Un Franco-Marocain à la tête de l’aumônerie pénitentiaire en france
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- Écrit par SEZAME
- Catégorie : Société
M. El Alaoui Talibi est un candidat idéal puisqu’il est déjà membre de la Commission aumônerie du CFCM et également vice-président de la Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF). A 48 ans, ce natif du Maroc est un habitué du milieu carcéral. Pendant 7 ans, il a exercé les fonctions d’aumônier à la maison d'arrêt et au centre de détention de Loos, une commune de la banlieue lilloise. Aumônier régional du Nord de la France depuis cinq ans, il est responsable de la coordination de l’intervention de 7 aumôniers au sein de 20 établissements pénitenciers. Le territoire français compte 10 régions pénitentiaires.
C’est l’affaire Kelkal qui a poussé cet homme de terrain à s’intéresser à la population carcérale. Khaled Kelkal est l’un des responsables de la vague d’attentats de 1995 qui a secoué Paris. Il a été tué près de Lyon après plusieurs jours de traque de la gendarmerie et de la police. Il a expliqué que la détention a réveillé en lui le sentiment d’appartenir à une communauté. « Nous, les Arabes, nous avons l’islam et ses valeurs, ce sont les nôtres», a-t-il déclaré dans un entretien publié en octobre 1995 dans Le Monde.
Le milieu carcéral est parfois propice à une (re)conversion des détenus à la religion musulmane. Il convient de l’accompagner pour ne pas laisser le champ libre à des musulmans radicaux. Car la prison peut devenir le lieu d’une radicalisation de certains prisonniers en quête identitaire. Pour éviter ces dérapages, il convient de mettre en place un dispositif humain et financier pour encadrer l’islam dans les prisons. Or, « dans le milieu carcéral, le regroupement des prisonniers est interdit sans la présence d’une personne extérieure. Ainsi, ils ne peuvent se réunir pour la prière, d’où le rôle primordial d’un aumônier », explique M. El Alaoui Talibi. Ceux qui désirent respecter les préceptes religieux sont d’une certaine manière « oubliés ». Le phénomène nouveau de la radicalisation religieuse dans le milieu pénitencier est de plus en plus remarqué, il pourra être affaibli par une présence d’aumôniers musulmans bien formés pour répondre aux demandes spirituelles des prisonniers qui désirent respecter les préceptes religieux dans le cadre de la loi.
Pourtant, M. El Alaoui Talibi n’a jamais constaté de radicalisation religieuse dans les prisons du Nord. Il est, cependant, frappé par un phénomène nouveau. « La population carcérale compte de plus en plus de diplômés Bac+4 et plus ». Les plus touchés par le chômage sont les jeunes diplômés qui, par manque de débouchés, peuvent basculer dans la délinquance. Il espère que son projet d’aumônerie musulmane en collaboration avec les autorités locales jouera un rôle de prévention auprès des jeunes et ce par la participation à l’orientation des jeunes pour la recherche d’un emploi.
La nomination de M. El Alaoui Talibi est l’occasion de faire un état des lieux. «Lors de mes discussions avec des aumôniers chrétiens, ces derniers m’ont informé de l’absence d’aumônier musulman dans le milieu carcéral » nous révèle M. El Alaoui. En fait, l’aumônerie musulmane pénitentiaire compte 77 aumôniers dont 28 à temps plein. Insuffisant, par rapport aux 482 aumôniers catholiques, sachant que l’islam est la première religion dans les prisons françaises et que plus de 60% de la population carcérale est d’origine maghrébine. Face à cette situation, « nous avons proposé au ministre de doubler au moins cet effectif » souligne M. El Aloui Talibi.
Un des problèmes soulevés par M. El Alaoui Talibi est le flou administratif dans lequel se trouvent les aumôniers musulmans. A l’heure actuelle, ils ont un statut de vacataire. Considérés comme des ministres de culte, ils perçoivent un salaire mensuel d’environ 700 euros pour un temps plein. Les aumôniers chrétiens, quant à eux, sont payés par l’Eglise. A l’avenir, « nous espérons que la Fondation des œuvres de l’islam aidera financièrement les aumôniers musulmans », souhaite M. El Alaoui. Le statut de vacataire est un statut précaire pour s’en sortir, « l’aumônier musulman est obligé d’avoir un autre travail afin de bénéficier d’une couverture sociale ». Pourtant, il existe la caisse sociale des cultes, la CAVIMAC. Un organisme qui assure une couverture sociale aux ministres de culte dans le respect de leur organisation interne. Un contrat de travail n’est donc pas nécessaire pour bénéficier de prestations sociales. Rares sont les ministres de culte musulman affiliés à cette caisse.
Pour développer le champ d’action de l’aumônerie, M. El Alaoui Talibi préside l’association de l’aumônerie musulmane de Villeneuve-d’Ascq (Pas-de-Calais). L’association a le projet de construire un établissement : la première aumônerie musulmane sur 400 m2. « Nous avons obtenu le permis de construire mais nous n’avons pas les 600 000 euros nécessaire pour financer les travaux », explique-t-il. Pourtant, M. El Alaoui Talibi ne baisse pas les bras devant les difficultés. A travers les actions diverses menées par son association, il essaye de répondre aux nombreuses demandes des détenus : « offrir des livres, des chapelets, des calendriers de prières, etc. » Lors de l’Aid al fitr, l’association a distribué plus de 650 colis d’une valeur de 9 euros et 850 barquettes de viande à l’Aid al kebir. Les musulmans incarcérés manifestent également le besoin d’être écoutés et conseillés dans leur pratique de l’islam. A cet égard, deux écueils sont rencontrés : le financement de ces activités et la formation des intervenants. L’aumônier doit être préparé à travailler dans un environnement difficile. Une solide connaissance de l’islam et des compétences spécifiques liées au milieu carcéral sont requises. Devenir aumônier n’est pas une tâche facile : « c’est une vocation ».
La création d’une aumônerie nationale pour le milieu pénitentiaire est un autre signe positif dans l’intégration du culte musulman dans le dispositif juridique français. En milieu hospitalier, de nombreux aumôniers musulmans accompagnent le séjour des malades. Pourtant, l’islam reste mal ou peu représenté au sein des institutions françaises. La désignation d’un aumônier des armées a été reportée après les élections du CFCM qui ont eu lieu en juin dernier. L’aumônier scolaire n’est pas encore à l’ordre du jour. La question est donc loin d’être réglée. La définition de l’institution de l’aumônerie musulmane de France aura certainement des répercussions sur le rôle que doit jouer l’aumônier musulman dans les milieux dit fermés où l’Etat pourra agir en conformité avec la loi de séparation entre l’Eglise et l’Etat.