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Le Roman Rêver la Palestine a provoqué, à sa parution, une réelle levée de boucliers, favorisée par les critiques de certaines instances qui ont cru y voir une incitation à la haine et à l'antisémitisme. Cette accusation relève-t-elle de la réalité, ou ne doit-on y voir qu'un vulgaire tapage médiatique ?

Le conflit israélo-palestinien, par sa perpétuation infinie comme du fait des enjeux qu'il implique, continue naturellement à susciter une littérature abondante. Reconnaissons cependant que les publications les plus médiatisées sur le sujet se retrouvent souvent confinées à des écrits dominés par une approche politique des événements, fait nécessaire en soi mais qui contribue amplement à réduire notre perception de la réalité des faits vécus sur le terrain.
Rêver la Palestine, de Randa Ghazy, est une publication qui aurait certainement été reléguée dans la catégorie des romans narratifs les plus banals n'était le fort battage médiatique organisé à son encontre. Motifs communément retenus par les détracteurs de l'ouvrage : "incitation à la haine", "apologie du terrorisme et du Djihad", voire "incitation à la haine raciale et antisémite". Des accusations lourdes pour une auteure dont c'est ici le premier roman, fictif certes, mais néanmoins fondé sur des événements que tout pousse à reconnaître comme véridiques.
Randa Ghazy relate en effet l'histoire d'Ibrahim, un jeune Palestinien de trente ans originaire de la bande de Gaza qui évolue au sein d'une société sans cesse perturbée aussi bien par les exactions de l'armée israélienne que par l'absence de structures sociales viables. Le héros va ainsi explorer le sentiment de maints jeunes de sa génération , au gré de rencontres, séparations, découvertes et circonstances qui le pousseront finalement à s'interroger sur la réelle signification du terme "paix" dans un contexte où tout pousse au désespoir. Y-a-t-il dès lors, dans les faits, des raisons de penser que les événements rapportés par ce livre constituent une apologie du crime, et que les "Juifs" - au sens large du terme - sont considérés par l'auteure comme des assassins coupables de tous les maux ? Quelques extraits significatifs de Rêver la Palestine nous éclaireront certainement sur ce point.
La notion d'attentat-suicide, souvent décriée par les adversaires acharnés de Rêver la Palestine, n'est relatée en tant qu'événement qu'une seule fois, au début de l'écrit, quand un jeune répondant au nom de Gamal "fit sauter à lui tout seul une zone de contrôle israélienne, cinq soldats moururent" (p.24). Et l'auteure de poursuivre en notant que "cinq, des ennemis, c'est un nombre insignifiant". Mais de rajouter directement : "et puis ton Etat a besoin de toi autrement". De même, lorsque Ramy, un autre personnage, se laisse dire que "ces Israéliens sont des brutes, des brutes, il faudrait les tuer tous. Ils n'ont aucune pitié de nous", il rajoute qu'"il faut [néanmoins] garder notre sang-froid, même la douleur ne doit pas nous rendre fous. Nous devons les vaincre en nous maîtrisant nous-mêmes. (…) Avec les attentats et les bombardements, nous n'arriverons jamais à la paix" (p.76).
Le Djihad est, pour sa part, une notion que l'ouvrage définit par la phrase suivante : "Si on vient sur votre terre et on prend votre maison, et on affiche des prétentions sur ce qui est à vous, combattez, servez-vous de leurs armes, de leurs plans, de leurs actions, faites-leur ce qu'ils vous font, et ce sera une guerre sainte, le Djihad" (p.33). Soit une évocation de la loi du Talion, conforme aux préceptes religieux tels que prônés par le Judaïsme comme par l'Islam. Pour le reste, est-il nécessaire de revenir sur l'histoire du sionisme depuis sa création au 19ème siècle, voire sur certaines des dispositions appliquées par la Hagana bien avant 1948 – la politique des "biens absents", le plan Gimmel entre autres – afin de mentionner nommément la partie qui se retrouve en posture effective d'agresseur initial ?
Randa Ghazy insiste en effet sur ce que le ressentiment vécu par les Palestiniens est une réaction naturelle face aux abus émanant de la part de l'armée israélienne. Sans compter l'humiliation supplémentaire subie du fait d'une vie menée dans de vulgaires camps de réfugiés, par absence d'alternative. Dans ce contexte, il convient de se demander si la transcription par l'auteure d'émotions et de sentiments générés par plus d'un demi-siècle d'oppression continue suffisent réellement à la taxer d'apologue de l'antisémitisme, du Djihad et du terrorisme réunis.
L'accusation que pointe l'ouvrage envers l'armée israélienne ne se traduit en effet à aucun moment par un appel à l'insurrection contre tout ce qui touche, de près ou de loin, au Judaïsme. Rêver la Palestine nous relate, à ce titre, un épisode dans lequel se noue une histoire d'amour entre un Palestinien des Territoires et une Israélienne pacifiste. Un épisode qui s'avérera néanmoins éphémère du fait de la crainte par cette dernière des réactions que provoquerait une telle relation si ses parents l'apprenaient. Pour la jeune Israélienne, "il vaut mieux un garçon juif sans histoires que papa et maman invitent à manger le samedi" (p.157). Doit-on réellement douter du fait que cette réaction représente une réalité humaine, présente bien au-delà de la seule région du Moyen-Orient ? Il est en effet peu aisé de contester le fait que les divergences culturelles ont souvent suffi à entraver bien des liaisons amoureuses, tous pays et toutes cultures confondus.

Petit et grand Djihad

Le Djihad est souvent présenté comme étant la volonté pour beaucoup de Musulmans de détruire tout ce qui ne relève pas de leur propre religion. Il convient de couper court à une telle conception, dépourvue de tout fondement sérieux mais malheureusement amplifiée par l'écrasante majorité des médias occidentaux. Quiconque se penche avec honnêteté intellectuelle sur la réalité de l'Islam trouvera aisément que le Djihad y existe sous deux formes - dénommées grand Djihad et petit Djihad – qui ne sont pas sans trouver leur pendant dans les autres religions monothéistes.
Le petit Djihad signifie ainsi le devoir pour tout musulman de répondre à une agression qui lui a été faite. Ce qui implique une visée défensive bien plus qu'agressive, contrairement à ce que veut l'opinion communément répandue. Le grand Djihad, pour sa part, consiste en la nécessité pour tout Musulman d'entreprendre des actions qui lui permettent de maîtriser ses propres pulsions. A titre d'exemple, le jeûne du mois de Ramadan constitue une forme de grand Djihad, destiné à apprivoiser la tentation qui sommeille en tout un chacun.
Le ton et les exemples adoptés par Randa Ghazy ne consistent ainsi aucunement en une diatribe antijuive fondée sur une haine gratuite de l'ensemble des Palestiniens des Territoires à l'encontre des Israéliens. L'auteure ne fait que dénoncer une situation effective dans laquelle un peuple dans son entier, dépourvu de ses droits même les plus élémentaires, se voit en proie à une confrontation continuelle avec l'armée d'un pays occupant. On reste aux antipodes des arguments clairement haineux et proprement insurrectionnels avancés il y a peu par une certaine Oriana Fallaci…