intéressent pas assez, pour le moment, à la gestion cultuelle. Nous sommes plus dans une restructuration des pôles déjà existants.

L’absence d’une politique générale claire et transparente du CFCM ajoute à la confusion. Le CFCM devra répondre à la question : est-il une instance religieuse, culturelle ou politique ? Selon la ou les réponses données, le champ d’action du CFCM sera déterminé et clarifié.