Imprimer
Catégorie : Mémoire
Avant la mise en place de l’instance équité et réconciliation, il y avait au Maroc non pas une, mais plusieurs mémoires des événements qui ont marqué, globalement, la période allant de l’indépendance au début des années 90. Il y avait la mémoire de ceux qui ont participé en payant un lourd tribut, en années de prison, en souffrances et en vie familiale perdue, au cours des événements. Il y a la mémoire officielle, qui a lu toute cette histoire à la lumière de la guerre froide à la quelle le Maroc a participé de manière active et qui ne voyait dans les premiers que de dangereux subversifs rouges qui voulaient détruire l’état et le remplacer par le collectivisme. Il y avait même, depuis quelques années, et c’est assez paradoxal une mémoire des bourreaux. Ceux qui étaient du bon côté du bâton ou de la manivelle de la gégène dans les multiples centres secrets de détention et de torture ou connus. Toutes ces mémoires se télescopaient, se faisaient face et finalement contribuaient dans une sorte d’accord non écrit et pas forcément voulu à la construction d’un immense champ de non dit et de tabous. Une situation qui était ouverte sur toutes les éventualités : de l’amnésie au révisionnisme historique, donc un risque sérieux de voir les aspirations au changement compromises ou au moins fragilisées par une mémoire, mal digérée.
C’est en réalité cela qu’a régie en grande partie la mise en place de l’instance Equité et Réconciliation. La quête de la perfection étant l’ennemi de la réalisation du possible, il fallait bien commencer quelque part, quitte à réajuster en cours de route, sous l’œil attentif des associations des droits humains, des multiples associations des victimes et des parents des victimes. Et c’est le résultat de ce travail qui a duré plus d’une année que l’IER a bouclé ces dernières semaines.
La justice transitoire a ceci de particulier qu’elle est un champ nouveau dont les mécanismes d’action, les concepts théoriques et même les textes de droit fondateur sont en cours de formulation, tout ce qui est disponible en la matière dans ce domaine dans le monde est plutôt réduit d’où probablement l’intérêt que suscite les expériences mêmes et surtout la tendance à manifester la spécificité de chaque expérience.
On est en quelque sorte au stade expérimental dans ce domaine, ainsi l’expérience sud-africaine, a été différente de celle qu’on a vu se développer dans certains pays d’Amérique
Du Sud, en Asie ou du Maroc ; C’est ce qui explique en grande partie les manifestations d’insatisfaction, les critiques qui ont fait jour au Maroc au sujet de la mission de l’instance. Et c’est aussi, ce qui en toute objectivité, laisse plusieurs questions en suspens tel que celle de l’après écriture du rapport de l’IER.
Que doit-on faire des résultats des enquêtes de terrain ? Quelle suite le constat doit-il avoir des dépassements, de la reconnaissance par l’Etat de sa faute, de la citation des noms d’un certain nombre de fonctionnaires des services de sécurité ?
Il n’existe pas de réponses toutes faites à ces problèmes et surtout les questions qui restent posés et qui sont légitimes peuvent donner lieu à des réponses multiples, les pistes sont toutes valables en théorie du moins, de l’organisation de procès par les pouvoirs publics ou le pardon pour tourner la page, en passant par la liberté que la loi garantie aux victimes d’entreprendre les démarches nécessaires auprès des tribunaux pour demander des comptes aux anciens bourreaux.
Forcement, le choix qui semble se dégager pour le moment, du moins en ce qui concerne l’Etat soumis aux paramètres de la politique et aux nécessités du développement du projet démocratique. Il s’agit pour la collectivité nationale d’avancer, sur les chantiers ouverts. Cela ne veut pas dire que l’on a réglé tous les problèmes inhérents au dossier de la répression «des années de plomb.
S’il y a aujourd’hui un bénéfice à tirer de l’immense travail effectué par l’IER c’est d’abord d’avoir établit les faits, du moins en grande partie. Et cela est important pour la présentation de la mémoire de tous les risques de révisionnismes et d’usure du temps.
C’est aussi d’avoir donner à cette Histoire des visages et aux victimes, qui étaient une sorte de galeries de mythes, une existence concrète, puisqu’on a vu défiler, lors de leurs témoignages ceux d’entre eux qui sont revenu de l’enfer !
C’est aussi d’avoir permis à de nombreuses familles de faire le deuil des leurs qui ont aujourd’hui des stèles, des sépultures et la reconnaissance par l’Etat de leur assassinat criminel.
Rien que pour sa mission, l’IER est une réussite, pour le reste le traumatisme a besoin de temps pour s’atténuer et le choix du dépassement de la haine est une forme de revanche pour la société et surtout pour son avenir.

L’IER en quelques mots


Le Président et les membres de l’Instance Equité et Réconciliation ont été installés par SM le Roi Mohammed VI le 7 Janvier 2004 à Agadir. Le discours Royal prononcé à cette occasion constitue la référence d’orientation des activités et le fondement de l’approche de l’IER définie par le souverain comme une commission nationale pour la vérité, l’équité et la réconciliation.

Nature et statuts

L’IER est une commission nationale pour la vérité, l’équité et la réconciliation, créee en vertu de l’approbation royale de la résolution du Conseil Consultatif des Droits de l’Homme, et des statuts de l’IER publiés par Dahir Royal en date du 12 avril 2004.
Elle dispose de compétences non judiciaires en matière de règlement des graves violations des droits de l’Homme du passé et a pour missions, l’investigation, l’évaluation, l’arbitrage, la recherche et la présentation de recommandations et de propositions.
Le Mandat de l’IER s’étend du début de l’indépendance à la date d’approbation par SM le Roi de la création de l’Instance Indépendante d’Arbitrage. Il englobe les violations graves des droits de l’Homme qui ont revêtu un caractère systématique et/ou massif, sachant que les attributions de l’IER en matière d’investigations et de détermination de la vérité lui permettent d’établir les catégories, la gravité et le caractère massif et /ou systématique des violations passées des droits de l’Homme.
Les statuts de l’IER publiés par le Dahir d’approbation au Journal Officiel N° 5203 en date du 12 avril 2004 précisent les compétences et les règles de fonctionnement interne de l’Instance. Ces statuts comportent 27 articles répartis en six chapitres.
Missions de l’IER
l’IER exerce dans le cadre de ses compétences les missions suivantes :
l’Etablissement de la vérité :
- La détermination des catégories et de la gravité des violations passées des droits de l’homme, et ce, à travers les investigations, le recueil de déclarations et témoignages, l’examen des archives officielles, ainsi que la collecte des informations et données pouvant contribuer à la recherche de la vérité auprès de toute source.
- La poursuite des investigations concernant les cas non encore élucidés de disparition forcée, déployer tous les efforts au sujet des faits qui n’ont pas été établis, l’élucidation du sort des disparus, tout en proposant des solutions adéquates aux cas de décès avérés.
- L’établissement de la responsabilité des organes étatiques ou autres concernant les violations et faits ayant fait l’objet des investigations.
- L’élaboration d’un rapport comportant les conclusions des investigations et analyses concernant les violations et leurs contextes.
- La réparation par l’indemnisation matérielle, la réhabilitation et la réinsertion sociale et toutes autres modalités sur la base des investigations menées en vue de l’établissement de la vérité.

Les Recommandations et garanties de prévention et de non répétition :

L’inclusion dans le rapport tenant lieu de document officiel, des conclusions des investigations, des recherches et analyses effectuées au sujet des violations et leur contexte, des recommandations et propositions à même de préserver la mémoire, de garantir la rupture définitive avec les pratiques abusives du passé, d’effacer les séquelles des violations, et de restaurer et de renforcer la confiance en l’Etat de droit et le respect des droits de l’Homme.
La Réconciliation
La contribution et l’enrichissement de la culture du dialogue en vue d’asseoir les fondements de la réconciliation, de consolider la transition démocratique et de l’Etat de droit et de promouvoir les valeurs citoyennes et la culture des droits de l’Homme.